Un Brocois découvre un drôle de trésor

| jeu, 28. juin. 2012
un manuscrit sous forme de salut du passé (Jessica Genoud)
En rénovant une horloge à Vevey, le campaniste brocois Jean-Paul Schorderet a retrouvé des merveilles: divers documents, des pièces de monnaie, un manuscrit de 1755, des cigares de 1862… Un salut amical et émouvant de ses prédécesseurs.

PAR YANN GUERCHANIK

La lune a attendu cent cinquante ans avant de livrer ses secrets. Intégrée à l’horloge de la tour Saint-Jean à Vevey, la boule qui indique les différentes phases de l’astre du mystère a fini par se révéler à Jean-Paul Schorderet. Campaniste et patron de l’entreprise Mecatal, à Broc, il s’affaire actuellement à la rénovation du cadran, sur mandat de la commune vaudoise.
En ramenant la lune à l’atelier, le Brocois et ses deux employés, Olivier Chammartin et Jérôme Schuwey, remarquent que des papiers dépassent. Un instant plus tard, les trois spécialistes des cloches et des horloges d’édifices sont en liaison directe avec leurs ancêtres artisans. «A vous qui trouvez et à tous ceux qui lisent la présente, écrite le 8 décembre de l’an de grâce 1862, salut républicain! Buvez un verre de vin à notre mémoire!»
Les trois campanistes poursuivront leurs découvertes le rouge aux lèvres et le regard ému. Un trésor insolite, un attirail de curiosités. La boule est pleine à craquer. Des documents de toutes sortes, de la gravure de mode à une liste des habitants du quartier, en passant par des pièces de monnaie de la fin du XVIIIe. Le tout en parfait état.
Plus étonnant encore, une botte de vingt cigares de 1862, tout droit sortis de la manufacture du veveysan Bertholet. Ou ce parchemin roulé dans un tube en métal, déposé par une précédente génération encore, en 1755. Cette collection étrange propose en quelque sorte l’instantané d’une époque (lire ci-dessous).
D’artisans à artisans
Jean-Paul Schorderet, vingt ans de métier et des tatouages qui dépassent du T-shirt, est attendri avant tout par les témoignages de ses prédécesseurs. «On travaille en permanence avec le patrimoine, on se penche constamment sur l’histoire. C’est un métier qui vous remet à votre juste place: quand les suivants rénoveront, nous, on sera morts et enterrés!»
Le campaniste brocois se félicite encore de trouver, pour une fois, la trace des petites mains qui ont œuvré: Fritz Weiss, chaudronnier. Auguste Blanc, maisonneur. Charles Herminjard, ferblantier. «Trop souvent, seul le nom d’un décideur est mis en avant, tel politicien ou tel architecte.»
«Et puis, c’est toujours étonnant de constater qu’autrefois chacun était spécialisé dans un domaine.» Aujourd’hui, le campaniste doit se charger de tout et posséder un vaste savoir-faire. Esthétique, quand il faut dorer un cadran à la feuille d’or. Mécanique, quand il s’agit de réviser les rouages d’une horloge. Electronique, quand il est appelé à programmer les sonneries des cloches.
Jean-Paul Schorderet marie des microprocesseurs dernier cri aux beffrois séculaires. Son sens aiguisé de l’histoire l’a poussé à prévenir sans tarder le Musée historique de Vevey et les autorités de la ville. «Il m’est arrivé de tomber sur des inscriptions ou des messages enfouis dans les boules ou les coqs, au sommet des clochers. Mais rien de comparable.»
Les découvertes sont en cours d’analyse. Une grande partie sera vraisemblablement renvoyée dans la lune. Pour que la tradition se perpétue. En attendant que les experts finissent d’éplucher les merveilles, le campaniste peaufine sa rénovation, des ancêtres artisans penchés sur son épaule.
 

 

Comme le veut la coutume

«On trouve couramment des Messager boiteux ou des Feuille d’avis cachés dans des monuments historiques, explique l’archiviste de la ville de Vevey Marjolaine Guisan. C’est une pratique coutumière chez les artisans. Cela permet de laisser le souvenir de l’époque durant laquelle ils sont intervenus.» Le choix des reliques est soumis au libre arbitre. «Entre autres, on a trouvé dans la lune de la tour Saint-Jean, une photographie de Gabriel Monnet. Cet homme avait fondé l’hôtel des Trois Couronnes à Vevey en 1842. Le fait que les artisans choisissent de déposer cette image, vingt ans plus tard, montre toute l’importance que revêtait l’établissement dans la région à cette époque.»
Les trésors découverts par le campaniste brocois Jean-Paul Schorderet sont pour la plupart des reproductions connues. «Le plus intéressant demeure toutefois les témoignages manuscrits, confie l’archiviste. Ils attestent d’une sorte de compagnonnage auquel se livraient les artisans.» En Gruyère, on trouve des exemples similaires. Les clochers sont des cachettes de choix où dissimuler des objets qu’on juge précieux ou symboliques. La directrice du Musée gruérien Isabelle Raboud-Schüle cite d’autres pratiques similaires. «Dans une vieille ferme bulloise par exemple, on a retrouvé des petits messages dans un fourneau datant de 1829. Le fumiste avait connaissance de ses traditions et savait où trouver ces derniers.»
Une tradition que l’archiviste de Vevey espère perpétuer. «Notre intention est de remettre en place ce qui a été découvert. On aimerait aller jusqu’au bout de la démarche et proposer à Jean-Paul Schorderet de déposer à son tour un témoignage.» Le campaniste brocois nous a confié que l’idée n’était pas pour lui déplaire. Ce qu’il léguera, en revanche, est condamné au mystère pour les décennies à venir.

 

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