Trésor de guerre cartonné

| sam, 12. avr. 2014

Les cartes postales vivaient leur âge d’or durant la Première Guerre mondiale. Un site internet, développé par deux historiens fribourgeois, décrypte un gigantesque fonds d’exemplaires qui ont circulé en Suisse.

par Thibaud Guisan

C’est un trésor de guerre. Une collection de près de 3000 cartes postales dormait au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de Berne. Point commun de ces images cartonnées: elles ont été éditées durant la Première Guerre mondiale, à partir de fin 1914 et surtout dès 1916. Deux historiens fribourgeois ont décidé de les mettre en lumière sur un site internet, www.14-18.ch.

Alexandre Elsig et Patrick Bondallaz, 31 ans tous les deux, sont doctorants en histoire contemporaine à l’Université de Fribourg. Le premier étudie la réception des propagandes étrangères en Suisse, le second traite de la politique humanitaire du pays durant le conflit. «Cette époque est l’âge d’or des cartes postales, expliquent-ils. Durant la guerre, entre 60 et 80 millions d’exemplaires ont circulé chaque année en Suisse. La Mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914. Les cartes postales sont un lien entre les soldats et l’arrière. Elles permettront ensuite aussi aux internés d’écrire à leurs familles à l’étranger.» A l’image des soldats français et belges qui ont séjourné en Gruyère.

Sur leur site internet, les deux historiens décryptent une soixantaine de cartes postales. Elles ont été réparties en six rubriques: propagande et idéologie, affaires politiques et militaires, quotidien, satire, allégorie de la Suisse et humanitaire.

La plupart des cartes – dessins, photos ou même montages – n’ont été écrites ni expédiées. Cela ne les empêche pas d’en dire beaucoup sur le pays. «La Suisse n’a pas été impliquée militairement dans le conflit, mais elle a connu des problématiques qu’ont rencontrées les belligérants, résume Alexandre Elsig. Les problèmes de ravitaillement, la censure, l’expression d’une union nationale sont des thématiques traitées par ces cartes postales.»

L’île et le fossé
Une figure se détache: la sentinelle virile qui défend la frontière. «Mais on présente aussi l’arrière qui apporte sa contribution à l’armée», complète Patrick Bondallaz. Des dames raccommodent des habits pour les soldats, alors que des personnes âgées, des enfants et des femmes s’activent aux travaux des champs. «Par contre, les mouvements sociaux de la fin de la guerre ne sont pas représentés, souligne Alexandre Elsig. Aucune carte postale n’est, par exemple, consacrée à la grève générale de 1918.»

D’autres images s’imposent. La Suisse est régulièrement présentée comme une île. «C’est une des thématiques patriotique forte, expli-que Alexandre Elsig. On présente la Suisse comme un îlot au milieu des flots déchaînés et qui résiste.» Le symbole du fossé est aussi récurrent. L’occasion de se rappeler que le pays a été tiraillé entre germanophilie alémanique et francophilie romande.

Particularité: les cartes satiri-ques émanent majoritairement de Suisse romande. A ce titre, le Vaudois Charles Clément, né en 1889, est un illustrateur prolifique. Cofondateur du journal satirique lausannois L’Arbalète (1916-1917), il recourt aux figures de la Suisse primitive pour dénoncer la germanophilie de l’état-major et du Conseil fédéral. «Guillaume Tell et d’autres héros sont présentés comme des idéaux d’indépendance qui sont reniés par Berne», analysent les deux historiens.

Une bourse de 20000 francs
Le projet 14-18.ch a été retenu après un appel à contributions du portail infoclio.ch, une initiative de la Société suisse d’histoire et de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales pour promouvoir les sciences historiques. Les deux historiens ont bénéficié d’une bourse de 20000 francs.

www.14-18.ch

Quand les internés arrivaient à Bulle
Les soldats internés français tiennent la vedette de nombreuses cartes postales de la Première Guerre mondiale. Et leur séjour en Gruyère fait l’objet de plusieurs images cartonnées. «C’est une forme de propagande humanitaire, explique Patrick Bondallaz. On veut montrer l’image d’un pays accueillant, alors que la Suisse est attaquée sur sa politique de neutralité. Les internés ne sont jamais estropiés ni souffrants. Ils ont l’air d’être en vacances. Le but n’est pas de rendre compte de la violence de la guerre. On les voit se reposer, faire de la luge ou du théâtre, travailler aux champs. Ce sont des photographies mises en scène.»

Une carte postale témoigne de l’arrivée d’internés à Bulle en mai 1916. La foule est massée devant l’Hôtel de Ville. L’étendard français flotte à côté du drapeau fribourgeois. Depuis le balcon, le syndic Lucien Despond rend hommage aux internés: des soldats français blessés et malades en provenance des camps de prisonniers allemands que la Suisse se propose d’accueillir dès 1916. «Cette carte présente d’abord un événement historique, analyse Patrick Bondallaz. Mais elle symbolise aussi une communion franco-suisse. Dans les journaux de l’époque, on évoque les “héros” ou les “martyrs de la Liberté” français.» Dans son édition du 6 mai 1916, La Gruyère indique que
3000 personnes attendaient les internés à la gare pour les acclamer.

Trois convois de soldats
Trois convois de soldats français rejoignent Bulle en mai 1916. Fin 1917, on compte 213 internés français et belges en Gruyère: 21 à Bulle, 48 à Gruyères, 40 à Charmey, 31 à Grandvillard, 29 à Montbovon, 27 à La Tour-de-Trême, 15 à Neirivue et 2 à Riaz. En 1917, le général français Paul Pau est immortalisé sur une carte postale: il traverse la Grand-Rue de Bulle dans une voiture décapotable alors qu’il entreprend la tournée des lieux d’internement suisses. Une autre image cartonnée présente un groupe d’internés posant devant la Dent-de-Broc.

La Croix-Rouge gruériennne est née
A Bulle, un comité de dames s’est formé pour recueillir des dons populaires et les redistribuer aux internés. Des appels sont lancés dans
La Gruyère pour encourager la population à leur offrir quelques distractions (lectures, jeux, tabac, etc.). Cet élan charitable débouchera sur la création de la section gruérienne de la Croix-Rouge fribourgeoise, en septembre 1917.

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