L’évolution compliquée de l’enseignement religieux

| sam, 04. aoû. 2012
L’enseignement religieux se doit désormais d’être informatif, plus que spirituel. Derrière cette volonté se cachent des sentiments contrastés.

PAR DOMINIQUE MEYLAN



Peu de pays ont étudié aussi précisément les relations entre les religions, la société et l’Etat. Le Programme national de recherche, lancé par la Confédération et dont les résultats ont été dévoilés cet été, offre une infinité de renseignements sur ce thème sensible. Le monde politique bénéficie désormais de bases fiables pour débattre sans idées préconçues.
Parmi le large éventail des sujets traités, deux chercheurs de l’Université de Fribourg se sont intéressés plus spécifiquement aux cours de religion. Menées sous la direction d’Ansgar Jödicke, en collaboration avec Andrea Rota, ces recherches montrent les évolutions qui ont frappé ce domaine ces dernières années. Andrea Rota, Dr des. en science des religions, revient sur les principaux résultats.

Pourquoi était-il si intéressant d’aborder la question de l’enseignement religieux?
Dans la majorité des cantons, des discussions sur la place de l’enseignement religieux ont eu lieu ces dix ou quinze dernières années. Nous avons examiné ces réformes et tenté de connaître leur signification pour la pluralité religieuse.

Cet enseignement est réglé au niveau cantonal. Les situations sont-elles très différentes selon les régions?
Cela a été une première grande surprise. Historiquement, l’enseignement religieux est une citadelle du fédéralisme. Et pourtant, malgré cela, tous les cantons convergent vers un modèle semblable.

Quelles en sont les caractéristiques?
La tutelle de l’Etat en est une: le choix des programmes lui appartient. Les églises perdent leur présence directe à l’école ou, comme dans le canton de Fribourg, deviennent une alternative au programme concocté par l’Etat. Dans leur intention, les cours se veulent différents de l’enseignement des églises. On vise des connaissances factuelles et une prise en compte de la pluralité des croyances. Le corollaire est que les cantons prévoient de moins en moins de dispenses. Il s’agit de la dernière étape de cette évolution.

Ces programmes d’enseignement ont-ils suscité des oppositions?
Non, ces réformes n’ont pas rencontré de véritables oppositions, à l’exception peut-être de quelques débats animés en Valais. Nous avons au contraire constaté une convergence des argumentations. La nécessité des cours est justifiée par les connaissances des jeunes qu’on suppose de moins en moins grandes, ainsi que par la pluralité. Dans ce contexte, on estime qu’il est important de connaître les autres religions.

Les intentions semblent claires. Mais, est-ce vraiment si simple?
Il faut souligner d’abord que ces réformes sont la conséquence d’une interprétation, l’interprétation de la sécularisation et de la pluralisation. Dans le discours politique, ces phénomènes sont associés à une perte et vus comme des dangers. On craint une perte de connaissances, une perte de valeurs et de repères éthiques, une perte identitaire et une perte de la sensibilité pour la religion.
Au final, on redoute que les jeunes ne soient plus capables de s’ouvrir à des ressources spirituelles. Pourtant, il est toujours clair que ces cours ne doivent pas proposer une religion aux élèves.

Ce mélange de craintes a-t-il une conséquence sur le contenu des cours?
Il se pourrait que le résultat pratique ne soit pas aussi clair que souhaité. Toutefois, il n’est pas possible de le prouver, puisque nous n’avons pas étudié l’enseignement en classe. A l’observation distante que les cours sont censés amener se mêlent des soucis identitaires, éthiques et existentiels.

Comment est-ce que les communautés religieuses réagissent à cet enseignement?
Les réactions sont différentes d’un canton à l’autre. Nous avons cependant noté une convergence. Les églises, qui ont traditionnellement marqué un canton, tendent à avoir des arguments semblables. D’un côté, elles sont favorables aux réformes et partagent l’idée que l’enseignement religieux est important et utile. D’un autre côté, ces églises craignent une perte de visibilité publique. L’Etat se trouve désormais sur le devant de la scène. Ces églises historiques insistent donc sur leurs compétences dans la gestion des questions existentielles. Et proposent ainsi une démarche qui va plus loin.

Les autres communautés ont-elles une position homogène?
Nous relevons deux grandes tendances. Certaines communautés ont une réaction proche de l’indifférence. Elles estiment que l’éducation religieuse des enfants est de toute façon l’affaire de la communauté. Pour d’autres courants, l’école est un lieu important pour marquer leur présence publique. Ces communautés voudraient profiter des infrastructures et de l’organisation scolaires pour donner des cours ou au moins, être intégrées aux discussions sur le programme.

Quelles recommandations avez-vous émis au terme de votre étude?
Nous avons mis en avant les conséquences potentielles de cette situation. Le consensus sur ces réformes est une chance en même temps qu’un danger. Une chance, parce que cela a permis de faire avancer le dossier. Cependant, les différences qui se cachent derrière cette unanimité peuvent affaiblir les cours à long terme, en les privant d’un profil clair. Cet enseignement pourrait perdre de sa légitimité.
Concernant les communautés religieuses, il nous paraît important d’accommoder les exigences de l’Etat avec leurs intérêts légitimes. Ce ne doit pas être elles qui dictent le contenu des cours, mais les autorités pourraient accueillir une part de leurs revendications, en leur offrant par exemple un espace à l’école.

 

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La place de la religion
Les conclusions générales du programme de recherche «Collectivités religieuses, Etat et société» montrent un paradoxe. Pour les individus, la religion a de moins en moins d’importance. C’est ce qu’on appelle la sécularisation de la société. Inversement, dans le débat public, la religion est bien présente et tend à le devenir davantage. Ce serait notamment dû à la pluralisation, autrement dit à la diversité croissante des mouvements religieux. En dépit de cette multiplication, la tendance est à une vision monolithique. «On considère par exemple l’islam comme une unité homogène», explique Andrea Rota, chercheur à l’Université. Autre constat: la religion n’est jamais débattue dans sa dimension spirituelle. Les discussions interviennent quand elle entre en interaction avec une autre sphère, le plus souvent politique. C’est le cas par exemple de la polémique sur le port du voile. DM

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