Se vêtir par petites révolutions

| sam, 26. oct. 2013
Le vêtement de sport en dit long sur le monde d’hier et d’aujourd’hui. L’historien bullois Jean-Claude Bussard traverse les époques, de Suzanne Lenglen à Roger Federer. La principale évolution s’est faite au niveau des matières.

PAR KARINE ALLEMANN

L’histoire du monde peut se raconter de bien des façons. Professeur de sport au CO de La Tour-de-Trême et au Collège du Sud, Jean-Claude Bussard aime à observer les époques par le prisme du sport. Dans le dernier numéro des Cahiers du Musée, publié par le Musée gruérien, celui qui est aussi docteur en histoire publie un article sur l’Evolution du vêtement sportif des Fribourgeois au fil du temps.
Formidable vecteur d’émancipation, immense source de motivation dans la recherche scientifique ou encore argumentaire marketing, le vêtement de sport dit bien plus qu’une simple appartenance à une équipe. Le Bullois Jean-Claude Bussard raconte les principales évolutions.

Ah! les années folles
Ceux qui s’adonnaient à la pratique sportive l’ont longtemps fait en habits de ville, en bonne convenance. En montagne par exemple, on grimpait vers les sommets en costume certes confortable et solide, mais une cravate autour du coup. «Les premiers vêtements spécifiques pour le sport ont été les bloomers, culottes bouffantes portées dès 1850 aux Etats-Unis par les femmes qui roulaient à bicyclette. Puis sont arrivés les maillots de bain», entame Jean-Claude Bussard.
La première révolution à large échelle date des Années folles, après la Première Guerre mondiale. «En l’absence des hommes partis au front, les femmes avaient dû assumer de nombreuses responsabilités. Ce qui leur avait procuré une nouvelle confiance en elles. Dans les années 1920, c’était la mode garçonne, la femme était l’égale de l’homme. Le sport a commencé à prendre une place beaucoup plus importante et les habits se sont transformés. Ils sont devenus plus confortables.»
Mais tout le monde ne voit pas d’un bon œil ces femmes se promener à vélo – se déplacer à bicyclette a été un premier pas vers l’indépendance – ou «gesticuler sur la place publique» (n.d.l.r.: comme le souligne un rapport de la Commission scolaire de Grandvillard en 1913). «Il y a des freins énormes, surtout dans les régions où la religion était importante.» Les femmes pouvaient s’adonner à des activités de gymnastique, mais couvertes des pieds aux épaules, et dans des espaces fermés. «J’ai retrouvé un témoignage qui date de 1960, où une enseignante à l’Ecole normale féminine de Fribourg refusait à l’inspecteur cantonal de venir inspecter ses cours de gym, parce qu’elle ne voulait pas de regard masculin sur ses élèves. On croit que c’est vieux. Mais pas tant que ça.»

Les premiers numéros et le bikini du beach
Dans les sports collectifs, les maillots ont pour premier objectif de reconnaître les équipes.  «Comme les autres vêtements, ces maillots se raccourcissent au fil du temps. Au début du XXe siècle, les joueurs de foot portaient des pantalons trois quarts inspirés des alpinistes, qui avaient inventé ce pantalon avec de longues chaussettes pour ne pas lui marcher dessus. Et les manches étaient longues.» Dès les années 1930, le port du short pour les messieurs et de la jupe-culotte pour les dames se généralise.
Jean-Claude Bussard relève que les premiers numéros sont apparus sur des maillots en 1911 à Sydney, lors d’un match de foot australien. «C’est pour la Coupe du monde 1950 que la FIFA a officialisé l’inscription des numéros sur les maillots.»
D’abord pour distinguer les équipes, puis pour identifier chaque joueur, le vêtement de sport a aussi pour fonction d’optimiser le mouvement des athlè­tes. «Sauf dans la dérive du beachvolley, où je ne pense pas qu’avoir les fesses à peine cachées par un bikini optimise le mouvement. Là, nous ne som­mes plus du tout dans l’idée de confort. C’était juste un argument de vente. On a déshabillé les femmes pour vendre les images à la télévision. C’était la première fois qu’une réglementation n’avait aucun intérêt sportif.»
Si cette obligation a désormais été levée par la fédération de volley, les joueuses portent toujours le bikini.  N’est-ce pas là le plus sûr moyen de continuer de passer à la télévision?


