Une hygiène révolutionnée

| sam, 08. mar. 2014
Le professeur Didier Pittet a mis au point une procédure pour améliorer l’hygiène des mains dans le contexte médical. Sa méthode repose sur l’emploi d’une solution à base d’alcool. Cédée à l’OMS, la formule permet de sauver 8 millions de vies par an.

PAR CLAUDE ZURCHER


Les médecins qui s’intéressent à l’hygiène sont des êtres à part. Il y a chez eux une volonté farouche de lutter à la fois contre les infections qui tuent leurs patients et contre les obstacles que les hommes érigent devant leurs intuitions. Le professeur Didier Pittet est dans la lignée de ces grands médecins dont la découverte se mesure à la modification des règles médicales qu’elle réussit à imposer.
Le médecin genevois a mis au point une procédure pour améliorer l’hygiène des mains en milieu hospitalier. Sa méthode repose sur l’emploi d’une solution à base d’alcool, distribuée en flacon facilement utilisable, et dont la formule a été cédée à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour faciliter son utilisation sur la planète. Un modèle qui permet aujourd’hui de sauver chaque année près de 8 millions de vie. Il fut question du Nobel pour ce scientifique qui a su faire de la propreté des mains une règle capitale.
Cet homme affable, porté par un enthousiasme magnétique, dirige le Service de prévention des infections aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Il a également la responsabilité du Centre de collaboration de l’OMS pour la sécurité des patients.


Une solution hydroalcoolique à la place du savon. Comment avez-vous mis en place cette nouvelle règle d’hygiène en milieu hospitalier?
A la fin des années 1980, j’étais en médecine interne aux HUG et je me suis spécialisé dans les maladies infectieuses. Il n’existait pas alors un service de prévention des infections au sein de l’hôpital. C’est un aspect que j’avais étudié aux Etats-Unis. Nous étions une petite équipe et notre premier travail a consisté à faire une enquête sur les pratiques du personnel soignant. Notre étude a montré que quatre fois sur dix seulement les soignants se lavaient les mains aux moments indiqués.

Pourquoi une observance si faible, alors que cette règle d’hygiène semble évidente?
Paradoxalement, plus il y avait d’indications d’hygiène, moins le personnel les suivait. Aux soins intensifs, les soignants n’avaient tout simplement pas le temps. Se rendre au lavabo, se laver les mains puis les sécher, cela prend entre une minute, une minute trente. Si vous êtes confrontés à vingt-deux indications en une heure, vous passez trente minutes de votre temps à vous laver les mains…
Nous avons constaté que certains soignants utilisaient de l’alcool pour se désinfecter les mains, selon une formule mise au point par un pharmacien des HUG, William Griffiths. Nous avons alors travaillé pour améliorer cette solution et, peu à peu, les pratiques ont évolué. En trois ans, l’observance moyenne du personnel est passée de 40% à 66%, ce qui a eu pour effet de diminuer de moitié le nombre d’infections. En termes de coûts, un tel recul des infections représente une économie annuelle de l’ordre de 24 millions de francs pour les HUG.
Les résultats de notre travail ont été publiés en 2000 par la revue Lancet. Nous avons alors intéressé des hôpitaux étrangers et reçu des médecins d’Australie, de Hong Kong, de Grande-Bretagne…  L’OMS a suivi notre travail et, en 2005, elle a fait de la prévention du risque infectieux le premier défi mondial en termes de sécurité des patients.

Des HUG à l’OMS, c’est un changement d’échelle important…
Oui, nous devions dès lors universaliser notre méthode pour la rendre applicable partout, en tout temps et à des conditions économiques acceptables. L’OMS a permis de mobiliser les Ministères de la santé nationaux et favorisé une prise de conscience des questions d’hygiène. En 2006, nous avons pu mettre sur pied une ligne de conduite qui a été validée par des experts internationaux. C’était une étape importante pour standardiser notre méthode.

