Des moments d’échange dans la promiscuité du train de nuit

| mar, 20. mai. 2014
Deux cents malades du pèlerinage romand ont rejoint la cité mariale des Pyrénées lundi en train de nuit. Un défi de taille pour les soignants.

PAR ANGELIQUE RIME, DEPUIS LOURDES

«Le train de nuit vers Lourdes, c’est le moment le plus fort du pèlerinage. En avion, vous manquez une partie.» Appuyé contre la porte d’un compartiment, Yves Gremion s’assure que ses patients sont bien installés. Le temps du voyage, il est infirmier responsable d’un wagon et directeur du Foyer Saint-Joseph, à Sâles, le reste de l’année. Le train blanc, parti de Fribourg dimanche à 16 h 30, vient de dépasser Romont. Il entame sa course direction la cité mariale des Pyrénées. A son bord, deux cents malades qui participent cette semaine au pèlerinage interdiocésain de Suisse romande, accompagnés d’hospitaliers et de pèlerins.
La nuit tombe. Les soignants commencent à servir les repas: sandwich, boisson et yoghourt. Dans le wagon d’Yves Gremion, Margot Karth, hospitalière pour la première fois, se déplace tant bien que mal dans les couloirs, étroits et encombrés par un flux constant de personnes. «Je ne pensais pas que l’espace était aussi restreint! Et rien n’est adapté aux malades, explique la jeune fille de 18 ans. ça change de l’environnement sécurisé dans lequel on travaille d’habitude.»
Dans les allées, le trafic atteint son comble à l’heure du coucher. Lorsque la plupart des patients se dirigent vers le petit coin. Pas de stress pour autant, plutôt des moments d’échange. Autre exercice périlleux:  préparer leurs lits – six par compartiments répartis sur trois étages – et soutenir les plus courageux dans l’ascension vers leur matelas.  
L’atmosphère est plus calme dans les deux wagons ambulance, où sont installés les malades les plus fragiles et ceux qui sont alités. Mais la promiscuité reste de mise. Sans parler de la chaleur, plus intense qu’ailleurs. Ces voitures datant de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas climatisées, mais simplement ventilées. Pour réussir à se reposer, Marie-Antoinette Picard, de Marsens, a sa technique: «Je mets des boules Quies et je prends une pastille.»


Jouer aux équilibristes
A l’autre extrémité du train, l’ambiance est plutôt aux réjouissances pour les pèlerins et les hospitaliers. On débouche les bouteilles de rouge ou de champagne, on sort le pain, le jambon et le fromage. Mais ce relâchement ne dure pas. «Je reprends le service de 1 h à 4 h», raconte le brancardier Marc-Henri Favre, de Villars-sous-Mont.
Au petit matin, les équipes de soignants se relèvent. On revient sur la nuit écoulée. «ça a été assez sport du côté des ambulances», lâche un veilleur. Francis Rime, médecin chef, confirme: «Nous avons dû poser une perfusion.» Certains hospitaliers au repos ont également eu une nuit mouvementée. «Je n’ai jamais autant mal dormi», lâche Margot Karth. Sa collègue Christine Castella, d’Enney, a eu plus de chance, mais avoue qu’elle  arrivera avec «un certain capital fatigue à destination».  
Peu importe si les paupières deviennent lourdes. «Les malades nous donnent tellement, confie le Jurassien André Kottelat, qui participe à son 32e pèlerinage. On se rend à Lourdes pour  recharger nos batteries.» A 7h, les estomacs commencent à crier famine. Dans les wagons, les hospitaliers jouent aux équilibristes pour servir le café aux malades sans les ébouillanter. Le convoi passe en gare de Tarbes, la destination finale est proche.  
Après dix-sept heures de train pour certains, un peu moins pour d’autres, le convoi s’immobilise en gare de Lourdes. Le train se vide de ses occupants. Certains sont ébouriffés. D’autres courbaturés et un peu fatigués. Mais tous sourient.

