«Il faut provoquer la chance»

| mar, 04. fév. 2014
A la tête du Musée d’histoire naturelle depuis 1973, André Fasel prend sa retraite ce printemps. Regards sur un parcours de plus de quarante ans fait de défis, d’expériences et de succès.

PAR SOPHIE ROULIN

A quoi ressemblait le Musée d’histoire naturelle (MHN) au moment de votre nomination, en 1973?
Le musée était fermé depuis 1971. Dans les salles d’exposition, de l’eau s’infiltrait à plusieurs endroits depuis la toiture. Ce n’était pas brillant.

Quelles étaient vos ambitions pour l’institution quand vous êtes entré en fonction?
Ma priorité a été la réouverture du musée. J’ai commencé le 15 mars, et le 15 avril, on accueillait à nouveau les visiteurs. En un mois, on avait surtout procédé à des nettoyages et à des travaux d’assainissement sommaires. A l’époque, il me semblait important que les gens puissent se rendre compte de l’état dans lequel était le musée. Je le voyais comme un argument pour obtenir des crédits de rénovation et de réaménagement. Avec le recul, je me demande si c’était un bon choix. Peut-être qu’on aurait gagné d’attendre et de délocaliser.

Cette délocalisation est justement en train de se concrétiser. Vous ne regrettez pas de ne pas la vivre?
Je me réjouis d’inscrire les montants du crédit d’étude au budget 2015. Mais ce serait un non-sens de poursuivre: il faut qu’une même personne mène le projet de l’étude à sa réalisation. C’est donc le bon moment pour moi de quitter mon poste.

Vous aviez 22 ans au moment de votre entrée en fonction. C’était jeune…
La conjoncture était différente. Peu de monde s’intéressait au MHN. Nous n’avons été que trois candidats à répondre à la mise au concours du poste de conservateur. A 22 ans, j’avais un tempérament de lutteur et je tenais à faire quelque chose de ce musée que je connaissais déjà bien.

Quels ont été les premiers changements introduits?
J’avais à cœur d’instaurer une collaboration avec les écoles. On s’est ouvert pour faire des expositions dans les cycles d’orientation et les collèges. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, parce que nos expositions se sont professionnalisées et sont trop lourdes pour être déplacées vers des écoles. En revanche, et c’est l’un des gros changements introduits depuis mon arrivée, nous montons régulièrement des expositions temporaires ici. Plus de 200 depuis 1976, date de la première.

Sur toutes ces expositions, y en a-t-il une dont vous êtes particulièrement fier?
Sur 200, c’est difficile de sortir l’une ou l’autre. Il est vrai que celles qui permettent de montrer des animaux vivants sont particulièrement marquantes. Je pense notamment à celle des poussins qui nous a apporté un succès retentissant et qui a été largement copiée par la suite, en Suisse et ailleurs. Il y a aussi eu des expositions plus émouvantes que d’autres. Ça a été le cas de l’exposition Vipères, où Jean-Luc Monney officiait comme commissaire. Malade, il venait presque à bout de force pour terminer ce travail. Son décès et celui du professeur Jean-Pierre Berger, avec qui j’ai souvent collaboré, m’ont profondément touché. Tous deux étaient devenus des amis. Leur départ prématuré n’est pas étranger à ma décision de quitter mon poste pour profiter un peu plus de la vie.

Vous avez passé quarante et un ans à la tête du Musée d’histoire naturelle. Vous n’avez jamais eu envie de vous lancer dans d’autres défis?
Je mentirais si je disais que je n’ai jamais été curieux de voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Mais des défis il y en avait assez à relever ici! Un musée d’histoire naturelle couvre tellement de domaines, des sciences de la terre à la botanique en passant par la zoologie. Et puis, il y a aussi tout le côté de gestion économique qu’implique le rôle de directeur. Pour obtenir des crédits dans les années 1970, alors qu’on vivait la première crise pétrolière, il fallait se battre!

