Par amour pour les gens

| mar, 22. oct. 2013
C’est la première fois qu’un chef fribourgeois obtient 18 points au Gault & Millau. A 52 ans, Pierre-André Ayer, du restaurant Le Pérolles, à Fribourg, continue d’enthousiasmer la planète gastronome. Et se livre en toute simplicité.

PAR JEAN GODEL

A l’entendre, c’est à ses fidèles amis cuisiniers qu’il doit son 18e point au Gault & Millau 2014, Pierrot Ayer: Alain Bächler, des Trois Tours, à Bourguillon, et Marcel Thürler, l’ancien chef du restaurant de la Tour, à La Tour-de-Trême. Ses frères de sueur avec qui, jeune cuisinier, il a partagé les coups de feu derrière les fourneaux du Pont de Brent pour le premier, du Schweizerhof à Berne pour le second. Sans compter tous les autres qu’il voudrait voir cités dans l’article… «Vous ne pouvez pas imaginer tout ce que nous partageons. Avant d’aller à la remise des distinctions, le 7 octobre, je suis passé chez Alain boire un café: je lui dois tant.»
Ayer, Bächler, Thürler: une génération qui a soulevé le couvercle sur un canton de Fribourg gastronomique, inventif, authentique. Avec d’autres, bien sûr – Pierre-André Ayer rend aussi hommage à Orlando Grisoni. Reste qu’il est le premier Fribourgeois à obtenir 18 points sur 20. «Fribourg est une métropole culinaire et Pierrot Ayer y donne le ton», résume le Gault & Millau.


D’abord boy de cuisine
Généreux en tout, le «Promu romand de l’année 2014» du guide gastronomique se raconte près de deux heures durant dans un coin de son restaurant, alors que ses cuisines chauffent déjà pour le service de midi. Fils d’un employé des CFF, né en 1961, il passe son enfance dans le quartier du Jura, à Fribourg. Pour celui qui aime répéter qu’il fonctionne à la passion, l’école secondaire des garçons, au Belluard, est un vrai pensum. A quinze ans, il se teste à la Pension du Mont-Blanc, aux Marécottes. Comme boy de cuisine. Une révélation. Le chef lui laisse sa chance? Il la saisit et prépare son premier menu.
Son apprentissage, il le commence durant la Fête des vignerons, le 14 juillet 1977, à l’Auberge de Rivaz, et le finit au Buffet de la Gare, à Lausanne. S’enchaînent alors des adresses prestigieuses comme le Baur au Lac, à Zurich, le Suvretta House, à St-Moritz, ou le Schweizerhof, à Berne. Mais aussi le Bruderholz, à Bâle, chez Hans Stucki, ou encore le Pont de Brent, chez Gérard Rabaey. «Je suis tombé sur des maîtres de l’ancienne génération: leurs valeurs étaient marquées par le respect.» Respect du produit, mais aussi du travail des hommes. Après avoir dirigé le Buffet de la Gare, à Fribourg, de 1988 à 1992, il s’installe à son compte à la Fleur-de-Lys, en Basse-Ville.
Puis ce sera Le Pérolles, en octobre 2002, un outil taillé à sa mesure, voire à son image: des lignes simples, sans chichis, à première vue carrées, mais au final un écrin chaleureux au service entier de la gastronomie et du plaisir des hôtes. Et une terrasse flottant dans les feuillages de la forêt qui se déroule vers la Sarine.


Steak contre chou braisé
Quand, jeune apprenti, il rentre à la maison, entre deux entraînements de foot au FC Richemond, sa mère lui prépare de bons petits plats. «Elle pensait me faire plaisir avec un bon gros steak, mais moi je voulais ses choux braisés et sa saucisse au foie! Sa cuisine était simple, mais très bonne, avec les produits du jardin potager.»
Faut-il y voir l’origine de son amour du terroir, source inépuisable de son inspiration et de son enthousiasme? «Je ne sais pas d’où ça vient. J’aime tout simplement la vie, les gens, boire un verre, bien manger, partager», admet-il, simplement sincère. L’amour des gens: l’expression revient chez lui comme un leitmotiv. Des gens qui le lui rendent bien. Il n’y a qu’à voir la galerie de sourires qui illustrent son livre Pierrot Ayer authentique sorti en 2008. «J’ai le respect du terroir pour ce qu’il dit des gens de chez nous.»
Le terroir ne fait pourtant pas tout, même si on ne verra pas de cuisine moléculaire chez Pierrot Ayer. Quoique… Au-delà de sa trilogie – rigueur, respect, propreté («comme dans la vie!») – il y a la créativité. «Il faut aussi savoir être fou. Les gens se font parfois une fausse image de moi. Ce qui est sûr, c’est que le respect des bases est fondamental: si c’est sale dans les frigos, ça sera sale dans les assiettes.»
Dans l’idée de sublimer ce terroir tant aimé, Pierrot Ayer voyage beaucoup, respire l’air des lieux, puis s’en inspire pour ses plus belles créations: «Les pieds solidement ancrés dans le terroir local, écrit d’ailleurs le Gault & Millau, il défend ses valeurs et leur reste fidèle. Il n’en étonne pas moins ses hôtes grâce à son originalité et à sa créativité. Il ne cesse de nous enthousiasmer.»

