«Le seul jour qui compte, c’est aujourd’hui»

| sam, 25. aoû. 2012
Les Alcooliques anonymes se réunissent ce week-end, à Charmey. Au programme: séances de partage et témoignage de vie.

PAR FRANK-OLIVIER BAECHLER



«Je m’appelle Hervé et je suis alcoolique.» La phrase est immuable. La maladie, elle, incurable, selon la définition – reconnue par l’Organisation mondiale de la santé – qu’en donnent les Alcooliques anonymes (AA). La section Fribourg, Jura et Neuchâtel de ce mouvement originaire des Etats-Unis organise une convention, ce week-end, au Centre réformé à Charmey.
Hervé * sera de la partie. Depuis sept ans qu’il fait partie des Alcooliques anonymes, à une fréquence d’une à deux séances par semaine, ce quadragénaire gruérien n’a plus touché au «produit». Il ne se considère pas pour autant comme guéri. «Il n’y a pas de guérison possible. On reste alcoolique. La méthode du mouvement consiste simplement à ne pas boire durant les prochaines vingt-quatre heures. Le seul jour qui compte vraiment, c’est aujourd’hui.»
Son témoignage est donc plutôt celui de son «rétablissement», de la possibilité de s’en sortir. «Une solution existe. Elle n’est pas forcément la même pour tout le monde, mais je peux témoigner de celle qui a fonctionné pour moi.»
L’histoire d’Hervé commence de manière banale: un premier contact avec l’alcool vers 14 ans, «pour faire comme les autres», suivi de dérives festives typiquement adolescentes. «Je me suis vite rendu compte que l’alcool me permettait de gérer certaines émotions négatives, comme la peur ou la colère. De nature très anxieuse, j’utilisais l’alcool comme un médicament.»


Progressif et sournois
A 18 ans, dès la fin de son apprentissage, les excès du week-end se sont accompagnés d’une consommation quotidienne. «Pour moi, cela allait de pair avec ma nouvelle vie d’adulte. Et quand les responsabilités professionnelles se sont multipliées, dès l’âge de 20 ans, l’alcool a pris de plus en plus de place.» Sournoisement, de manière progressive.
Son mariage, puis la naissance de ses enfants, n’y ont rien changé. Hervé était alors connu comme bon vivant, plein d’entrain, actif dans de nombreuses sociétés. «Professionnellement, tout allait bien.»
Vers 35 ans, commencent les problèmes, avec les premiers symptômes d’usure. «Un sommeil difficile, une mauvaise récupération et même des tremblements, parfois accompagnés de vomissements, le matin, avant d’avoir bu.»
Pourtant, le Gruérien croit encore qu’il peut s’en sortir seul. «J’essaie d’arrêter, une semaine, un mois, pour me persuader que je garde la maîtrise. Mais en sachant que ce n’était que temporaire… Ma femme me fait des reproches, mais je n’admets rien. Je reste dans le déni total.»
Atteint de tremblements toujours plus puissants, c’est même persuadé de souffrir d’encéphalopathie spongiforme bovine – le monde est alors en pleine crise de la vache folle – qu’il finit par se rendre chez le médecin, deux ans plus tard. Le diagnostic, bien sûr, est tout autre.
«Je suis reparti avec des médicaments coupant l’effet de manque. J’ai alors arrêté de consommer, mais en gérant les pilules comme l’alcool. Au lieu de quatre, j’en prenais sept, huit, dix par jour.» Avec, bientôt, un deuxième médecin, et une deuxième pharmacie, en raison des restrictions imposées. «J’avais arrêté de boire, j’avais éliminé le produit, mais sans résoudre le problème.»


Crises et idées noires
Treize mois plus tard, c’est la rechute. L’alcool s’ajoute aux médicaments. «Une période de brouillard. Ma vie devient ingérable. Crises, idées noires et tentatives de suicide. En deux ans, je fais sept séjours psychiatriques à Marsens. Jusqu’à ce que je me retrouve attaché dans un lit de l’Hôpital cantonal. J’avais perdu ma famille, mon permis de conduire et mon travail.»
A 39 ans, Hervé se décide enfin à demander de l’aide. Il se retrouve dans un centre spécialisé, adepte de la méthode Minnesota – soutenue par les Alcooliques anonymes. Cette dernière se propose de prendre en charge les personnes dépendantes dans leur globalité, en visant à l’abstinence des produits psychotropes.
«La première étape était d’admettre que j’étais impuissant devant l’alcool et que j’avais perdu le contrôle de ma vie. Un thérapeute m’a dit que je n’étais pas responsable de ma maladie, mais de mon rétablissement. Cela m’a enlevé la honte et la culpabilité», glisse le quadragénaire.
Puis sont venues les premières réunions des AA. «Je pensais que personne ne pouvait me comprendre, n’était comme moi ou n’avait fait des choses aussi horribles. En écoutant les témoignages des autres, pourtant, je me suis rendu compte qu’ils auraient pu parler à ma place.»
Le processus d’identification fut puissant. «Je me suis senti chez moi. Dans le centre, j’ai beaucoup partagé mon vécu. J’ai reçu des outils, aussi, en plus des séances, comme la permanence téléphonique ou la littérature.»
Le tout, sans aucune contrainte. «Chez les Alcooliques anonymes, tout est seulement suggéré. On ne m’a obligé à rien. Cette façon de faire s’accommodait parfaitement de mon caractère rebelle. Il s’agissait de mon rétablissement, de mon choix.»
Depuis, Hervé a retrouvé ses enfants, un travail et une vie équilibrée. «Le bien-être, mais sans produit. Aujourd’hui, mon entourage me fait de nouveau confiance. Il m’a fallu du temps, beaucoup de temps. Je suis aussi remonté dans ma propre estime. Car, finalement, la personne à qui j’ai le plus menti, c’est à moi-même.»


* Prénom d’emprunt

 

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Une dimension spirituelle
Les Alcooliques anonymes (AA) le disent clairement sur leur site ou dans leurs brochures: ils ne sont associés à aucune secte, confession religieuse ou politique, ni à aucun organisme ou établissement. Mais la dimension spirituelle n’en reste pas moins centrale dans leur programme, résumé en 12 étapes. La deuxième d’entre elles est formulée comme suit: «Nous en sommes venus à croire qu’une puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison.»
Pour Joseph*, membre des AA, chacun peut concevoir cette puissance supérieure comme il l’entend. «Au début, je l’ai personnellement trouvée dans la force du groupe. Cette force de me pousser vers le rétablissement, comme une planche de salut. Après, ma relation avec ma Puissance supérieure a changé, au fur et à mesure que mes émotions se stabilisaient. J’ai fini par lui donner le visage de Dieu, mais de mon Dieu.»
Joseph, lui-même croyant, le regrette: «Beaucoup de personnes bloquent à cause du programme spirituel, en faisant un parallèle négatif avec l’Eglise. Le grand public considère même parfois les AA comme une sorte de secte. Mais il n’y a pas d’obligation financière, aucune cotisation à payer. La seule condition requise pour faire partie des AA est le désir d’arrêter de boire.» FOB

* Prénom d’emprunt

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