Mais le MHN a pu être transformé…
On l’a fait, oui. Salle après salle. Et on pourrait recommencer aujourd’hui parce que la muséographie a changé. Finalement, durant toutes ces années, le projet de renouvellement a été permanent. On a toujours été à la recherche de la meilleure manière de présenter nos expositions, permanentes et temporaires. On a toujours cherché comment transmettre l’information de manière conviviale.

Avec son site internet, sa page Facebook, une visite guidée en application sur les smartphones, le MHN n’a pas raté le virage numérique.
On a suivi. Mais on peut faire toutes les applications multimédias qu’on veut, rien ne remplacera la rencontre avec l’animal vivant ou naturalisé. Les échanges, les visites guidées resteront toujours des moments enrichissants pour les visiteurs comme pour les guides.

Vous pensez à un souvenir en particulier?
Parmi les visites guidées, il arrive qu’on reçoive des non-voyants. On leur laisse alors toucher les animaux. Je n’oublierai jamais l’étonnement de ce gamin aveugle quand il a découvert la girafe. Il savait qu’elle avait un long cou parce qu’on lui avait expliqué, mais il avait imaginé un animal comme un lapin avec un long cou.    De l’observer découvrir la taille réelle de la girafe reste un souvenir hors du commun.

 

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La science, au service du public


Entre les réaménagements, les négociations budgétaires et les expositions temporaires, quelle place reste-t-il pour la recherche?
Mon cahier des charges était succinct. Il parlait d’enrichir les collections, cela a été le cas par des collaborations avec les zoos, notamment. Il évoquait aussi une mission scientifique. J’ai participé à diverses expéditions en biologie marine – un de mes jardins secrets – dirigées par l’Université de Fribourg, de Berne ou de Zurich. Je suis allé en Afrique aussi pour ramener des cristaux et des minerais. Les relations nouées m’ont également permis d’acquérir un éléphant nain et deux bonobos.

Mais l’histoire qui a rendu célèbre le MHN dans le monde entier reste le suivi satellitaire de la cigogne Max…
Ah ça, c’est toute une histoire en effet! Ce qui l’a rendu possible, c’est une de mes connaissances qui me parle un jour d’une personne prête à soutenir financièrement des projets qui la séduise. Pour cela, il suffisait d’exposer l’idée sur une feuille A4 et de la soumettre. Ce que j’ai fait, sans donner de chiffre. J’ai alors reçu un coup de fil me demandant de le préciser. Sur le coup, je me suis dit aïe! et j’ai demandé 100000 francs, sans trop y croire. Deux jours plus tard, le montant était versé sur le compte du musée. Le don était anonyme et devait le rester. C’est comme ça qu’a pu démarrer le suivi satellitaire. Max devait être le coup d’essai. On a placé 23 autres balises après la sienne et il n’y a eu que celle de Max qui a donné des informations aussi longtemps. Treize ans en tout. On a eu beaucoup de chance. Mais il faut la provoquer aussi!

A la base, le projet est-il scientifique à 100% ou y avait-il déjà l’idée d’une opération de communication?
On ne peut pas dissocier la recherche et la communication. Un travail de cabinet et des publications dans des revues scientifiques, ce n’est pas intéressant. Il faut vulgariser, aller vers le grand public.

La mission se poursuit avec les milans royaux…
Nous en suivons quatre et cela s’est révélé très intéressant: on a découvert que les milans royaux ont une migration très bizarre. Quand ils quittent les Pyrénées au printemps, ils viennent passer une semaine dans leur résidence d’été avant de retourner dans les Pyrénées. On s’est donc rendu compte qu’on a probablement longtemps compté plusieurs fois les mêmes milans, ce qui faussait les données.

Une fois à la retraite, vous poursuivrez ces projets?
J’ai encore beaucoup de choses à voir et des gens à qui rendre visite. Mon avenir sera bien rempli, mais il ne sera plus lié au musée. Il faut savoir laisser la place aux autres. SR

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