Le Riazois qui donne vie à des partitions

| sam, 07. sep. 2013
A 25 ans, Luca Bizzozero mène son monde à la baguette. Entre Riaz et Moscou, le chef d’orchestre vit sa passion. Il a monté un projet d’enregistrement produit par Sony.

PAR ROMAIN BARDET


Luca Bizzozero tient à coup sûr une baguette magique entre ses doigts. A seulement 25 ans, le Riazois voyage entre Moscou, Dubrovnik et Paris pour diriger des orchestres toujours plus prestigieux. Pourtant, rien ne le prédestinait à embrasser cette carrière. «Ayant grandi en Gruyère et étant né de parents non-musiciens et non-millionnaires, mon cas n’est pas commun, lance Luca Bizzozero avec humour. J’ai réussi à me faire connaître grâce à ma volonté et à beaucoup de culot.»
De la détermination, le musicien n’en a jamais manqué. A 16 ans, encore étudiant au Collège du Sud, à Bulle, il décide de mettre «les bouchées doubles» pour réaliser son rêve. «Je faisais du cor dans le Corps de musique de la ville de Bulle, mais je n’avais pas la prétention de devenir musicien. L’envie de la direction m’est venue en assistant à des concerts. Je me rappelle une représentation du Turc en Italie de Rossini, en 2001 à Vienne. Extraordinaire!»


«J’ai provoqué ma chance»
A 17 ans, le jeune homme reprend le flambeau de l’orchestre Pro Musica, fondé par le chef d’orchestre suisse Armin Jordan. Une expérience qu’il poursuivra jusqu’à la fin de ses études à Bulle. Luca Bizzozero va travailler d’arrache-pied avec en ligne de mire l’Ecole normale de musique à Paris. «J’étais inscrit au Conservatoire à Fribourg en cor, piano et violoncelle. Je prenais également des cours de solfège. Durant ces années, je ne faisais plus que ça! En musique, il y a des numerus clausus très importants. Sur cent candidats à Paris, nous ne sommes que six à avoir été pris.» En parallèle, il suit un cursus à l’Université et à la Haute Ecole de musique de Genève.
Mais, au sortir des études, faire sa place dans le milieu de la direction d’orchestre demande de la persévérance. «Tu écris, tu téléphones et tu rappelles. Parfois, c’est presque du harcèlement, reconnaît-il. Mais à force d’insister, on finit par se souvenir de toi.» Et même si Luca Bizzozero parle d’un «monde de requins», il n’a jamais douté de sa voie. «J’ai toujours voulu créer et concrétiser mes idées. C’est à toi de construire une atmosphère.»
Il reconnaît aussi avoir «rencontré les bonnes personnes au bon moment. Dans ce milieu, être surdoué ne sert à rien si tu n’as pas le facteur humain. Certains sont soutenus parce qu’ils sont des fils de. Moi j’ai provoqué ma chance».


Un ultimatum à 30-35 ans
Au fil des années, plusieurs orchestres vont lui ouvrir leurs portes. «Je suis jeune, donc c’est avantageux pour eux au niveau financier, mais les musiciens m’attendent au tournant. C’est difficile d’être crédible et de montrer que je suis capable, indique le Riazois. Si tu es trop humble, on t’écrase et si tu es trop arrogant, on t’envoie contre le mur.» Mais être jeune est aussi un atout. «La musique évolue. J’ai plus de temps pour faire de la recherche musicologique et apporter de nouveaux répertoires.» C’est par ce travail de recherche musicale que Luca Bizzozero a monté un projet d’enregistrement produit par Sony.
Si le jeune chef reste pudique sur les chiffres, sa passion ne lui permet pas encore d’avoir une stabilité financière. Il exerce donc une activité d’antiquaire en parallèle. «Ce travail va dans le même sens que la direction. Je redonne vie à un objet, comme je le ferais avec une partition. Je ne peux pas avoir de métier fixe, dans une entreprise par exemple, parce que je dois toujours rester mobile.» Luca Bizzozero est à Riaz environ un tiers de l’année, chez ses parents. «Ça ne sert à rien que je loue un appartement pour le temps que je passe ici», indique-t-il.
Ces années à courir le monde, le jeune chef les accepte. «Ça fait partie du jeu, aime-t-il rappeler. Financièrement, je m’en sortirai certainement à partir de trente, trente-cinq ans. C’est mon ultimatum.» L’objectif est de trouver une place fixe en tant que chef titulaire. «Mon rêve est d’avoir un orchestre où je puisse développer différents répertoires et travailler le son. Bien sûr, un bon orchestre permet de faire plus de choses.»


«Diriger est une addiction»
En attendant, les défis s’enchaînent. «Parfois c’est facile et d’autres fois non. Il y a toujours une angoisse pendant les répétitions et les concerts. Diriger, c’est une addiction. Il y a des moments où j’ai l’impression de planer, de perdre contact avec la réalité.»
En couple depuis quatre ans, Luca Bizzozero reconnaît l’importance d’une famille dans la vie qu’il mène. «C’est un métier que tu ne peux pas faire sans être soutenu. Ma fiancée m’accompagne toujours en voyage. Sans elle, ça serait physiquement et psychologiquement impossible.» Cette vie, Luca Bizzozero l’a choisie et il l’aime. «Je n’ai pas besoin de vacances, je prends assez l’avion, lance-t-il avec le sourire. C’est dans mon caractère! Je me suis battu, mais ça en valait la peine.»
Et lorsqu’on lui demande ce que ses origines gruériennes lui apportent, il répond sans hésiter: «La diplomatie suisse. Cela m’aide beaucoup dans mon métier. Cette mentalité régionale m’a appris le respect mutuel et à ne pas prendre les gens de haut. C’est central dans la direction.»

 

----------------------------

 

Un disque chez Sony
Dans le monde de la direction d’orchestre, l’enregistrement tient également une place importante. En début d’année, un CD regroupant deux concertos des compositeurs allemands Andreas et Bernhard Romberg est sorti sous le label Sony Classical. Un projet monté par Luca Bizzozero au terme d’un travail de recherche musicale. «J’ai beaucoup joué du Beethoven et en parcourant la littérature autour de ce compositeur, j’ai découvert les cousins Romberg. J’ai été étonné que presque rien n’ait été enregistré les concernant.» Pour le Riazois, «on ne connaît sûrement que 10% de la musique qui a été écrite».
Avec Lionel Cottet, un ami violoncelliste rencontré durant ses études à Genève et Yury Revich, un violoniste russe, Luca Bizzozero a proposé ce projet à plusieurs producteurs. «Sony est le seul à nous avoir répondu positivement. Il faut dire que les grands labels recherchent toujours de futurs talents, mais également des œuvres nouvelles qui peuvent fonctionner au niveau commercial.» Le disque a été enregistré en Allemagne avec l’Orchestre symphonique de Hof. «Nous avons reçu des subventions de la ville et de la Bavière. En Allemagne, il y a une politique de promotion des jeunes artistes.»
Pour le Riazois, ce disque est «une carte de visite extraordinaire. C’est la meilleure publicité que je puisse avoir, car tu es diffusé dans le monde entier. En tant qu’artiste, plus tu as de pages sur internet, mieux c’est.» Grâce à ce contrat, Luca Bizzozero est le plus jeune chef d’orchestre du label Sony.

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses