Groupe E redessine la carte du haut-lac de la Gruyère

| mar, 15. avr. 2014
Un ruisseau de contournement de la Jogne va être créé. Il s'agit d'une mesure de compensation au prélèvement des eaux de la Jogne. Ce pourrait être une solution à la prolifération des moustiques.

par Jean Godel

«L’art naît de contrainte», a écrit André Gide. Dans un tout autre domaine, une solution à la prolifération des moustiques dans le haut-lac de la Gruyère pourrait bien naître des contreparties demandées à Groupe E pour le prélèvement des eaux de la Jogne.
Le producteur d’électricité projette en effet de créer un ruisseau de contournement du canal de la Jogne, en aval de sa centrale électrique de Broc. Ce cours d’eau alimentera en permanence la bassière le long de la route du lac, entre Broc-Fabrique et Morlon, cette minidépression dans laquelle l’eau stagne quand le lac se retire, favorisant la prolifération des moustiques. Son alimentation régulière permettra le maintien des poissons, seuls vrais prédateurs des larves de moustiques.

Cette mesure, au stade de la demande préalable auprès des services de l’Etat, découle de la Loi fédérale sur la protection des eaux de 1991. Entre autres choses, cette dernière contraint Groupe E à revoir à la hausse le débit de dotation de la Jogne en aval du barrage de Montsalvens: «De 80 litres par seconde, nous aurions dû le porter à 650 l/s, explique Jean-Claude Kolly, responsable d’exploitation des barrages à Groupe E. Le canton a accepté notre proposition à 500 l/s avec, en contrepartie, des mesures compensatoires.»

Dans son ensemble, le projet d’assainissement des prélèvements d’eau dans la Jogne est bien avancé, révèle d’ailleurs le Gruérien. Nœud du dispositif, la centrale de dotation construite au pied du barrage va être mise en service ces prochains jours. C’est elle qui turbinera les 500 l/s restitués à la rivière. D’autre part, Groupe E a amélioré le processus d’enclenchement des machines à la centrale de Broc, afin d’amortir les pics de débit dans la Jogne. Le nouveau ruisseau parachèvera le dispositif.

Réalisation en 2015
Les retours des services de l’Etat et de la Confédération sont attendus avant l’été. Après d’éventuelles modifications, la mise à l’enquête pourrait intervenir l’hiver prochain, avant une réalisation durant le second semestre de 2015. «Nous devrons notamment recevoir toutes les garanties quant au financement par la Confédération», précise Jean-Claude Kolly.

Devisé à 1,8 million de francs, y compris la construction d’une passe à poissons au niveau du captage du ruisseau, ce projet devrait en effet être entièrement subventionné par l’Office fédéral de l’environnement, via un fonds alimenté par Swissgrid, la société nationale pour l’exploitation du réseau à très haute tension.

Confiant, Jean-Claude Kolly salue l’excellente collaboration entre Groupe E, plusieurs services de l’Etat (section lacs et cours d’eau du Service des ponts et chaussées, Service des forêts et de la faune), la Confédération ainsi que le Groupe de démoustication du haut-lac de la Gruyère: «C’est un projet novateur parce qu’il allie une problématique piscicole à celle de la démoustication, le tout dans une zone alluviale d’importance nationale.»

Un ruisseau aux effets en cascade
Des 500 litres par seconde que le barrage de Montsalvens restitue à la Jogne, Groupe E va en capter 350 à la hauteur de la centrale hydraulique de Broc, juste en amont de la jonction avec le canal de fuite par où les eaux turbinées reviennent à la rivière. De là, le nouveau ruisseau serpentera le long de la Jogne avant d’obliquer à l’ouest, au lieu-dit «le Vieux Port».

Puis il longera la route du Lac pour alimenter la bassière, cette clairière bien visible de la route. On est là dans la zone alluviale du haut-lac de la Gruyère, d’importance nationale; 94 hectares qui abritent la plus grande forêt de saule blanc de Suisse, une forêt inondable très rare. De cette bassière, le ruisseau rejoindra la Jogne à son embouchure dans le lac. «La bassière sera légèrement creusée pour permettre aux poissons de survivre en période de marnage», explique Jean-Claude Kolly, responsable d’exploitation des barrages à Groupe E.

Deux autres mesures sont prévues. Dans le lit de la Jogne, entre la centrale et le lac, un tronçon soumis aux éclusées (entre 150 l/s et 25 m3/s), des rochers seront déposés pour servir de caches aux poissons. Enfin, une brèche sera percée sur la rive droite de la Jogne pour y évacuer l’eau lorsque le débit dépassera 27 m3/s. De quoi recréer une dynamique alluviale dans cette zone et y développer la végétation pionnière.

Ce ruisseau de contournement règle plusieurs problèmes. D’abord, il permettra à plus de poissons de remonter jusqu’aux gorges de la Jogne en leur épargnant le secteur en aval de la centrale de Broc, soumis aux puissants débits d’éclusées. «Les truites sont assez fortes pour le remonter, explique Jean-Claude Kolly, mais les cyprinidés comme la per-che n’ont pas une capacité natatoire suffisante.»

Ensuite, le réglage plus fin des éclusées, mais aussi les rochers dans la Jogne ou le creusement de la bassière, éviteront à la faune piscicole de se faire piéger lorsque le niveau d’eau descend. Enfin, la dynamique réintroduite dans la zone alluviale améliorera le charriage du gravier, indispensable au frai des poissons. En effet, en cas de crue (celle centennale de la Jogne est estimée à 180 m3/s), les eaux se répartiront entre la rivière, qui absorbera le gros de l’afflux, sa rive droite via la brèche ouverte et sa rive gauche via le nouveau ruisseau.

Moins de moustiques
Cerise sur le gâteau, ce dispositif devrait contribuer à contenir la prolifération des moustiques. «Nous en attendons beaucoup!» confirme le Brocois Bernard Raboud, président du Groupe de démoustication du haut-lac de la Gruyère. «Alimenter la bassière de la zone alluviale permettra d’accueillir des poissons, prédateurs naturels des moustiques dont les larves constituent une nourriture appréciée.»

Instauré en 1995, le groupe de démoustication, dont est membre le professeur zurichois Peter Lüthy, grand spécialiste suisse en la matière, avait alors reçu deux missions de l’Office fédéral de l’environnement, rappelle Bernard Raboud: organiser la lutte contre les moustiques par épandage, mais aussi trouver une solution naturelle pour enrayer leur prolifération. Le projet de Groupe E s’intègre donc parfaitement dans cette stratégie.

Pour l’heure, la démoustication se fait par épandage aérien d’un larvicide non toxique pour l’homme: «Il s’agit d’une suspension aqueuse contenant un bacille, le Bacillus thurigiensis israelensis qui déstructure les voies digestives des larves de moustiques», détaille Bernard Raboud.

Certes, la surface que le nouveau ruisseau maintiendra en eau ne couvre de loin pas toute la zone alluviale. «Mais c’est là que les eaux stagnent aujourd’hui quand le lac se retire, offrant des conditions favorables aux larves», fait remarquer Jean-Claude Kolly. D’ailleurs, personne ne s’attend à une éradication totale des moustiques grâce au nouveau ruisseau. Mais, un suivi sera instauré et des corrections pourraient y être apportées.

 

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