«En cure de désintoxication»

| mar, 16. oct. 2012
Né dans une famille de paysans qui jouent les pionniers en matière d’élevage depuis plusieurs décennies à Ruyeres-Treyfayes, Paul Ecoffey est passé de l’exploitation intensive à des méthodes bio voire biodynamique. Un changement dicté par la nature.

PAR SOPHIE ROULIN

Cloué au lit par une hernie discale en 2000, Paul Ecoffey a pris le temps de la réflexion. «Il y avait un truc qui clochait: mon remplaçant n’arrivait pas à faire le tour, malgré l’aide de mon frère et mon père qui s’y étaient remis.» Mais ce n’était pas tout: pourquoi ses vaches avaient-elles autant de problèmes de fécondité? Sans parler des soucis de boiterie permanents dans le troupeau, au point de ferrer les vaches comme des chevaux.
Né dans une famille d’agriculteurs très actifs qui avaient amené la ferme des Landins, à Rueyres-Treyfaye, à la pointe de l’élevage, le jeune homme suivait la ligne tracée, utilisant les méthodes intensives pour obtenir les meilleurs rendements. «Mes vaches étaient des Formule 1. Avec des moyennes de production à 10000 kg de lait par an.» Son remplaçant et des stagiaires lui avaient fait remarquer qu’il utilisait beaucoup (trop?) d’antibiotiques.
La convalescence donne l’occasion à Paul Ecoffey de lire, de se renseigner. «Je me suis décidé à faire venir sur l’exploitation un spécialiste français de la nutrition, Alain Lagriffoul.» Quand il a vu comment les vaches étaient nourries et avec quel concentré énergétique était compléter leur alimentation, il a dit au Gruérien: «Je ne comprends pas qu’elles vivent encore.» La réponse tient dans le vinaigre de pomme utilisé de longue date par la famille pour purger les bêtes. «En gros, on leur évitait la cirrhose, comme me l’a expliqué le nutritionniste.» Ce dernier conseille malgré tout à Paul Ecoffey de revenir à des aliments plus simples, produits ici.
L’agriculteur introduit alors du maïs épis, acheté sec, de la pulpe de betterave sucrière et un complément conçu spécialement pour son exploitation: un mélange de lin, de gluten de maïs, de tourteau de colza et d’un peu de soja. «Mais on cherche comment s’en passer parce que le soja provient forcément d’Amérique du Sud et de cultures d’OGM.» Au printemps prochain, il a prévu de cultiver trois hectares de chicorée, dont les propriétés lui laissent espérer qu’elle pourra remplacer le soja.


Lait perdu, fécondité retrouvée
Mais ces changements ne s’opèrent pas sans conséquence. «Après six mois, la production moyenne avait chuté. On était à 22 kg de lait par bête et par jour, contre 30 avant, soit 3000 kg de lait perdu sur l’année. Ce n’était pas acceptable pour moi.» Son père et son frère pensent qu’il a pris une mauvaise option. «Notre ferme, qui avait été prise comme modèle au milieu des années 1970, avec une mère et une fille championne d’Europe, ne correspondait plus à l’idéal. Les chiffres ne parlaient pas en ma faveur. Et je n’étais moi-même pas sûr d’avoir fait le bon choix.»
Le Gruérien rappelle le spécialiste français et lui fait part de son mécontentement. Le nutritionniste lui suggère alors de contrôler le taux de fécondité de son troupeau. «Et là, après une seule insémination, on était à plus de 90% de réussite, alors qu’avant on était même pas à 50%. C’était la preuve que le troupeau était en bonne santé.» Autre preuve: les problèmes de boiterie avaient nettement diminué.
«Qu’est-ce que vous voulez de plus? m’a demandé Alain Lagriffoul. Je n’ai pas su quoi lui répondre et j’ai bouclé le téléphone sans être convaincu.» Deux semaines passent et Paul Ecoffey réfléchit. «Je l’ai rappelé pour lui dire qu’il avait raison. Il m’a rétorqué: “Vous et votre exploitation, vous êtes en cure de désintoxication.” C’était vrai et ça a duré cinq ans.»


