"Il nous a tous tiré dessus!"

| mar, 16. avr. 2013
La maison de Neirivue où s'est déroulé le drame, le 3 décembre 2011
Mardi devant le Tribunal pénal de la Gruyère, il a beaucoup été question des relations existant entre le meurtrier, un plâtrier vaudois de 47 ans, et sa victime, un antiquaire d'origine bernoise de 69 ans qui l'employait régulièrement comme tâcheron.

PAR JEAN GODEL

Bien sûr que, ce samedi 3 décembre 2011, c’est l’irruption du propriétaire et de son fils, venus récupérer un boîtier Swisscom TV dans l’appartement du meurtrier, qui déclenche le drame. Hors de lui, le plâtrier-peintre de 47 ans s’empare d’un fusil de chasse, sort de chez lui à la poursuite de ses propriétaires et tire à travers la porte de leur appartement, sur le palier. La victime, un antiquaire de 69 ans, s’écroule, atteint de plus de septante éclats de chevrotine. Il décédera peu après d’une hémorragie massive (La Gruyère de ce mardi). Mais comment en est-on arrivé là?
Mardi, le Tribunal pénal de la Gruyère est longuement revenu sur la personnalité et les relations des deux protagonistes qui se connaissaient bien, le meurtrier présumé travaillant pour sa victime depuis plusieurs années. Du témoignage de deux des cinq enfants du défunt, on apprend que cet homme divorcé était un patriarche sûr de lui, généreux, mais aussi au caractère fort. «Caractériel», dira l’un d’eux un peu maladroitement. Ce «pilier» de la famille vivait officiellement à Aigues-Mortes, en France. Revenu en Suisse pour le travail, il avait acheté cette maison du bord de route à Neirivue pour y vendre ses antiquités. «Mais il vivait un peu comme un nomade», dira un fils.
A les entendre, lui et son frère, le plâtrier-peintre avait fini par faire «presque partie de la famille»: tout le monde savait ses problèmes d’alcool, même qu’il avait déjà tué un homme, l’amant de sa femme, en 1995. Mais le temps avait passé et l’homme était travailleur. La famille l’avait emmené en vacances, dans le chalet bernois ou dans le mas d’Aigues-Mortes: «Mon père lui demandait quelques jours de travail, sinon c’était des vacances. Ils s’entendaient plutôt bien», explique le cadet, à peine plus de vingt ans.
En venant comparaître, le jeune homme a même tenté de lui serrer la main. Démonstration devant les juges? «Il était super sympa, généreux. On s’amusait bien, on partait ensemble ramasser les champignons ou faire la fête…» L’ouvrier vient habiter à Neirivue, dans l’immeuble que vient d’acheter l’antiquaire et où il réalise des travaux.

Un mal de dos funeste
Tout se gâte en 2011: souffrant de mal de dos, ne pouvant quasiment plus travailler, le plâtrier s’enfonce plus profond dans l’alcool. Et la marijuana, pour soulager son mal. Petits trafics en tous genres… Les rapports se tendent. L’antiquaire lui demande de quitter les lieux.
Venus en nombre, les témoins de la défense jettent sur le patron une autre lumière, plus crue. Un mot revient dans presque toutes les bouches: esclavagisme. En somme, l’antiquaire aurait exploité la faiblesse de son tâcheron, obtenant qu’il travaille à vil prix (150 francs par jour, nourriture comprise) afin de payer son loyer.
Au printemps, l’aide sociale verse désormais les 900 francs mensuels. Du coup, la dépendance vis-à-vis du bailleur disparaît en même temps que le moyen de pression, prétend un témoin. «L’antiquaire était un homme assez égoïste, méchant et avare.» Mais encore: «profiteur, hautain et méprisable», il se serait même vanté de ses millions et de ses relations avec des mineures en Thaïlande. Bref, «c’était un homme odieux», dira une femme, qui reconnaîtra pourtant avoir eu une relation avec lui.
Quant au meurtrier, il est décrit par ses amis comme bon travailleur, sensible, trop gentil, se faisant «naturellement avoir». Alcoolique, certes, mais pas violent. Plusieurs témoignent de la panique qui s’est emparée de lui vers la fin, «harcelé» par son propriétaire pressé de le voir déguerpir. «Il était au bout du rouleau.»

Au chat et à la souris
Durant sa comparution, le meurtrier s’est pourtant montré louvoyant, incohérent, jouant volontiers au chat et à la souris avec la présidente Frédérique Bütikofer Repond. Il explique tout par le sentiment de panique et de menace au moment de l’irruption de son propriétaire. Pourquoi, alors, être allé chercher son fusil alors que l'antiquaire avait déjà quitté les lieux. «C’était instinctif, machinal.»
Il voulait faire peur mais n’a pas tiré en l’air? C’est parce qu’il ne savait pas qu’un fusil de chasse faisait tant de dégâts: «Je pensais que c’était un truc pour tirer les oiseaux.» Le fils de la victime l’a vu lever l’arme contre eux, prouvant qu’il les savait derrière la porte? Il ment. Son ex-femme – un temps la petite amie de l’antiquaire – a affirmé qu’il lui avait annoncé par téléphone avoir abattu son propriétaire? Elle ment, elle aussi. Ou alors elle aurait dit cela sous la pression du procureur Raphaël Bourquin. Le fils de l’antiquaire explique que le plâtrier lui racontait vouloir retourner en prison, un vrai «trois étoiles» où trouver travail, alcool, drogue et amis? Il a mal compris.
A la toute fin, sollicité par le tribunal, il dira enfin ses regrets et présentera ses excuses, peu crédibles après tant de louvoiements.
Reste une famille brisée, anéantie, dont un enfant encore mineur, en échec scolaire et sans projet d’avenir, qui a vu son père baigner dans son sang (il n'est pas venu au tribunal). Et une mère qui doit «tout subir». Tous peinent à se reconstruire. Aucun ne comprend le geste de l’ouvrier. «C’est impardonnable, dira le cadet. C’est monstrueux de briser une famille si proche qui lui avait ouvert les bras. Il nous a tous tiré dessus.» Le verdict est attendu mercredi en fin de journée.

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