Olivier Havran, l’art si complexe de jouer simple

| sam, 17. mai. 2014
Le comédien gruérien Olivier Havran joue "L’homme qui plantait des arbres à la Part-Dieu, dans le cadre du festival Altitudes. Sans filet, il donne chair au texte de Jean Giono avec la violoncelliste Sara Oswald. Portrait d’une «belle âme».

Par Christophe Dutoit

 

«Ce texte, je l’ai d’abord réécrit à la main. Puis je l’ai lu, peut-être une soixantaine de fois, et je le savais par cœur.» Dès lors, le travail a pu commencer…

Jusqu’au 24 mai, Olivier Havran joue L’homme qui plantait des arbres dans les jardins de la Part-Dieu. En compagnie de la violoncelliste Sara Oswald, il donne chair à la nouvelle de Jean Giono qui débute ainsi: «Il y a environ une quarantaine d’années, je faisais une longue course à pied, sur des hauteurs absolument inconnues des touristes, dans cette très vieille région des Alpes qui pénètre en Provence…»

Avec son béret à carreaux, son costume deux-pièces et son manteau en velours côtelé, le comédien embarque l’auditoire dans cette éblouissante fable écologiste, popularisée par la voix de Philippe Noiret dans les années huitante. Avec un naturel qui ne trahit à aucun instant les heures de travail, de répétitions, de dissection minutieuse du texte en compagnie de la metteure en scène Sylviane Tille.

Ma famille théâtrale

Le lendemain de la première, on a rencontré Olivier Havran dans un café bullois. Presque
timide derrière sa barbe de quelques jours, il encaisse les compliments. Durant dix soirs, il remettra l’ouvrage sur le métier. Ce jeudi, il sait que Véronique Mermoud et Gisèle Sallin, les deux géantes du Théâtre des Osses, seront dans le public. «Les Osses, c’est ma famille théâtrale, de la couture à la technique, lâche-t-il en diluant sa tension grandissante dans un thé noir et deux sucres. A l’épo-que où je suivais ses cours au Conservatoire populaire, Gisèle Sallin a cru en moi…»

A tel point que la metteure en scène parvient à convaincre le jeune homme de suivre une carrière professionnelle. «J’avais 28 ans, je venais de terminer ma formation d’infirmier, après un premier apprentissage d’électricien. Je suis alors entré à l’Ecole de théâtre Serge Martin, à Genève.» Il marque une respiration. «Je travaillais à l’hôpital deux week-ends par mois pour payer mes cours…»

En 2005, au terme de ses études, Gisèle Sallin lui fait passer une audition pour Mère Courage. Il y obtient trois seconds rôles et un engagement à l’année qui courra cinq saisons, puis des collaborations jusqu’à ce printemps. «Gisèle et Véronique m’ont permis de grandir. Sur le plan humain, on s’est trouvés.»

Au contact de Roger Jendly
Au Centre dramatique fribourgeois, il côtoie aussi Roger Jendly, impayable Harpagon dans L’Avare de Molière. «J’ai appris à son contact qu’il est important de ne pas montrer son travail. Au début, je voulais en faire trop. J’ai appris la complexité de faire simple.»
Dans le «galetas» de l’église de la Part-Dieu, Olivier Havran livre une prestation tout en retenue, mais d’une très grande classe. «J’apprécie le contact très proche avec le public. Les yeux dans les yeux. C’est à ce moment-là que la transformation a lieu.»

Toujours sur le fil, avec un minimum de déplacements et d’effets, il incarne ce texte qu’il embrasse à bras-le-corps. «Le monologue est la forme de théâtre que je préfère. Ma recherche artistique tend vers cette simplicité, cette mise à nu. A force de persévérance, cet aspect ressort.» Tout le contraire de comédiens comme Jean-Quentin Châtelain ou Fabrice Luchini, «qui risquent peut-être d’être prisonniers de leur style»?

