Les tétras-lyres, des oiseaux «potentiellement menacés»

| sam, 04. mai. 2013
Dessin Jérôme Gremaud
Depuis cinq ans, les gardes-faune effectuent des comptages méthodiques de tétras-lyres dans le massif de la Berra. Leur nombre est stable. Une zone de tranquillité pour ces oiseaux est prévue.

PAR ANGELIQUE RIME

L’obscurité est encore tenace lorsque Sébastien Lauper entame sa marche pour rejoindre le massif de la Berra. Il est 3 h 45 et seuls les quelques aboiements de joie de son chien Maya brisent le silence. Le but de cette randonnée nocturne? Atteindre le sommet escompté avant le lever du jour afin d’effectuer, pour la cinquième année consécutive, le comptage des tétras-lyres du secteur. «Ils sont actuellement en période de parade nuptiale et chantent dès la fin de la nuit jusqu’à environ deux heures après le lever du soleil», explique l’ancien garde-faune de la région.
Après une bonne heure de marche dans une neige encore abondante, ponctuée par la découverte d’une trace de lynx qui s’avère finalement être celle d’un gros blaireau, Sébastien Lauper atteint l’endroit défini. Le lieu étant tenu secret pour éviter tout dérangement.
En face, on devine une série de montagnes, imposantes. Il est 5 h 45. Un léger vent se lève, il commence à pleuvoir. Emmitouflé sous plusieurs couches de vêtements, Sébastien Lauper s’attaque au montage de sa longue-vue quand sa radio commence à grésiller. «Ce n’est pas tellement la météo qui était annoncée... Il n’y a pas un seul tétras-lyre qui chante. Et quelle neige! Depuis 1999, il n’y en a jamais eu autant!» lance Erich Peissard, un autre garde-faune venu épauler Sébastien Lauper pour le comptage. «Etre deux nous permet d’avoir une vision d’ensemble sur le massif», expose le Bullois de 36 ans, qui travaille aujourd’hui comme technicien supérieur au Service des forêts et de la faune (SFF).


Un côté un peu manchot
Vers 6 h, le jour se lève et les chants d’oiseaux, notamment ceux des alouettes des champs, des mésanges et des grives, égaient l’atmosphère. Soudain, on distingue un roucoulement, assez semblable à celui d’une poule, suivi d’une sorte de coup de faux, un genre de «pffff». Sébastien Lauper pointe sa longue-vue vers la droite. Le premier tétras-lyre est repéré, à environ 150 mètres. Il est seul.
Penché en avant, l’animal se déplace à petits pas. Ses deux ailes en forme de lyre sont déployées et laissent apparaître sa queue de couleur blanche. Puis, il se relève, étend son cou, pousse un petit cri faisant se balancer la crête rouge qui orne sa tête. «Ils ont un côté un peu manchot! Ils sont plus à l’aise sur la terre que dans les airs, même s’ils peuvent voler assez loin si nécessaire.»
L’ancien garde-faune ne tarde pas à repérer d’autres tétras-lyres. «Avec l’habitude, je sais qu’il y en a généralement cinq par ici, quatre à côté ou encore six plus loin. C’est un oiseau assez territorial qui aime les zones entre forêt et pâturages, remplies d’arbrisseaux. D’année en année, certains peuvent toutefois se déplacer afin de rencontrer d’autres femelles.» Et mieux vaut savoir où les petits coqs paradent. Les plus éloignés, qui s’ébattent à environ deux kilomètres, ressemblent en effet à de vulgaires points noirs. «Nous les comptons uniquement à distance pour essayer d’être le moins intrusif possible. De plus, je ne fais pas de photos.»


Bataille de coqs
Sur une large surface neigeuse, on aperçoit toutefois assez nettement un attroupement de cinq tétras-lyres. Des envies de combat s’invitent au sein du groupe. Les individus se tournent autour, entonnent leurs roucoulements caractéristiques, sautent dans les airs et se battent à coups de bec pour conquérir les femelles. «Ils font les fous!» s’amuse Sébastien Lauper.
De manière générale, il les trouve pourtant assez calmes. «La neige, encore bien présente, les dérègle peut-être un peu.» Le garde-faune précise que seuls les mâles sont comptés. «C’est ainsi que les méthodes sont établies. Si on voit des femelles, elles sont toutefois prises en compte, mais elles sont souvent difficiles à repérer. Elles restent plutôt cachées et leur couleur brune se confond avec les herbes alentours.»
Après environ deux heures d’observation, Sébastien Lauper amorce la descente. Il est 7 h 45. Sur son chemin, il trouve quelques cigares, autrement dit des crottes de tétras-lyres. «La consistance et la couleur dépendent de ce qu’ils mangent. En hiver, c’est généralement assez fibreux.» Des cigares qui sont la preuve que cet oiseau reste, pour l’heure, encore bien présent dans la région, «même s’il est sensible au dérangement».

 

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Anticiper leur disparition
D’ici au 1er janvier 2014, le Service des forêts et de la faune (SFF) prévoit la création d’une zone de tranquillité pour les tétras-lyres dans le secteur de la Berra. «Dans le cadre de la construction du télémixte, la mise sur pied de cette zone fait partie des mesures de compensation exigées en rapport avec la protection de la nature», explique Anne-Laure Müller, collaboratrice scientifique au SFF. Cette zone, dont le périmètre est actuellement en consultation auprès des communes de La Roche et de Cerniat, devrait englober 3 ou 4 kilomètres carrés de terrain. De début janvier à fin juin, il y sera interdit de sortir des chemins balisés et les promeneurs devront tenir leur chien en laisse. «Le but sera surtout de sensibiliser et d’informer les gens. S’il y a des infractions, il sera toutefois possible d’amender les fautifs», détaille Anne-Laure Müller.
La commune de Cerniat se dit favorable à la mise sur pied de cette zone. «Nous n’en pensons que du bien et n’avons pas vraiment de remarques. Si ce n’est que des mesures d’accompagnement doivent être prévues», déclare Jean-Bernard Fasel, vice-syndic. Philippe Gaillard, chef d’exploitation des remontées mécaniques de la Berra, considère que «cette zone est trop grande. Certains endroits risquent de nous poser des problèmes d’exploitation.» Un avis partagé par la commune de La Roche «qui demandera un rétrécissement de la zone», indique le syndic Joël Brodard.


Espèce «potentiellement menacée»
De son côté, Sébastien Lauper, ancien garde-faune dans le secteur de la Berra, met l’accent sur la nécessité d’anticiper les éventuels problèmes. «Lorsque la zone de silence pour le grand tétras a été créée dans un secteur voisin, l’espèce n’a plus été observée après deux ans. La réaction a été trop tardive.» Sur la liste rouge 2010 établie par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), le tétras-lyre est considéré comme «potentiellement menacé». Sébastien Lauper précise qu’il est «sensible» au dérangement. «Les gens pensent que ces oiseaux ne sont pas stressés. C’est faux. Il est possible de détecter une hormone dans leurs crottes qui prouve leur tension. D’où l’importance de ne pas les déranger, surtout durant la période de parade nuptiale.»
L’ancien garde-faune explique également qu’avec «l’expérience d’autres régions, on peut imaginer l’impact que le télésiège aura – attractivité et fréquentation augmentées – sur les tétras-lyres. Leur présence a diminué dans plusieurs endroits à cause de la pratique de loisirs.» Sébastien Lauper ajoute que «ces mesures permettront à de nombreuses autres espèces sensibles au dérangement de cohabiter avec les activités de loisir». AR
 
 

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