Au service de la culture

| mar, 17. sep. 2013
Depuis trente ans, Gérald Berger a initié ou accompagné l’impressionnant développement de la culture fribourgeoise. Premier chef du Service de la culture, il a choisi de prendre une retraite anticipée, pour «ne pas terminer en reculant».

PAR ERIC BULLIARD



Avec quel sentiment laissez-vous votre poste?
Je crois avoir fait tout ce que je pouvais pour que se développe la culture fribourgeoise. Quand je suis entré en fonction, un quotidien avait titré que Fribourg était un désert culturel. Aujourd’hui, c’est une sorte de forêt alluviale. Les lois et les instruments successifs mis en place durant trente ans ont produit des alluvions qui donnent des terres que je trouve fertiles: l’offre culturelle est assez extraordinaire.

Au début des années 1980, ce désert culturel a rapidement laissé place à un bouillonnement…
Effectivement, il y a eu un croisement de différentes situations. D’abord la décision politique de créer un Service de la culture, à la suite d’une motion de Noël Ruffieux. En même temps, une série d’initiatives ont donné naissance à Fri-Son, Fri-Art, le Belluard, les Rencontres folkloriques, puis le Festival de films, le Théâtre des Osses… Les choses commençaient enfin à bouger, ce qui a permis de prendre conscience de la nécessité de développer une politique culturelle.

Ce devait être extrêmement stimulant…
Les années 1980 ont été passionnantes. Quand je suis arrivé, j’avais un budget de 113000 francs et le secrétaire général m’a dit que tout était déjà dépensé. Il n’y avait donc pas d’argent, mais il fallait avoir des idées, susciter une volonté auprès des autorités cantonales et tenter des expériences. A l’époque, dans ce canton, la notion de créateur professionnel était totalement inconnue. On avait un terreau amateur extraordinaire, mais que quelqu’un vive de son métier de comédien ou de danseur, c’était difficile à expliquer à un politicien. L’idée de ne soutenir que les professionnels a été un premier électrochoc.
D’emblée, nous avons aidé Fabienne Berger, Da Motus, le Belluard, mais sans base légale. La deuxième étape extrêmement intéressante a été de créer la législation sur la culture, toujours en vigueur. J’ai découvert que ce n’était pas une fonction administrative, mais créatrice, où il faut faire preuve d’imagination et d’astuce.

Cette loi de 1991 sur la culture est apparue comme novatrice: en quoi l’est-elle?
Les lois culturelles des cantons étaient à l’époque passe-partout. Nous l’avons voulue efficace, proactive et il fallait déterminer les responsabilités de chacun. Une des forces de cette loi, c’est d’être adaptée à la situation fribourgeoise. Or, à l’époque, il n’existait aucune ville ou agglomération qui avait la volonté ni les moyens de soutenir la création professionnelle. Il fallait que l’autorité supérieure le fasse. Le deuxième point fort a été de responsabiliser les préfets: la loi leur donne une possibilité d’agir pour mettre ensemble les communes dans tout ce qui est animation culturelle.

Parmi les différents instruments créés pour soutenir les artistes (bourses, ateliers…), y en a-t-il un dont vous êtes particulièrement fier?
L’Enquête photographique. Il en a existé en France ou aux Etats-Unis, un peu en Valais, mais c’est la seule systématique en Suisse. Elle attire les candidatures de jeunes photographes de talent, de la Suisse et de l’étranger. J’espère qu’elle va survivre à ma vie professionnelle. Elle a trois qualités: la dimension créatrice, le regard sur la réalité d’aujourd’hui, souvent porté par quelqu’un d’extérieur au canton, et la constitution d’un patrimoine.
L’Orchestre de chambre fribourgeois est la dernière chose dont je suis fier. Quand il a joué pour la première fois à La Tour-de-Trême, c’était un des bons moments de ma vie.

Les années 2000 ont constitué un autre moment charnière avec l’arrivée des salles de spectacle…
Oui, et c’est quand même grâce à l’Etat qu’elles ont été créées. En 1996, pour répondre à un postulat de Jean-Bernard Repond concernant le théâtre dans le canton, j’ai réussi à convaincre le Conseil d’Etat de prévoir deux choses: que les préfets établissent un Plan directeur cantonal, donc qu’ils disent s’ils avaient l’intention de construire une salle de spectacle, et que le canton accepte de subventionner ces salles. En l’espace de cinq ans, six projets ont été déposés et ont vu le jour. L’Etat ne subventionnait que 25% de l’investissement, mais cette chiquenaude a été décisive.

Les infrastructures se sont développées, mais le canton a dû restreindre les aides à la création théâtrale: n’est-ce pas paradoxal?
C’est une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de prendre une retraite anticipée: je n’avais pas envie de terminer ma carrière en reculant. J’espère sincèrement que ce n’est pas ce qui va se passer, mais force est de constater qu’aujourd’hui on réunit difficilement une volonté politique pour augmenter les moyens en faveur de la culture.
Dans les cantons de Vaud, de Genève ou du Valais, des moyens importants et en augmentation sont à disposition de la création culturelle. Alors que nous nous trouvons en position de stagnation voire de repli. Le budget global de 3,9 millions a très peu évolué ces dernières années, alors que l’offre culturelle n’a jamais été aussi importante. Il y a un risque, à terme, que cette création fribourgeoise s’étiole. Nous avons des infrastructures et de jeunes artistes qui sortent des écoles: il faudra prendre nos responsabilités face à cette nouvelle génération.
Ce manque de moyens nous a contraints à être plus sélectifs, ce qui peut aussi être une bonne chose. Nous nous trouvions face à ce dilemme: faire de l’arrosage en donnant à chacun un petit peu ou devenir sélectif en confiant à des jurys le soin de choisir pour nous. Isabelle Chassot a eu le courage politique de décider de passer à la sélection.

Est-ce uniquement une question financière ou la place de la culture n’est-elle toujours pas reconnue à sa juste valeur?
Dans la société, l’intérêt pour la culture est réel et nous sommes à des années-lumière de la situation de 1980. Mais j’ai du souci au niveau politique: au Grand Conseil, il existe un club du sport, un club de l’agriculture, un club de l’économie, de la formation, mais il n’y a jamais eu de club de la culture. Or, c’est bien là que les décisions se prennent, que les budgets se votent, que les propositions politiques se font. Dans le domaine culturel, il n’y a pas de lobby.

Partez-vous avec des regrets, des dossiers que vous n’avez pas pu boucler?
Avec le soutien d’Isabelle Chassot, nous avions développé un projet ambitieux et de qualité de médiation culturelle, qui n’a pas passé le stade de la première lecture du programme de législature, en raison des mesures d’économie. C’est un immense regret et une des raisons qui m’ont poussé à partir un peu plus tôt. Le travail est encore immense pour tout ce qui a trait à la sensibilisation des jeunes à la culture.
 

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