De Broc-Fabrique à Berne sans changer de train

| sam, 03. mai. 2014
Les Transports publics fribourgeois vont faire passer la ligne Bulle-Broc Fabrique en voie normale. Le chantier, estimé à 50 millions et payé par la Confédération, devrait s'échelonner de 2016 à 2021. Le réseau des bus du Sud s’en trouvera remodelé.

Par Jean Godel
Qui l’eût cru? La ligne de chemin de fer à voie étroite Bulle-Broc-Fabrique, aujourd’hui moribonde et souvent moquée – qui n’a jamais ri du légendaire «Express de Broc»? – est en passe de réécrire l’histoire ferroviaire de la région pour les cent prochaines années. C’est Vincent Ducrot, directeur des Transports publics fribourgeois (TPF), qui l’affirme. A l’horizon 2019-2020, la ligne passera en effet en voie normale et intégrera le RER Fribourg. Broc-Fabrique sera alors relié à Berne via Bulle, Romont et Fribourg, sans changement de train. Et cela toutes les 30 minutes à terme.

Cet immense chantier, dont Vincent Ducrot et Christian Castella, président du Conseil d’administration des TPF, ont confirmé la teneur à La Gruyère, coûtera la bagatelle de 50 millions de francs, intégralement financés par la Confédération. L’Office fédéral des transports (OFT) vient de donner par écrit son feu vert aux TPF. «Fribourg réalise là un grand coup! Je suis extrêmement content de cette nouvelle qui profitera à l’ensemble du canton», jubile le Gruérien Christian Castella.

Faire juste tout de suite
Tout est parti de Bulle 2030, ce grand projet des TPF d’urbanisation au centre de Bulle autour d’une nouvelle gare. Un objet à 50 autres millions de francs. Lors de l’une des rencontres régulières que les TPF ont à ce sujet avec l’OFT et sa division Financement du réseau ferré, le chef de cette dernière, Markus Giger, leur a demandé de réétudier la faisabilité d’un passage à la voie normale du Bulle-Broc. Une idée déjà creusée il y a une dizaine d’années mais restée sans suite.

«Markus Giger a posé d’emblée la bonne question, résume Vincent Ducrot. Son but était d’éviter de rénover à grands frais des infrastructures à voie étroite dont nous n’aurions plus besoin à moyen terme.» Autrement dit, faire tout juste tout de suite. Car, pas de doute: avec un taux de couverture de 18%, le Bulle-Broc aurait rapidement dû être repris par le canton. «Dès lors, le risque était grand que la ligne soit supprimée», estime le directeur des TPF.

Un Bulle-Broc pour 50 mio
L’étude requise par l’OFT a abouti à un investissement d’environ 35 millions pour le maintien de la ligne en voie étroite contre 50 mio pour son passage en voie normale. Banco! a dit la Confédération: le jeu en vaut la chandelle. Surtout que la voie normale a d’autres avantages.

D’abord, la rapidité d’exécution. On puisera en effet l’intégralité de ces 50 mio dans les contributions au maintien et au développement de l’infrastructure ferroviaire, un fonds doté de 5 milliards par an qui constitue l’essentiel du FAIF, accepté le 9 février dernier par le peuple. De l’argent immédiatement disponible. A contrario, l’investissement de 35 mio nécessaire au maintien de la voie étroite se serait réparti sur vingt ans, estime Vincent Ducrot.

«Qui plus est, ajoute Christian Castella, cet objet ne prétéritera pas les autres projets des TPF, notamment la rénovation de nos gares.» «C’est une chance énorme pour le canton, étant donné les demandes qui viennent de partout», enchaîne Vincent Ducrot.

La Suisse plus proche
Deuxième avantage: ce raccordement du Bulle-Broc au réseau national à voie normale redessinera la carte des transports publics dans le Sud (lire ci-dessous). Un défi désormais lancé au canton, responsable en la matière. Le Fribourg touristique a aussi tout à y gagner: la Maison Cailler, première attraction touristique romande, mais aussi Charmey et Gruyères se rapprochent du reste de la Suisse.

Enfin, ce projet relance la filière marchandises vers Broc-Fabrique. Actuellement, seule la marchandise transformée quitte l’usine Cailler par le rail. Les TPF ont déjà perdu le transport du sucre qui constitue l’essentiel du trafic, en raison des coûts du transbordement des wagons sur des bogies à écartement étroit en gare de Bulle.

Désormais, le trafic des fèves de cacao pourrait reprendre dès cet été grâce à de menus travaux récemment réalisés sur la voie à Bulle. Surtout, avec un tel projet, Nestlé s’est dit intéressé à revenir au rail pour le sucre. «C’était aussi l’un des grands enjeux de la Confédération: ne pas voir le trafic marchandises tomber», révèle Vincent Ducrot. D’une pierre deux coups, voire trois ou quatre.


