Un autodafé devenu phénix

| sam, 22. fév. 2014
Alain-Jacques Tornare publie Tint’interdit, pastiches & parodies. Un livre qui reprend et étoffe la deuxième partie de Tintin à Fribourg, le catalogue de l’exposition de la Bibliothèque cantonale, qui a fait l’objet des foudres de Moulinsart.

PAR ANGELIQUE RIME

C’est comme le vieux chalet, il a été détruit, mais reconstruit plus beau qu’avant.» Alain-Jac­ques Tornare choisit le ton de la plaisanterie lorsqu’il évoque sa nouvelle publication: Tint’interdit, pastiches et parodies. Dans cet ouvrage, il reprend et étoffe la deuxième partie de Tintin à Fribourg, édité lors de l’exposition présentée à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg, en 2013. Rappelons que la société Moulinsart SA, détentrice des droits moraux et commerciaux sur l’œuvre d’Hergé, a fait interdire ce catalogue. Motif: par ses couvertures, son graphisme, sa typographie et ses phylactères, il ressemblait trop à un album de Tintin. Depuis le 15 février, le Musée des Suisses dans le monde, à Genève, accueille une exposition tirée en grande partie de celle proposée l’année dernière à Fribourg, accompagnée du catalogue remanié.
A noter qu’en associant le livre d’Alain-Jacques Tornare à l’ouvrage de Jean Rime paru en novembre, Les aventures suisses de Tintin, les inconditionnels du reporter belge à la houppette retrouveront l’ensemble des textes parus dans le catalogue transformé en autodafé. Retour sur son évolution, de Fribourg à Genève.
 
Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce livre?
L’autodafé de son livre peut être flatteur pour un amoureux du XVIIIe siècle, mais pas pour moi. On ne m’a même pas dit le jour où il a été brûlé. Je n’avais pas pu faire mon deuil. De plus, perdre ce travail aurait été vraiment dommage. Sans compter que Tintin à Fribourg a créé une énorme frustration. On me le réclame tous les jours. Il a même été proposé à la vente pour 820 euros sur eBay.
Pour moi, il est cependant clair que si le livre a été retiré, c’est parce que l’Etat de Fribourg a cédé sans vouloir s’engager dans une épreuve de force, ce que je peux comprendre. Ils ont préféré un mauvais accord à un bon procès.

Vous auriez pu vous battre?
Personnellement, je n’avais rien à dire. De part le mandat que m’avait confié la BCU, je n’étais qu’un simple exécutant. Je précise que dans cette histoire, on a sous-entendu que j’avais été un peu naïf. Alors que, dès le début, j’avais prévenu qu’il fallait faire très attention. J’ai d’ailleurs toujours été contre le titre Tintin à Fribourg.

Qu’est-ce que la sortie de ce nouvel ouvrage représente pour vous?
Je suis très heureux du résultat final, que je compare à un phénix qui renaît de ses cendres. Je ne l’ai pas fait dans le but de me venger et je n’ai pas de ressentiment envers Moulinsart. D’un côté, je comprends très bien qu’il veille au grain pour que l’image d’Hergé ne soit pas salie. En effet, je me suis rendu compte que beaucoup de gens profitaient de la notoriété du dessinateur pour faire de faux Tintin et vendaient ensuite des planches très chères.
Mais, dans le cas de l’exposition et du catalogue de la BCU, ils se trompent complètement d’adversaire. Comme on le voit de nouveau à Genève, une fois que le visiteur s’est promené dans l’exposition, il n’a qu’une envie: retourner lire les originaux. Ce genre d’exposition bienveillante sert donc la cause de Tintin. Je pense par exemple à la jeune génération. Ne pas le voir avec une tablette numérique ou un smartphone leur manque. Peu d’entre eux se tournent directement vers les originaux. Je suis du reste convaincu qu’ils vont refaire certains albums pour mettre le personnage au goût du jour.

Dans ce livre, vous avez tout de même dû supprimer la moitié des images parues dans le catalogue initial...
Je ne voulais pas prendre de risques. Dans la pesée des intérêts, le jeu n’en valait pas la chandelle. Même si, quelque part, j’ai un tempérament de rebelle. Au final, je n’ai repris que des images qui ont déjà paru légalement en Suisse et qui n’ont pas fait l’objet de contestation.
 
Remplacer ces images a-t-il été difficile?
Le travail de recherche a été énorme. La maquette du catalogue est restée identique pour des questions de coût, les contraintes étaient donc nombreuses. Les nouvelles images sont plutôt là pour leur beauté et collent un peu moins au texte que les précédentes. Dans ce livre, la partie rédigée existante a également pu être nettoyée de ses scories et trois chapitres y ont été ajoutés.
L’exposition de Fribourg m’a permis d’entrer en contact avec certains spécialistes, notamment Olivier Roche, qui m’ont conseillé sur certains points. Jusque-là, je faisais ça plutôt en dilettante. J’ai aussi pu apporter des corrections en me référant aux commentaires que les visiteurs, amateurs, collectionneurs et même enfants, m’ont transmis. L’aspect participatif de cette exposition est extraordinaire, tellement de gens se sentent les héritiers d’Hergé.
 
A l’instar de Fribourg, l’engouement du public continue d’être au rendez-vous à Genève, essuyer les foudres de Moulinsart valait donc la peine?   
Oui, effectivement. Mais traiter avec cette société reste difficile. Pourquoi personne n’a osé faire cette exposition avant nous... Normalement, cela fait vingt ans qu’on devrait en avoir une tous les ans sur ce thème. Pour illustrer notre démarche, j’aime à reprendre le mot de Marc Twain: «Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.»


Musée des Suisses dans le monde, Château de Penthes, Genève, exposition Tint’interdit, pastiches & parodies, jusqu’au 3 mai.

Catalogue Tint’interdit, pastiches & parodies, Editions de Penthes - Editions Cabédita, 48 pages

 

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Tintin original contre alternatif


Dans le livre comme dans l’exposition, vous jouez beaucoup sur les notions de vrai et de faux...
C’est ce qui est intéressant, car parfois le faux est plus beau que le vrai. La question «qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux?» se pose pourtant constamment. Et la réponse est parfois tendancieuse. Hergé a par exemple modifié ses propres albums pour les adapter à son époque et créer des dérivés publicitaires. Il a également refait ses albums pour être plus politiquement correct. Dans les strips originaux de L’étoile mystérieuse parus dans le journal Le Soir, il avait mis une scène antisémite d’une très grande violence. Il l’a ensuite rayée des cadres. Des petits malins se sont amusés à republier ces strips d’origine. C’est un faux, mais c’est tout de même le vrai, celui d’origine!

Est-ce que trop de faux pourrait tuer le vrai Tintin?
Oui, surtout à l’heure actuelle où il existe une pléthore de faux qui peuvent être copiés et jetés sur internet. Le tout à une vitesse exponentielle. Le combat que mène Moulinsart est un peu désespéré.


Mais, finalement, on se lasse assez vite des faux...
Effectivement, les faux amusent un moment, mais beaucoup de ces histoires ne tiennent pas la route. De plus, les dessinateurs qui essaient d’imiter Hergé ne réussissent qu’à moitié. Dans l’original, le dessin est épuré, il n’y a pas d’élément superflu. Au contraire des imitateurs, qui en font souvent trop. Cela devient vite criant.

La Suisse est-elle un haut lieu de production de Tintin alternatifs?
Oui, comme elle l’était au XVIIIe siècle pour les hommes des Lumières et autres auteurs d’encyclopédies. L’air de rien, notre pays est une grande terre de liberté. AR

 

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