Spectacle à grande échelle
L’après-guerre est marquée par les Trente Glorieuses, l’avènement de la société des loisirs et des congés payés. Mais c’est bien l’arrivée de la télévision qui change tout. «Dès les années 1960, cela a renforcé la personnalisation des exploits. En Suisse, Jo Siffert était une personnalité publique. Et que dire de Michael Jordan par la suite?»
Cette starisation des athlètes est très vite utilisée par les publicitaires. «Dans les années 1990, la publicité commence à cibler les adolescents. Aujourd’hui, ce sont toujours les parents qui paient. Mais les enfants ont une place beaucoup plus grande dans l’aspect décisionnel.»
Dès lors, le sportif devient homme-sandwich. «A tel point qu’il a fallu une réglementation très précise concernant la publicité sur les maillots.» Si, en foot, la présence des sponsors reste relativement discrète, ce n’est pas le cas en hockey, en basket ou en volley, par exemple.
Autre exception, le tennis. Alors que se faire remarquer est un moyen comme un autre de devenir une star pour un athlète, Wimbledon réussit à maintenir l’utilisation exclusive des tenues blanches.  «Au départ, il s’agissait bel et bien d’une tradition. Aujourd’hui, c’est un argument marketing pour les organisateurs, une manière de se démarquer des autres tournois. Cela n’a rien à voir avec le sport.»


Le sport dans la rue et inversement
Si la mode a influencé le sport, certaines tenues à usage sportif ont désormais leur place dans toutes les garde-robes. Le meilleur exemple est celui du tennisman français René Lacoste (1904-1996), père des fameux polos. Dans une moindre mesure, le rugbyman français Serge Blanco en a fait de même avec la marque 15 et les polos à longues manches inspirés des maillots de rugby.
De plus, les athlètes ont tout à gagner à se montrer élégants, que ce soit Roger Federer aujourd’hui ou Suzanne Lenglen au début du siècle. «La Française a énormément contribué à la renommée du tennis. Elle était très élégante sur le court et dans la vie. Si elle avait été mal habillée, elle n’aurait pas eu le même impact.»
Une centaine d’années après les premiers exploits des alpinistes en tenue de ville, la rue continue d’habiller certains athlètes. C’est le cas des sports dits urbains comme le skateboard ou le roller. Pas sûr, en effet, que le large jeans qui tombe sur les fesses soit idoine pour les acrobaties en planche à roulettes. «Le développement de ces activités, libres et spontanées, marque une opposition au phénomène sportif généralisé. Le vêtement est choisi pour l’image qu’il renvoie. Montrer son appartenance à une tribu compte davantage que l’aspect fonctionnel que le vêtement de sport avait toujours eu jusque-là.»

 

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Vêtements intelligents et science-fiction
En observant l’image d’un cycliste en 1939 et dans les années 2000 (comme ici les deux Gruériens qui ont participé au Tour de France, à savoir Jules Gillard et Pierre Bourquenoud), l’allure générale n’a pas tellement chan­gé: cuissard et maillot près du corps. Toutefois, comme pour tous les vêtements de sport, la révolution s’est faite au niveau des matières. Avec, notamment, l’arrivée du lycra dans les années 1970, puis des vêtements d’une extrême légèreté, d’une grande résistance et qui permettent d’évacuer la transpiration.
«Les équipementiers ont énormément investi dans la recherche pour créer de nouveaux matériaux, car les enjeux financiers sont énormes, soutient Jean-Claude Bussard. Parce que le marché ne s’arrête pas aux quelques stars. Même s’ils n’en ont pas réellement l’utilité, les sportifs amateurs aussi veulent du matériel perfectionné. C’est la notion de paraître avant celle du besoin.»
Et de poursuivre: «Pour toutes les activités où la météo joue un rôle, comme les sports de montagne ou le ski, les matériaux sont très sophistiqués.» Sans oublier les grandes évolutions au niveau de la sécurité, notamment pour les combinaisons des pilotes de voiture ou de moto.
Pour Jean-Claude Bussard, les prochaines grandes avancées seront d’ailleurs technologiques, avec des vêtements toujours plus «intelligents». «Les habits donneront en temps réel des informations comme le rythme cardiaque ou la chaleur corporelle. Tout ce qui pourrait aider à collecter des infos sur l’état physique et à optimiser les entraînements.»
Au vu des millions investis par les grandes marques de sport dans la recherche, les révolutions promettent d’être épatantes. Et Jean-Claude Bussard de conclure dans un sourire: «Il est difficile de se projeter et de savoir ce que l’avenir nous réserve. Malgré tout ce qui a été écrit en science-fiction, aucun auteur n’avait prévu les téléphones portables.» KA

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