Vous avez dû notamment déjouer plusieurs obstacles importants.
Nous avons par exemple été pris de vitesse par un aspect religieux auquel nous n’avions pas été attentifs: l’interdit de l’alcool dans la religion musulmane. En Grande-Bretagne, le père d’une infirmière musulmane lui a interdit de désinfecter ses mains avec notre solution à base d’alcool. Nous avons aussitôt averti l’OMS qui nous a permis d’entrer en contact avec des confrères musulmans et nous avons organisé un groupe de travail avec des imams et diverses autorités religieuses et politiques saoudien-nes, à Ryad. Ils ont approfondi la question et la Ligue musulmane a finalement décrété l’autorisation de l’emploi de notre solution. C’était une grande victoire.
Un autre obstacle a été celui des fire marshall aux Etats-Unis qui sont responsables de la prévention des incendies dans les hôpitaux où les règlements sont très stricts sur l’entreposage de l’alcool. Or, notre solution tombait sous le coup de cette réglementation. Nous avons dû faire une large étude sur les risques d’incendie pour les convaincre.

En Russie, c’est une autre surprise qui vous attend…
Des patients buvaient nos flacons! Nous avons dû incorporer dans notre solution de la dimethyl ketone, qui provoque une irritation de l’estomac au point d’entraîner un rejet immédiat.
Un point capital de votre démarche, c’est le don de la formule pour supprimer le brevet. Très vite nous avons décidé de donner notre formule à l’OMS pour faire baisser le coût de revient et permettre sa production locale à bas prix dans les pays défavorisés. Un flacon coûtait alors près de neuf francs, or nous voulions que le contenu et le flacon lui-même ne coûtent qu’un seul franc. Pour réduire le prix, il fallait notamment éliminer les coûts de brevet.
L’effet économique du don à l’OMS était prévisible. Les coûts ont chuté, tombant à 1 franc par flacon. Mais le marché est important. Selon une estimation réalisée en 2006, le dépôt d’un brevet et les royalties  équivalent à un dixième de centime par flacon, les revenus auraient été de l’ordre de 1,7 milliard par an, soit le budget annuel des HUG. Il devenait possible alors de convaincre les compagnies pharmaceutiques qu’elles pouvaient gagner sur le volume des ventes.

Vous utilisez Twitter, c’est un outil de travail pour un épidémiologiste?
Mon métier consiste à prévenir les infections. Nous investiguons des problèmes épidémiologiques, mais pas seulement en milieu hospitalier. Un réseau social tel que Twitter permet une circulation très rapide de l’information. Le premier cas de la grippe H7N9 en Chine, par exemple, a été signalé par Twitter.
Mais tout n’est pas parfait avec les réseaux sociaux. En 2012, Google flu a largement surestimé l’épidémie, notamment parce que Google avait communiqué sur ce service, ce qui a eu pour effet d’augmenter le nombre de consultations. Quoiqu’il en soit, nous devons mettre en place des outils toujours plus performants et les réseaux sociaux, dans le domaine de la prévention, seront indispensables.

 

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Premiers essais à Fribourg
L’Hôpital cantonal de Fribourg a connu, à son échelle, une expérience similaire, dans les années 1970, où travaillait un homme qui va jouer un rôle important dans la genèse du succès du professeur Pittet. Cet homme, c’est le pharmacien du Cantonal, William Griffiths, originaire de Grande-Bretagne où il avait fait ses études avant de venir travailler à Fribourg.
En 1974, la direction du Cantonal demande à William Griffiths de mettre au point une solution à base d’alcool pour faciliter la désinfection des mains. Après deux ans de recherche, le pharmacien présente le résultat de son travail: un mélange d’eau, d’alcool de synthèse et de chlorhexidine, un antiseptique connu pour son efficacité.
La solution est satisfaisante. Ne pouvant assurer les coûts importants d’un brevet, mais aussi pour favoriser la question de l’hygiène hospitalière, le Cantonal choisit d’offrir la solution aux autres hôpitaux suisses. Le parcours professionnel de William Griffiths le conduit ensuite aux Hôpitaux universitaires à Genève, où sa solution est utilisée dès 1978. Le pharmacien continue de développer sa formule jusqu’à la rencontre avec le professeur Pittet qui lui donnera un essor mondial, avec l’aide de l’Organisation mondiale de la santé. CZ
 

Commentaires

Article très intéressant, bien documenté. A retenir.

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