Cinq années difficiles
De 2000 à 2005, les temps sont durs à la ferme des Landins. Mais le paysan persiste. En 2005, il décide même d’arrêter les engrais. «J’en ai goûté pour voir. C’est très acide. Si on veut favoriser les micro-organismes qui travaillent la terre pour nous, mieux vaut s’en passer.» Les seuls fertilisants sont désormais le lisier et le fumier que l’agriculteur traite à l’aide d’algues marines bio pour les rendre plus assimilables.
De cinq à six coupes saisonnières, il est revenu à trois. «Mais, en respectant mieux le calendrier lunaire, le foin est plus riche.» L’herbe se fauche en suivant l’almanach et toujours l’après-midi, quand la sève est haute dans les tiges et que les abeilles ne sont plus sur les fleurs.


Bio, voire plus, mais sans label
Depuis 2000, Paul Ecoffey soigne également ses bêtes à l’homéopathie. «Dans ce sens, on va plus loin que le bio», fait-il remarquer. La ferme des Landins va-t-elle bientôt faire le pas d’une labellisation? «On y réfléchit. Le plus gros frein pour moi se situe au niveau de la génétique. En devenant bio, le choix des géniteurs se restreint et il n’est plus possible de recourir aux transferts d’embryons. Pour notre exploitation, qui a toujours été pionnière dans l’élevage, c’est difficile de lâcher ça. Et je pense que ces deux éléments retiennent beaucoup d’agriculteurs.»
N’empêche que les décisions du Parlement national, il y a deux semaines, pourraient changer la donne (La Gruyère du 20 septembre). «Pour l’instant, nous n’avons pas tous les éléments en main pour évaluer notre future situation. Mais il y aura des pertes, on nous a prévenus.» Le bio sera-t-il une solution? «Il faudra tout mettre dans la balance. Mais comme on fonctionne avec une société de laiterie, il faudrait être au moins quatre pour que le changement ait un sens.» De quoi remplir une chaudière de lait bio pour produire du gruyère labellisé lui aussi.
Rien n’est encore décidé pour l’heure. Mais, après être passé pour «un illuminé» aux yeux de ses pairs, Paul Ecoffey l’affirme: «Certains commencent à regarder par-dessus la barrière pour voir ce qui se passe chez nous.»

 

----------------

 

Au bout de la chaîne, une assiette
Plusieurs éléments ont participé à la prise de conscience de Paul Ecoffey. Outre les problèmes que rencontrait son troupeau et la résistance grandissante de ses vaches à l’effet des antibiotiques, les abeilles ont également joué un rôle.
Depuis une quinzaine d’années, la ferme des Landins abrite quatorze ruchers. «Sans abeilles, nos cultures vivrières ne peuvent exister», relève l’agriculteur gruérien. Mais, à Rueyres-Treyfayes, comme ailleurs dans le monde, le varroa a fait son œuvre. «Selon nous, ce sont les produits phytosanitaires qui affaiblissent les abeilles. Ces dernières n’ont ensuite plus les moyens de se défendre contre le varroa. Sans compter les OGM qui ne connaissent pas les frontières et que le vent nous amène de France ou d’ailleurs.» Effleurer ce sujet, c’est voir Paul Ecoffey s’enflammer. Déjà très rapide, son débit de paroles prend encore l’accélérateur. Les exemples et les références fusent. Le Gruérien prend la défense des paysans du monde entier.
Connu pour ne pas avoir sa langue dans sa poche, membre du syndicat Uniterre, il fait partie des quatre personnes jugées dans «l’affaire de Pringy». Une action au cours de laquelle les producteurs de lait de gruyère se sont battus pour obtenir un meilleur prix. «On nous enseigne à devenir des entrepreneurs, mais, dans la réalité, on ne peut pas vivre de notre travail. On fait de nous des assistés. Plutôt que de soutenir les paysans, on ferait mieux de soutenir les consommateurs pour qu’ils puissent acheter des produits suisses à leur vraie valeur.»
Et de revenir sur la politique agricole qui est encore en discussion: «Les décisions qui se dessinent auront pour effet de faire baisser la production suisse. Le deuxième effet sera d’ouvrir la porte aux importations à tout va, aux OGM, aux productions qui ne respectent ni les bêtes, ni les sols, ni les êtres humains qui vont consommer les biens en question.»
Actif au sein d’Agro-image, cette association d’agriculteurs qui présentent leur métier au sein des écoles, Paul Ecoffey a réalisé que son métier «n’est pas seulement une question de rentabilité. On nourrit les consommateurs. Au bout de la chaîne, il y a une assiette! Les politiques, les chercheurs et mêmes les producteurs ont parfois tendance à l’oublier.» SR

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses