Le respect des symboles permet d’apaiser les tensions

| jeu, 04. avr. 2013
Doctorant à l’Université de Fribourg, Bernhard Altermatt travaille sur les politiques linguistiques suisses. Il revient sur les récents débats autour du bilinguisme.

PAR DOMINIQUE MEYLAN

Le bilinguisme, malgré son inscription dans la Constitution et le souci constant des autorités de le promouvoir, peut encore être amélioré dans le canton. Le logo, uniquement francophone de la ville de Fribourg, a récemment provoqué une levée de boucliers. La réorganisation de l’Hôpital fribourgeois (HFR) suscite la crainte des Alémaniques: les soins aigus seront-ils dispensés uniquement en français?
L’historien Bernhard Altermatt, qui rédige une thèse de doctorat sur les politiques linguistiques suisses à l’Université de Fribourg, connaît bien la question. Il est même directement impliqué en tant qu’organisateur du Rendez-vous bilingue et conseiller général PDC de la ville de Fribourg.

Peut-on considérer le logo monolingue de la ville de Fribourg comme un retour en arrière?
Cela constitue plutôt une occasion manquée d’avancer. Ce n’est pas un retour en arrière, parce que le logo actuel est aussi monolingue.

Comment interprétez-vous ce choix initial des autorités?
Je pense qu’il y a beaucoup d’indifférence et une certaine inconscience des enjeux. Cet oubli n’est peut-être même pas volontaire.

Les revendications de la communauté alémanique sont-elles plus importantes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient par le passé?
L’attente de la minorité alémanique – être reconnue et traitée avec respect – a toujours été la même. Toutefois, ce qu’il était possible d’ignorer il y a trente ans, ne l’est plus aujourd’hui. Une reconnaissance des minorités a eu lieu à tous les niveaux en Suisse.


Le Conseil général de Fribourg a largement accepté une résolution qui demande un pendant alémanique au logo choisi. Est-ce un signal positif?
Je pense que la véritable évolution est là. Il y a trente ans, une telle résolution n’aurait pas été acceptée sans opposition. La levée de boucliers est intervenue tant du côté germanophone que francophone. Avec ce vote, on constate que la société, qui est représentée au Parlement de la ville, a avancé. J’y vois un parallèle avec l’affichage à la gare du nom de la ville en deux langues, qui a passé comme une lettre à la poste. L’attitude du Conseil communal de Fribourg a d’ailleurs été positive à ce sujet.

Une longue bataille a pourtant été nécessaire pour parvenir à des panneaux bilingues...
C’est une revendication formulée depuis cinquante ou soixante ans par les milieux germanophones. D’autres exemples de combats similaires existent. La société d’histoire de langue allemande avait pris contact avec La Poste en 1904, pour que les deux langues soient utilisées sur les tampons. A l’époque, le Conseil communal avait formulé un préavis négatif.

Changer un panneau ne semble pas une révolution. Pourquoi de telles réticences?
Un logo, le nom d’une ville, un panneau sont des symboles. Et, dans toute la politique des langues, les symboles sont extrêmement importants. La Confédération respecte depuis longtemps cette forme de reconnaissance des minorités. Elle utilise son nom dans les quatre langues nationales, alors qu’il y a moins de 1% de Romanches, environ 6% de Tessinois et quelque 22% de Romands. Ensuite, dans la pratique, les choses sont différentes. Les 20% de Romands au sein de l’administration fédérale doivent se battre, tout comme les Fribourgeois alémaniques en ville.

Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour poser des panneaux bilingues à la gare?
Pour le comprendre, il faut remonter à l’Ancien Régime. A cette époque, le canton et la ville formaient une seule autorité: l’allemand était la langue officielle. En 1798, les cantons et les communes ont été séparés. A cette période, la langue officielle a changé. Avec l’arrivée de la démocratie, les autorités ont repris l’idiome de la majorité. Dès lors, le français a été privilégié. Les institutions de la ville de Fribourg sont nées dans la foulée.

Et, par la suite?
A l’époque des guerres mondiales et dans les décennies qui ont suivi, l’approche restait essentiellement monolingue. Puis la minorité germanophone s’est réveillée, a fondé des associations et s’est engagée au niveau politique. Son message: nous sommes là, respectez-nous, donnez-nous l’égalité de traitement. Ce mouvement a permis au canton, dans les années 1970-1980, de devenir officiellement bilingue. Les communes ont pris davantage de temps, mais elles ont suivi le mouvement.

Au niveau cantonal, tout n’est pas achevé. Le bilinguisme est inscrit dans la Constitution, mais aucune loi n’a été rédigée...
C’est un bémol. Une véritable politique des langues a besoin d’un cadre légal. Je pense que l’idée fait son chemin. Différentes possibilités existent: créer une fondation Fribourg-Freiburg bilingue, voter une loi, constituer une commission au niveau du Grand Conseil ou une unité administrative au sein de l’administration.

Les débats sur le bilinguisme portent également sur des aspects pratiques. Pourquoi les Alémaniques craignent-ils tant de devoir être soignés à Fribourg?
A la base, c’est aussi une question symbolique. Il y a vingt ans, quand vous entriez à l’Hôpital cantonal, les formulaires d’inscription, les panneaux, tout était en français, ce qui a suscité la méfiance des germanophones. Puis, l’HFR est devenu une institution cantonale et a passé le cap du plurilinguisme.
Se posent maintenant différentes questions pratiques. Il faut rester pragmatique: on ne peut avoir un hôpital parfaitement bilingue. Ce n’est pas seulement une question de compétences en français ou en allemand: la majorité du personnel qui travaille dans le milieu hospitalier a encore une autre première langue. Je pense que la plupart des problèmes sont dans la tête des gens. Dans la majorité des cas, il n’y a aucun obstacle pour un Alémanique à se faire soigner à Fribourg.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises l’égalité. Mais peut-elle être revendiquée lorsque, dans une commune, les Alémaniques sont franchement minoritaires?
Deux aspects coexistent. En réalisant une égalité symbolique, un grand pas est réalisé, qui ne devrait gêner personne et qui règle 90% des problèmes. Ensuite, au niveau pratique, il s’agit de respecter la proportionnalité. Il faut veiller toutefois à ne pas discriminer une minorité plus qu’elle n’est déjà minorisée.

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