La première expérience théâtrale d’Olivier Havran remonte
à son adolescence, alors qu’il vivait à Montbovon. «J’ai joué dans Le petit prince à l’Ecole secondaire de Bulle, dans une mise en scène de Roselyne Delley. Je m’en souviens très bien, Christian Levrat jouait le roi…» Une tentative sans lendemain, qui ne lui laisse pas un grand souvenir. «A l’époque, je m’en
fichais un peu. Et je n’étais qu’en classe générale…»

L’école des XIII
Sa palette de caractères, il l’apprend sur les chantiers ou à l’école des XIII, le fameux bistrot bullois où les discussions étaient foisonnantes, «même si on ne parlait pas». Nouvelle respiration. «J’ai de la chance, car j’ai pu transformer ces expériences de vie en un truc artistique.»

Professionnel sur le tard, Olivier Havran ne l’est pas moins jusqu’au bout des doigts. En 2010, il décide de suivre une école à New York. «Je suis fasciné par la méthode de l’Actors studio. Avec ma compagne, on a vécu neuf mois à Brooklyn. J’y ai suivi les cours de la New York Film Academy. C’était passionnant.» Dans la langue d’Al Pacino, il travaille des monologues de Shakespeare, entraîne sa diction avec un «gars qui avait bossé avec Meryl Streep». Quinze minutes sur la même phrase…

«J’ai également passé quel-ques auditions. On était quarante et j’étais tellement largué que je présentais l’inverse des autres.» Toujours ce goût pour le contre-pied et la rébellion à peine feinte. «Je me suis fait remarquer et j’ai pu jouer dans quelques films.» Comme si tout cela était parfaitement naturel.

Il sonne 17 h. Dans trois heu-res, cette «belle âme» enfilera à nouveau son costume de comédien. «Je fais tous les soirs une italienne avant de jouer (un déroulé accéléré du texte à voix basse). Pour ce genre de monologue, il faut se mettre en condition. Comme un sportif d’élite.»

Au bout d’une d’heure d’envoûtement dans le silence religieux de la chartreuse, il ôtera son béret: «Elzéard Bouffier est mort paisiblement en 1947 à l’hospice de Banon.» Olivier Havran sourira sous les applaudissements. Bien mérités.

 

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Une caresse à haute voix

Prononcez à haute voix: «Elzéard Bouffier.» Pas d’un seul souffle. Non. Avec la précaution de distinguer chaque syllabe: «El-zéard Bouf-fier.» Ce nom ne sonne-t-il pas comme une caresse?

Mercredi soir, lors de la première de L’homme qui plantait des arbres, Olivier Havran a raconté bien plus que l’histoire d’Elzéard Bouffier à la poignée de spectateurs présents à la Part-Dieu. Réfugié à l’intérieur en raison de la froidure (le monologue doit normalement être donné dans les jardins), le comédien fribourgeois a fait vibrer ce texte au plus près de sa musicalité. «Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l’âme de cet homme – sans moyens techniques – on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d’autres domaines que la destruction.»

Commandée par le Reader’s Digest (eh oui!), cette parabole de l’action de l’homme sur son milieu a été dactylographiée d’un seul jet par Jean Giono, dans la nuit du 24 au 25 février 1953. Ce ne serait qu’une anecdote si la fulgurance des mots n’était pas aussi primordiale que son contenu.
Et c’est exactement là qu’Olivier Havran excelle dans son rôle. Car le comédien n’est pas qu’un conteur de belle histoire (c’est aussi le cas). Il est surtout un diseur de mots, un souligneur d’allitérations, un charmeur de syllabes, aidé par les bruissements de la violoncelliste Sara Oswald.

Certains textes sont écrits pour être lus, d’autres pour être dits. A haute voix, imaginez Olivier Havran murmurer: «Il a trouvé un fameux moyen d’être heureux!» N’est-ce pas là une belle caresse?


La Part-Dieu, jusqu’au 24 mai, ma-di 20 h, le 17 mai 17 h - 20 h, les 18 et 24 mai 15 h - 17 h - 20 h

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