Une première en Suisse
«Selon l’OFT, révèle Vincent Ducrot, directeur des Transports publics fribourgeois (TPF), c’est la première fois en Suisse que l’on transforme une voie étroite en voie normale.» Ce projet tire profit de la reconstruction de la gare de Bulle. Actuellement, les rames du RER Fribourg et leurs conducteurs patientent 40 minutes à Bulle avant de repartir vers Fribourg. Prolonger jusqu’à Broc-Fabrique supprime pareille improductivité sans casser l’horaire cadencé.

Concrètement, les TPF poseront de nouveaux rails sur les 5,5 km du tronçon. Sur les 700 m communs aux deux écartements, entre Bulle et l’embranchement avec la ligne de l’Intyamon, ils poseront deux rails supplémentaires de chaque côté de ceux existants, et non pas un troisième rail latéral. Cette dernière option aurait décalé l’axe central de la voie, contraignant les TPF à acquérir plusieurs bâtiments le long du parcours pour les démolir afin de libérer le gabarit. Rien de tout cela n’aura donc lieu. «Rien que là, on économise 5 à 10 millions», apprécie Vincent Ducrot.

Importants travaux à Broc
Si le tracé ne pose pas de problème à Bulle, certains points devront être corrigés à Broc pour y garantir un plus grand rayon de courbure. C’est le cas de chaque côté du viaduc sur la Sarine et, surtout, dans la rampe qui descend vers Broc-Fabrique où des remblais devront être créés. La seule difficulté concerne la coexistence de deux systèmes d’alimentation électrique sur le tronçon commun aux deux écartements: là, il n’y aura qu’une seule caténaire équipée d’un système automatique d’enclenchement différencié.


Haltes des Marches et d’Epagny fermées
A Broc village, ne subsistera qu’une seule voie étant donné que les trains ne s’y croiseront plus. A Broc-Fabrique, les deux voies situées de chaque côté de la gare seront maintenues et permettront  à deux rames de stationner. Les haltes des Marches et d’Epagny seront supprimées. Quant à la nouvelle gare de Bulle, elle ne comptera que six voies (trois de chaque écartement) et non sept comme initialement prévu. Logique puisque ne subsisteront que deux lignes: le Broc Fabrique-Berne et le Palézieux-Montbovon. De la place et des économies en plus!

Les TPF procéderont par étapes, parallèlement à la construction de la nouvelle gare de Bulle. Ils y réaliseront d’abord le secteur à voie normale. Ensuite, ils fermeront durant six à huit mois le tronçon entre Broc-Fabrique et La Tour-de-Trême pour y remplacer la voie. Ce sera enfin au secteur à voie étroite de la gare de Bulle d’être reconstruit. Le tronçon commun aux deux écartements sera modifié sans interruption du trafic. Les travaux devraient s’échelonner de 2016 à 2021.

 

«Une chance à saisir»
Ce passage en voie normale de la ligne Bulle-Broc-Fabrique augure d’une redistribution complète de l’offre en transports publics dans le Sud du canton. D’abord, il simplifie l’exploitation des Transports publics fribourgeois (TPF) qui se retrouveront avec deux lignes: le Palézieux-Montbovon en voie étroite (à terme prévu à une cadence à la demi-heure entre Palézieux et Gruyères) et le Broc-Fabrique-Berne en voie normale. Surtout, ce prolongement de la colonne vertébrale du RER Fribourg jusqu’à Broc aura un impact important sur le réseau des bus, que ce soit les lignes régionales ou le réseau Mobul.

Ainsi, les lignes desservant la Jogne, la rive droite du lac de la Gruyère voire l’Intyamon ou Moléson pourraient venir se connecter au RER à Broc village ou Broc-Fabrique, sans plonger dans les encombrements de Bulle. Ce qui impliquerait un déploiement des bus Mobul pour la desserte fine. «Il faudra voir Bulle comme une agglomération avec plusieurs gares», avertit Vincent Ducrot, directeur des TPF.

Par ricochet, on peut même imaginer que les moyens automobiles qui ne seront plus mobilisés entre Broc et le centre de Bulle pourront être redéployés ailleurs. Par exemple vers Charmey et la Jogne dont la desserte pourrait être développée. «Ça implique forcément une réflexion profonde sur la desserte de la région», reconnaît Vincent Ducrot. Qui insiste sur le fait qu’il s’agit là du domaine de compétence du canton et des communes, pas des TPF. «Mais il serait dommage de ne pas profiter d’une telle occasion.» Un groupe de travail devra être mis sur pied par le canton et son Service de la mobilité.

Les communes seront aussi associées, elles qui devront sans doute prévoir des Park + Rail aux abords des nouvelles gares RER. Les TPF ont d’ailleurs informé hier après-midi les autorités de Bulle, Broc et Gruyères ainsi que le préfet de la Gruyère.
 

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