Le charisme et le rock bruyant de Yodelice pour conclure

| mar, 22. mai. 2012
Yodelice a offert une magnifique conclusion à cette 12e édition des Francomanias. Les régionaux Jo Mettraux et Tyago ont tenu leur rang avec bonne humeur. Retour sur les deux derniers soirs de concerts.


Vendredi. Thiéfaine, au meilleur de sa forme, a proposé une sorte de best of intense. Et Brigitte Fontaine a donné un concert qui ne ressemble à aucun autre.

Il arrive et balance Annihilation. Ça n’a l’air de rien, mais c’est sacrément gonflé. Non seulement la chanson dure près de dix minutes, mais quasiment personne ne la connaît: elle n’a jamais été gravée sur disque, sauf sur une compilation de 2009. Mais elle offre un condensé magistral de l’univers de Thiéfaine et lance parfaitement un concert d’une intensité rare.
Après cette entrée en matière idéale, Hubert-Félix Thiéfaine enchaîne avec Fièvre résurrectionnelle (tiré du récent Suppléments de mensonge) puis avec Lorelei Sebasto Cha: de l’audace, des chansons nouvelles, des classiques, le ton est donné. Il sera résolument rock, dense et permettra, durant une heure et demie, de vérifier que Thiéfaine possède un répertoire d’une richesse et d’une cohérence hors du commun.
Cette tournée, intitulée Homo plebis ultimae tour, ressemble à une sorte de best of. Avec un accent mis sur les années 1970-1980. C’est bien simple, à une exception près (Confessions d’un never been, qui date de 2005), Thiéfaine n’a chanté aucun titre sorti entre Meteo für Nada (1986), et son dernier album, celui de la consécration publique, avec la désormais incontournable Ruelle des morts.


Rock sans chichi
Autant dire que ce concert a réservé des moments de pur bonheur. Entendre un Thiéfaine au meilleur de sa forme enchaîner Sweet amanite phalloïde queen (énorme version!), Narcisse 81 et 113e cigarette sans dormir, c’est le rêve pour tout amateur de cet univers. Avec aussi Soleil cherche futur, Les dingues et les paumés, Mathématiques souterraines, Alligators 427 ou encore La fille du coupeur de joints, il n’a manqué aucun classique. A part peut-être Exil sur planète fantôme, mais on ne va pas chipoter. On a même eu droit à une perle trop peu connue, Ad orgasmum aeternum.
Cette revigorante visite de son répertoire – qui permet de vérifier la splendeur intacte de sa poésie noire – Thiéfaine l’a effectuée sans temps mort. A peine quelques phrases pour expliquer qu’il avait songé à laisser de côté toutes les chansons sur l’alcool, la drogue, le sexe, la mort («ça faisait un concert très clean, mais il aurait duré douze minutes. Alors j’ai fait comme d’hab’»).
Pour le reste, il fonce tête baissée et atteint le spectateur en pleine face. Grâce aussi à une formation rock sans chichi ni concession (idéalement servie par une sono d’une clarté parfaite) où brille l’exceptionnel guitariste Alice Botté. A bientôt 64 ans, Thiéfaine a prouvé avec classe et une présence rare qu’il peut encore en remontrer à tous les petits jeunes…


«N’ayez pas peur…»
Et Brigitte Fontaine? Comment dire… Musicalement, son concert est impressionnant. Cette drôle de dame sait s’entourer, avec notamment Yan Péchin à la guitare et Bobby Jocky à la basse, qui étaient tous deux de la dernière tournée de Bashung.
Vacillante dans sa robe blanche, Brigitte Fontaine a la diction approximative et la voix qui part on ne sait où. Et son spectacle se révèle lui aussi sans concession. La première chanson met les choses au point: «N’ayez pas peur, ce ne sera rien que des mots», lâche-t-elle (ou devrait-on dire grommelle-t-elle) en reprenant Comme à la radio, un titre qui a plus de quarante ans.
Beaucoup ne l’ont pas écoutée et ont été effrayés ou rebutés par cette vieille dame indigne, qui balance un rock sauvage et lettré, parsemé de mots crus, où cohabitent Rimbaud («Mais je m’aperçois que mon esprit dort…»), le soufisme, l’humour et l’émotion.
Parce que, sous ses airs extravagants, Brigitte Fontaine se révèle surtout émouvante. Que ce soit par sa relation avec Areski Belkacem, son mari, compositeur et percussionniste (à qui elle laisse la place pour quelques titres, un des passages plus faibles du concert) ou par ses chansons où elle se montre à nu. En particulier dans cette magnifique reprise de Brigitte (1972), touchant autoportrait avec juste Yan Péchin à la guitare acoustique («Brigitte, toujours au fond des cafés, comme au fond des bois…»). Au final, son concert ne ressemblait à pas grand-chose de connu. Et c’est une qualité trop rare pour s’en priver.