 

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«On joue deux matches par jour»
Pierrot Ayer est aussi connu pour son caractère entier: chez lui, le coup de gueule se marie parfois au coup de feu. Mais voilà, une cuisine n’est pas une démocratie participative: pas de président à la tête d’élus du peuple, mais un chef qui conduit sa brigade au combat! «Je suis un peu ours, c’est vrai, mais il faut entrer dans mon personnage. Et là, on verra que je suis très généreux. Trop même. Mais j’ai évolué.»
En connaisseur, Pierrot Ayer compare son travail à celui d’une équipe de foot. Mais une squadra qui jouerait deux matches par jour. En plus, ses «joueurs» sont jeunes pour la plupart, alors il faut les former, parfois aussi les motiver. «Des fois, je me mets en colère pour des conneries, une pointe de cerfeuil ou un poireau séché qui ne finissent pas bien l’assiette. Ce n’est pas toujours facile pour les autres. Mais j’oublie vite. Et surtout, c’est toujours pour offrir le meilleur de nous aux hôtes.» Le chef sait être aussi reconnaissant: «Quand l’équipe s’est bien battue, on boit un coup.» Surtout, ses hommes sont solidaires. «On vit ensemble, il ne faut pas l’oublier!»
Autre réputation que celle d’un hyperactif qui ne compte plus ses engagements: ambassadeur du vacherin fribourgeois ou de Novae Restauration (une entreprise de restauration collective), Pierrot Ayer est encore membre d’une demi-douzaine de comités actifs dans les métiers de bouche. Sans parler de 2008 qui l’a vu écrire son livre de recettes et concocter les menus servis dans les avions de Swiss. Ou de 2001 quand, souhaitant réunir ses contemporains, il s’est retrouvé à cuisiner pour des centaines de Fribourgeois nés comme lui en 1961. L’ubiquité faite homme.
Lui parle de générosité et de passion. «Jamais je ne me suis lassé. Si personne ne tire en avant, on ne fait rien.» Pourtant, il reconnaît que ses à-côtés n’ont pas toujours fait du bien à ses brigades. «Mais je peux être calme,  assure-t-il, ne pouvant empêcher un gros éclat de rire de Françoise, son épouse jamais très loin de lui.


Les signaux de la vie
L’âge venant, Pierrot Ayer dit avoir compris certains signaux que la vie, prodigue elle aussi, lui a envoyés. Depuis deux ans, Le Pérolles ferme trois jours par semaine et son patron se préserve un peu, lui et les siens: il s’est remis au sport, se ressource dans la nature, va au lit plus tôt. «Je fais gaffe», dit-il les yeux dans les yeux – une expression qui, avec lui, prend tout son sens.
Sa récompense, c’est bien sûr la reconnaissance de la profession. Mais surtout, celle, toute simple, des Fribourgeois, généreux de cœur eux aussi: «Quand je n’ai pas la patate, il me suffit de descendre la rue de Lausanne à pied. Il faut voir, alors, le sourire des gens qui me croisent… Ils me rendent tout au centuple. C’est grandiose!»
L’avenir? A moitié sérieux, il se verrait bien un jour aux Colombettes, à Cerniat ou à Charmey… «La Gruyère est mon pays de prédilection.» Pour l’heure, il est au cœur de Fribourg, fier de son coin de pays: «C’est ma plus grande fierté, avec ma femme et mes enfants: la richesse immense, mais modeste des Fribourgeois.» JnG

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