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En famille, «prier pour garder des forces»
Témoignage. Pour la cinquième année consécutive, Rose Doutaz fait partie du convoi à destination de la cité mariale des Pyrénées. «Depuis que j’ai foulé les allées de Lourdes, j’y retourne chaque année. J’en ai besoin, confie l’hospitalière de 60 ans, domiciliée à La Tour-de-Trême. C’est magique. Tu te sens léger. Lorsque tu t’approches des sanctuaires, ça te fait les frissons.» Ces instants privilégiés, la Gruérienne a la chance de pouvoir les vivre en famille. Ses parents Gilbert et Anne-Marie Risse, résidents au Foyer de Bouleyres, à Bulle, font également partie du voyage.  
«L’année dernière, je suis montée avec mon papa à la basilique. Je l’ai poussé jusqu’en haut. C’était fort.» L’aspect  familial se veut d’ailleurs primordial: «Seul, je ne partirais pas», raconte Gilbert Risse, 89 ans, qui participe à son deuxième pèlerinage. Ma fille et mon épouse en parlaient souvent, j’ai décidé de tenter l’expérience.» Résultat? «J’étais impressionné. Par le monde – il ne faut pas être stressé là-bas et savoir attendre – la basilique, la grotte, la qualité de l’encadrement.»
Pourtant, Rose Doutaz ne s’occupe pas exclusivement de ses parents. «Ma présence les tranquillise et je veille toujours à ce que tout se passe bien pour eux. Mais, durant la semaine, j’entoure deux ou trois autres malades.»


Débriefer autour d’un verre
En tant qu’hospitalière, la Gruérienne a déjà été confrontée à des «choses qui ne sont pas toujours faciles à regarder. Il y a des cas assez lourds. Nous devons donner à manger aux malades, les laver, leur enfiler des bas de soutien, etc. Tout le monde n’est pas fait pour s’engager dans ce type de bénévolat, dit Rose Doutaz, qui n’a pas de formation dans le domaine médical. Pour ma part, j’avais besoin de m’occuper de personnes qui ne peuvent pas partir seules.»
Les hospitaliers doivent également faire preuve d’une grande qualité d’écoute. «Beaucoup de malades se confient à nous et nous racontent des choses parfois difficiles, relève Rose Doutaz. La solitude de certains est manifeste. Il y a aussi des gens qui aimeraient mourir à Lourdes.» Et son papa d’enchaîner: «Moi, je ne veux pas!»
Sans parler du physique qu’il faut avoir pour tenir le rythme. «La journée commence vers 5 h 30 et se termine rarement avant 22 h. On n’a pas le temps de s’embêter.» Une fois les malades couchés, les hospitaliers prennent toutefois un peu de temps pour eux. «On décompresse et on débriefe autour d’un verre.»
La nuit est également un moment propice pour profiter de la quiétude de la grotte où Bernadette Soubirous a eu ses apparitions. «J’y suis allée à 3 h, un soir de veille assez calme, raconte Rose Doutaz. C’est très particulier.»


«Les miracles, on y croit»
Autre lieu particulier à Lourdes: les piscines. «Je m’y rendrai peut-être cette année. Jusque-là, je ne me sentais pas prête à vivre cette expérience, raconte Rose Doutaz. J’ai des amis qui y sont allés. Ils ont pleuré pendant des heures après avoir plongé leur corps dans l’eau.» Gilbert Risse a pour sa part déjà décidé de ne pas s’y rendre. «L’eau est trop froide.»
Et la foi dans tout ça? «Les miracles, on y croit, relève Anne-Marie Risse, 82 ans. Mais on va surtout à Lourdes pour prier pour notre santé, pour qu’on garde des forces et aussi pour notre famille.» Quant à Gilbert Risse, il relève, un brin taquin, que «c’est plutôt le Bon Dieu qui doit lui en rendre».
Rose Doutaz insiste également sur l’aspect humain du pèlerinage, avec les malades, mais aussi entre hospitaliers. «Chaque année, on se retrouve plus ou moins la même équipe. Quand on rentre de Lourdes, le samedi, on va toujours manger ensemble. On se remémore les moments vécus pendant la semaine. On pleure un coup et on se dit à l’année prochaine.» AR


 

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