La finesse de Beaupain
Juste avant Brigitte Fontaine et Thiéfaine, Alex Beaupain ne restera pas comme l’événement du jour. Il a néanmoins donné l’un des meilleurs concerts du festival. Fines, inventives, bien torchées, mais pas trop écrites, à l’image de l’imparable Au départ, les chansons du Français pourront se promener un bon moment dans les mémoires.
L’ensemble du concert brillait d’ailleurs par sa cohérence et sa poésie douce-amère. A deux bémols près, une reprise dispensable du Pull marine d’Adjani (signé Gainsbourg) et une interminable présentation des musiciens, Alex Beaupain nous a offert ce qu’on pourrait qualifier de sans-faute. Une entrée légère et goûtue pour un menu de roi.
Sur la petite scène, Steve Fragnière et ses comparses ont livré une version tendue et hantée de leur Projet Netton Bosson. A la limite de la chanson, ces lectures en musique des textes du peintre riazois ont convaincu. De son côté, la Fribourgeoise Pony del Sol a dévoilé l’étendue et l’éclectisme de son talent de chanteuse, de musicienne et de compositrice. L’air de ne pas y toucher, Gael Kyriakidis a emporté les spectateurs dans un voyage aux huit coins d’un octogone, entre valse et bossa, entre Katerine et Indochine, entre anglais et français, entre jouissance et déprime. Avec un art de l’observation très fin, à l’image de La centrale, chanson qui raconte le quotidien d’une réceptionniste du 111.

 

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Samedi. Mine de rien, clore les Francomanias par Yodelice était un des paris les plus audacieux de cette édition 2012. Car oui, Maxim Nucci – initiateur et leader du projet – chante dans la langue de Shakespeare et oui, il propose une prestation rock à tendance bruyante. Mais disons-le tout de go, le nouveau programmateur Emmanuel Colliard a eu la main très heureuse en présentant cet artiste original.
Pour cette toute dernière prestation du festival, tard dans la soirée de samedi, le public semblait d’humeur passive, sans conviction. «On écoute deux ou trois morceaux. Puis, si ce n’est pas extraordinaire, on met les voiles.» Mais le temps de poser ses premiers riffs bien gras, Yodelice avait convaincu les plus sceptiques de rester. Et de participer activement à ce concert qui fut finalement d’exception.
Certes, les deux albums de Yodelice, par leur univers sombre et singulier, laissaient présager de bons moments sur scène. Mais le charisme et le talent de Maxim Nucci ont littéralement ébahi l’assistance. Son blues-rock, distillé à grands coups de lignes de basses incisives, résonne encore dans les murs d’Espace Gruyère. A noter que le son, profond, puissant et très précis, a donné une vraie consistance au spectacle.
Sur une scène décorée en Spookland (monde imaginaire issu du projet, proche de l’univers de Tim Burton) et avec ses musiciens aux allures de personnages de fictions animées, Yodelice a soigné la pose de l’ambiance. Un décor taillé sur mesure pour livrer un sublime People are strange repris des Doors. Sur ses titres glam-rock, il a pu faire l’étalage de sa classe technique sur sa guitare en forme de tête de mort – qu’il utilisait pour la première fois sur scène à Bulle. Mais c’est bien ses tubes FM qui ont eu les faveurs du public, avec notamment le très folk Sunday with the flu.


Joyeux métissage
Autre tête d’affiche de la soirée, Suarez a également débarqué sur scène avec la délicate étiquette de découverte. Mais il n’a même pas eu besoin de jouer ses premières notes pour conquérir le jeune public féminin.
Le combo belge est composé de quatre musiciens d’origine malgache et d’un beau gosse, accessoirement chanteur, aux racines italo-espagnoles et au sourire aussi mielleux qu’éblouissant. Ce joyeux métissage a participé à une prestation colorée et énergique, même si l’on a regretté que trop peu de titres offrent de vraies teintes africaines.
Dans l’ensemble, Suarez a proposé principalement des chansons d’amour sous différentes formes. «J’veux ta main dans la mienne / J’veux ton corps sur le mien.» Le premier rang a apprécié. Les expirations en fin de phrases – pour le côté sensuel, on présume – n’ont pas manqué de faire chavirer le cœur de ces dames.


De la légèreté
Néanmoins, laissons à ces jeunes gens le mérite d’avoir apporté fraîcheur et légèreté aux Francomanias. On a apprécié l’excellente participation du public sur les incessants «J’veux entendre que les mecs! Et maintenant que les filles !»
La reprise de l’hymne hispanique Porque te vas a également apporté sa contribution à une performance ensoleillée. «On se voit demain sur Facebook; je vous posterai quelques vidéos» a osé le chanteur en guise de conclusion. Quand on vous parlait de légèreté…
Auparavant, Jo Mettraux a eu le redoutable privilège d’ouvrir la soirée sur la grande scène, avec son enthousiasme et ses chansons sans prise de tête. Difficile exercice dans cette salle imposante, devant un public relativement clairsemé, mais attentif.
Jo Mettraux a fait ce qu’il devait, à coups d’énergie et de refrains accrocheurs où il est question de fille rencontrée au bord de l’autoroute, de voisine, de GPS… De la légèreté, donc, essentiellement, même s’il évoque aussi des sujets plus intimes et touchants comme cette photo d’enfant (Une dent sur deux). L’ensemble demeure fort agréable, mais encore un brin répétitif, malgré la mise en scène soignée à coup de cirés jaunes pour tous les musiciens.


La bonne humeur de Tyago
En début de soirée, les Genevois de Mr Dame ont eu la pénible tâche d’ouvrir les feux sur la petite scène devant un parterre très clairsemé, pour ne pas dire quasiment vide. Timide et peu entraînant, leur set ne restera pas dans les annales. Pas plus que leurs transitions souvent maladroites.
En leur succédant, les Gruériens de Tyago ont véritablement mis le feu aux poudres de cette dernière soirée. Leur performance appliquée a mis en avant les textes très denses du chanteur Matthieu Huwiler.
S’il y eut des moments plus graves, le ton était principalement à la plaisanterie et à la bonne humeur. On retiendra quelques perles d’humour, dont le décapant «une chanson, c’est comme une cuvette, ça sert à tout déballer».

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