Les Jaquet, aventuriers, mais attachés à leur terre

| mar, 09. jui. 2013
Cet été, La Gruyère retrace l’histoire de quelques familles incontournables de la région. Premier volet: les Jaquet d’Estavannens.

PAR JEROME GACHET


Qui dit Estavannens dit Jaquet. C’est pourtant un Pharisa qui a reconstitué l’imposant arbre généalogique de la famille. Et ce n’est pas une mince affaire. En remontant les couloirs du temps, individu après individu, Jean Pharisa, 74 ans, a croisé 879 Jaquet et les a répertoriés sur son site internet (www.pharisa.ch, voir sous familles d’Estavannens).
Pas simple de s’y retrouver au milieu de tous ces Jaquet… surtout quand ils portent le même prénom. «Sur 399 femmes, 128 s’appellent Marie», rigole cet ancien employé de La Poste venu passer sa retraite à Bulle.
Mais il faut plus qu’une centaine de Marie Jaquet ou quelques dizaines de Jean Jaquet ou de Jacques Jaquet pour décourager notre homme. Après des années de recherche, le Stabadin a mis en évidence sept branches, dont cinq se sont éteintes.
Pour les deux restantes, il est remonté en ligne directe quatre cents ans en arrière. Au sommet de l’arbre règnent Claude Jaquet, né en 1590 et Jean Jaquet, qui vit le jour en 1610. Impossible d’aller plus loin dans le temps: les documents manquent.


Une ou deux branches?
«Ces deux familles sont peut-être liées très loin dans le temps, mais je n’ai aucune preuve», répond-il. Jean Pharisa n’a en revanche pu établir aucune correspondance avec les Jaquet de Grolley ou avec ceux de Fuyens. Probablement parce qu’il n’y en a pas.
Mais au fait, pourquoi les Jaquet s’appellent-ils les Jaquet? «Ce nom est dérivé de Jacques, indique Pierre Zwick, président de l’Institut fribourgeois d’héraldique et de généalogie. Il ne faut pas chercher très loin: les Jaquet sont probablement les fils d’un certain Jacques.»
Les spécialistes s’accordent à dire que les noms de famille sont probablement apparus entre le XIIe et le XIIIe siècle, par besoin de distinguer les personnes.
Mais en généalogie, rien n’est évident. Vers le XVe et le XVIe siècle, les «Jaquet» portent indifféremment les noms de Jaquet, Jacquet – si, si avec c – mais aussi, sans logique apparente, de Sallagnon, Sallagnion ou Ramel. Ce problème de patronyme à géométrie variable fut définitivement réglé quand le canton de Fribourg fixa l’orthographe officielle des noms de famille, en 1850.
Dans sa quête des origines, Jean Pharisa a fait des rencontres émouvantes. Il a sorti de l’oubli d’innombrables paysans trop attachés à leur village pour le quitter. Il a pu se passionner pour la vie trépidante de Joseph Jaquet (lire ci-dessous).
Son chemin a croisé celui de la grande histoire. Jeahan Sallagnon, dit «Jaquet» a participé à la bataille de Morat, en 1476. Le soldat est le plus ancien Jaquet retrouvé par Jean Pharisa.
Henry Jaquet, lui, fit partie du 4e régiment suisse lors de la Bérézina, en 1812. Quant à Claude Jaquet, il vécut la Révolution française pour le compte du roi de France.
D’autres ont émigré au Brésil, en Franche-Comté ou, récemment, au Canada, donnant naissance à de nouvelles branches.
D’où viennent les Jaquet? «Comme la plupart des Gruériens, ils ont probablement des origines celtiques», reprend Pierre Zwick. Car si les Romains sont certainement arrivés jusqu’à Riaz, ils ne sont pas allés au-delà de Bulle, estiment les historiens. Les Jaquet et leurs ancêtres sont donc là depuis toujours, ou presque.
Longtemps considérée comme une région pauvre, la Gruyère est plus une terre d’émigration que d’immigration. Une tendance qui ne s’est inversée que ces dernières années.
 

