PAR JEROME GACHET
Non, ce n’est pas le profil d’un col du Tour de France. Cette courbe toujours plus pentue est celle de l’évolution démographique du district de la Gruyère depuis cent ans. Une ligne qui traverse le temps sans bouger durant plus d’un demi-siècle avant de s’affoler.
Les années 1980 marque le début d’un fort développement. L’inauguration de l’autoroute, l’arrivée de grandes entreprises… Tout cela est connu. Le plus incroyable, c’est que le processus s’accélère encore. Alors que la population n’a augmenté que de 533 résidents entre 1920 et 1970, les données actuelles sont stupéfiantes: «La population croît de 1300 personnes… par année», relève Patrice Borcard, préfet de la Gruyère.
Progression plus forte
L’évolution est si rapide que la barrière symbolique des 50000 habitants a été franchie un beau matin d’octobre, sans que personne s’en aperçoive. Une situation qui étonne même la géographe Anne-Christine Wanders, auteure de deux études sur la population du district afin d’évaluer les besoins en école: «J’imaginais une saturation vingt ans après la mise en service de l’autoroute. Or, la progression a encore été plus forte entre 2000 et 2010 que lors de la décennie précédente.»
L’A12 n’est donc pas la cause première de «la révolution des années 2000», comme l’appelle Patrice Borcard. Qui invoque, entre autres, «la position géo-graphique entre Lausanne et Berne», «le prix des terrains abordable», «la qualité de vie», «les investissements importants de promoteurs privés ou institutionnels qui ont trouvé en Gruyère les espaces qu’ils ne trouvent plus ailleurs», etc. Bref, pour lui, l’agglomération bulloise «correspond au rêve d’Alphonse Allais qui souhaitait construire des villes en pleine campagne».
Bulle découverte
Anne-Christine Wanders lui emboîte le pas: «Au début des années 2000, les habitants de l’arc lémanique ont découvert que Bulle était une ville attractive avec, notamment, des loyers moins chers.» La Gruyère n’est pas la seule à être concernée. En première ligne, la Veveyse affiche des taux démographiques encore plus élevés.
L’augmentation du nombre d’étrangers a également eu son effet, un phénomène accentué par la crise que traversent des pays comme l’Espagne ou le Portugal.
Jean qui rit, Jean qui pleure
Quand cela va-t-il s’arrêter? Mystère. La question est aussi de savoir s’il faut se réjouir ou non de cette évolution. «C’est Jean qui rit et Jean qui pleure, répond Patrice Borcard. La Gruyère ne peut pas oublier qu’elle a été durant la moitié du siècle dernier une terre d’émigration et d’exode rural. Et il est préférable d’ouvrir des classes que d’être obligés d’en fermer, comme c’est le cas dans d’autres régions de la Suisse.»
Mais si, il y a quelques années, tout le monde se frottait les mains, les données ont changé: cette évolution coûte plus qu’elle ne rapporte, momentanément du moins. «Les coûts engendrés par l’absorption de cette démographie galopante ne sont pas – et de loin – compensés par des rentrées fiscales, poursuit le préfet. Les collectivités publiques doivent rapidement investir dans les constructions scolaires, dans les infrastructures pour les person-nes âgées, dans les stations d’épuration, dans les infrastructures sportives. Ce sont des centaines de millions de francs qui seront engagés ces prochaines années pour digérer cette augmentation de la population.»
Le préfet pointe un autre phénomène ennuyeux. «Une forte proportion des nouveaux arrivants est contrainte de travailler à l’extérieur du district. Le nombre de nos emplois ne suit en effet pas la courbe de la population.» Un défi parmi beaucoup d’autres qui attendent cette région et ce canton.
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69000 Gruériens en 2025?
Le chiffre impressionne au moins autant qu’il inquiète. Selon le scénario le plus «optimiste» établi par Anne-Christine Wanders en 2012, la Gruyère comptera 69000 habitants en 2025. Une projection pas si irréaliste que cela. Les dernières données l’attestent. «Si on a passé la barrière des 50000 habitants en 2013, cela signifie que l’on se trouve effectivement sur cette courbe», commente l’auteure de l’étude démographique sur le district. Un élément parle en faveur d’un tel développement: «Dans ce district, la pyramide des âges a une base très large, ce qui est très étonnant dans un pays comme la Suisse.» Jeune, la population gruérienne va donc encore croître. Anne-Christine Wanders se garde cependant de prédire le futur. «Il ne s’agit que de projections mathématiques, qui partent du principe que l’évolution se poursuit au même rythme. Or, il peut se passer beaucoup de choses, en particulier sur le plan économique. Une région peut aussi limiter son développement immobilier. Les spécialistes locaux ont davantage d’éléments que moi pour savoir ce qui va se produire sur le terrain.»
Une deuxième enquête commanditée par le canton arrive d’ailleurs à des conclusions différentes que les siennes, avec un district estimé à 61000 habitants en 2025. Voilà qui ne facilite pas le travail des autorités qui doivent anticiper les besoins en infrastructures. Une chose est certaine: il est évident que la Gruyère n’a pas terminé sa mue. Pour Patrice Borcard, «il paraît assuré que la Gruyère comptera 10000 personnes en plus dans une décennie». JG
Commentaires
christian seydoux (non vérifié)
mer, 22 oct. 2014
Golliard Dominique (non vérifié)
dim, 02 fév. 2014
Pinodo (non vérifié)
lun, 03 fév. 2014
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