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Les Jaquet vivent vieux
En 2013, les Jaquet sont toujours omniprésents à Estavannens, représentant près de 20% de la population. Député au Grand Conseil (1984-1991) et agriculteur «presque» à la retraite, Fernand Jaquet (67 ans) les connaît bien. Rien à voir, cependant, avec l’époque où les Jaquet, les Caille et les Pharisa formaient la quasi-totalité des troupes. Voilà qui n’était pas toujours simple à gérer, surtout quand le régent s’occupait d’une soixantaine de gamins, dont une ribambelle au patronyme identique. Fernand Jaquet s’en souvient comme si c’était hier. «Comme il fallait trouver des moyens de différencier les gens, on précisait le prénom d’un aïeul. Il y avait donc “ceux à Pacifique”, “ceux à Simon” ou “ceux à Clément”. Mais cette manière de procéder a disparu avec ma génération. Mes enfants ne sauraient plus à qui je fais référence.» Fernand Jaquet se rappelle aussi les inévitables confusions du postier, d’autant que les maisons n’étaient pas numérotées…
Même s’il y a peut-être des origines communes en remontant très loin dans le temps, les Jaquet d’Estavannens forment aujourd’hui des familles bien distinctes. «Je dirais entre cinq et sept», estime Fernand Jaquet. Il y a Jaquet et Jaquet.
Impossible, selon lui, de leur attribuer un trait de caractère commun. On prend peu de risques en affirmant qu’il s’agissait d’une famille PDC, mais comme la très grande majorité des habitants l’était aussi… A cette époque, les radicaux étaient en effet rares et les socialistes presque inexistants. Et, dans ce cas, ils ne le criaient pas sur les toits… Les luttes partisanes ont laissé la place à des listes d’entente. Puis, le village a fusionné.
Tout a changé à Estavannens: le charron, le sellier, le boulanger, la commerçante ont disparu. Heureusement, la H189 a rapproché le village de la ville. Les jeunes reviennent.
Les Jaquet, eux, sont toujours là. Et pour longtemps: les deux premiers centenaires du village sont des Jaquet, Maurice et Alice. JG

 

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Les aventures de Joseph
La star de la famille, c’est lui. Né en 1822 à Estavannens et mort en 1900 à Echarlens, Joseph Jaquet a connu une vie trépidante. Il fut conseiller national, conseiller aux Etats, conseiller d’Etat, député au Grand Conseil, président du Tribunal de la Gruyère, officier dans l’armée, avocat et notaire.  Il participa aussi à l’Assemblée de Posieux, en 1852, connut le succès, mais aussi l’exil.
«Une forte tête», comme le décrit Jean Pharisa. Joseph Jaquet a rédigé ses mémoires sous le titre Souvenirs d’un Gruyérien, dont on peut lire le premier des quatre tomes sur le site www.pharisa.ch.
En 1843, il est le seul survivant d’une avalanche qui emporte ses camarades à La Chaux, six kilomètres au-dessus d’Estavannens. Il explique avoir invoqué la Sainte Vierge pour le sauver.
Impliqué dans une insurrection contre les radicaux en 1848, il se compromet. Comme plusieurs de ses compagnons conservateurs, il prend ses jambes à son cou. Une expression qui, ici, n’est pas usurpée. Voici en effet le récit de son départ dans les Souvenirs d’un Gruyérien: «Déjà avant six heures du matin, nous prenions le chemin de l’exil: nous nous dirigeâmes sur Bellegarde, par le col de la Forclaz et la vallée du Motélon. De Bellegarde, nous franchîmes le Bruch et descendîmes à Boltigen; là, nous étions hors d’atteinte de la police fribourgeoise. Notre intention était d’aller coucher sur les bords du lac de Thoune, puis de traverser le Brunig pour aller à Wolfenschiess, où se trouvait alors le bon père Frantz Rothenflue. Nous pensions pouvoir séjourner dans l’un des cantons de la Suisse primitive sans y être inquiétés, jusqu’à ce que nous eussions les passeports nécessaires pour nous rendre à l’étranger.»
C’est le début d’un périple de quatre ans qui le mène en Autriche, en Allemagne et en Italie. Il découvre le monde et étudie. De retour en Suisse en 1852, il termine sa formation en droit à Fribourg et gravit les échelons sociaux à grands pas.
Joseph Jaquet a laissé une trace indélébile dans la région. Il a notamment joué un rôle décisif pour la construction du fameux pont en fer qui mène à Estavannens, mais aussi pour le train entre Bulle et Romont ainsi que pour la route reliant Bulle à Boltigen. JG

 

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