Retour sur l’installation du «diable sur la colline»

| jeu, 15. mai. 2014
Gruyères perd ses deux artistes fantastiques renommés à deux jours d’intervalle, HR Giger et Patrick Woodroffe. L’arrivée du père d’Alien a d’abord suscité quelques inquiétudes. L’Etat veut garder ses œuvres à la cité comtale.

Par Priska Rauber

 

«Comme c’est triste! La disparition de Giger est tellement inattendue.» Barbara Gawrysiak, la femme qui a beaucoup œuvré pour que le Musée Giger naisse à Gruyères, est émue. Comme tous les amis et admirateurs de l’artiste grison, qui a rejoint lundi le royaume des morts. Hospitalisé à Zurich après une chute à son domicile, il a succombé à ses blessures. «R.I.P. Giger», scandent ses fans sur la toile. Son antre gruérien doit se préparer aux pèlerinages. Retour, par quelques anecdotes, sur les tribulations de son installation dans la cité comtale.

En 1990, Barbara Gawrysiak, alors membre du conseil de fondation du château de Gruyères, va chercher «ce Suisse allemand célèbre et oublié». Avec le conservateur de l’époque, Etienne Chatton, inconditionnel de l’art fantastique, elle se rend à Zurich pour lui proposer de venir exposer au château à l’occasion de ses 50 ans. «Il en fut ravi, se rappelle-t-elle. Car il souffrait d’avoir été boudé par ses pairs après son oscar (lire ci-contre). On le croyait artiste hollywoodien.» Elle écume alors les quel-ques musées suisses qui possédaient de ses œuvres. «Mais, c’était dans les caves qu’elles se trouvaient alors.»

L’exposition de 1990 fut toutefois «un succès énorme». «C’est ce qui m’a encouragée à me démener pour l’implanter à Gruyères, confie Barbara Gawrysiak. Après l’exposition, alors que nous marchions dans la ville, je lui ai dit: “Un jour, je te ferai un musée ici.” Je me rappelle toujours son expression quand il m’a lancé: “Das ist ein Traum, Barbara!” (c’est un rêve, Barbara).»

L’aura d’Alien
Le rêve se réalise en juin 1998. Hans-Ruedi Giger acquiert le château Saint-Germain aux enchères, en septembre 1997, pour 2 millions de francs. Le voilà maître de céans. Il entre à Gruyères entouré de l’aura d’Alien, ses œuvres biomécaniques à sa suite. Ténèbres, seins, bébés, cornes. «Lorsque j’ai débarqué, les gens ont eu peur», nous confiait-il en 2008, à l’heure de fêter les dix ans de l’institution.

Barbara Gawrysiak, qui fut la directrice du musée jusqu’en 2001, se rappelle des propos d’un résident du home voisin: «Je crois bien que vous m’avez amené le diable sur cette colline, m’a-t-il dit! Mais après, il venait tous les jours se promener dans le musée. Je leur avais dit, à tous les résidents du foyer, qu’ils pouvaient venir quand ils voulaient. Ils l’ont fait et ça les a rassurés!» Lovés dans les bassins matriciels, ils furent ensuite les plus fidèles clients de son bar, ouvert en avril 2003.

Si le choc de deux mondes a eu lieu, ce n’est donc pas tant entre les adeptes de cloches et ceux de biomécanique, mais plutôt entre le fonctionnement d’un artiste et ceux des règlements communaux. «Nous avons toujours eu un excellent contact, confie Christian Bussard, syndic de Gruyères à l’époque. Mais il est vrai que nous avons parfois dû le cadrer! Batailler un peu pour qu’il ne surcharge pas de sculptures son esplanade ni le passage voûté.» On se souvient aussi de l’Alien III, que l’artiste a installé sur la façade de son musée en 2005. Mais il a dû l’ôter. La présence de l’imposante créature dérogeait en effet aux règles du permis de construire. Giger l’avait accrochée sans la permission de la commune. Christian Bussard souligne toutefois que la présence de ce musée à Gruyères est une immense chance. «Et lui était un homme attachant.»

Pas comme avec Tinguely
Aujourd’hui, 35000 person-nes par an viennent parfois de loin pour admirer l’accouplement de l’homme et de la machine, le sexe et la mort, Eros et Thanatos, les angoisses de l’artiste. Des angoisses peut-être dues à sa naissance, le 5 février 1940 à Coire. Elle a duré vingt-quatre heures, rapporte l’ATS. Durant cette longue journée, il a manqué d’étouffer à plusieurs reprises, ce qui a provoqué en lui «une peur abominable des espaces fermés».

Puisque c’est de sa mort qu’il s’agit maintenant, relevons qu’elle ne devrait pas mettre en péril l’implantation de son musée à Gruyères. Dirigée par son épouse Carmen Scheifele, administrée par Sandra Mivelaz, l’institution privée recevra le soutien de l’Etat. Hier au Grand Conseil, le député Olivier Suter (acg, Estavayer-le-Gibloux) s’est en effet enquis des intentions du Gouvernement à cet égard. Car, après la mort de Jean Tinguely en 1991, son avocat avait donné des signaux positifs au canton, a-t-il rappelé. Pourtant, le déplacement de ses œuvres à Bâle avait ruiné l’espoir de créer un musée dans son atelier de La Verrerie.

Le député a dit espérer que, dans ce cas, l’Etat «entreprendra ce qu’il n’avait pas entrepris» autrefois. Jean-Pierre Siggen, chef de l’Instruction publique, de la culture et du sport, par ailleurs président de la Fondation du château de Gruyères, a répondu: «Je me battrai pour que le musée reste où il est, dans ce cadre fantasmagorique.»

 

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Par Sophie Roulin

 

Un deuxième «ami» disparaît
Gruyères et l’art fantastique ont perdu récemment un autre de leurs ambassadeurs. Patrick Woodroffe est en effet décédé samedi dernier, après une courte maladie. Né en 1940 à Halifax en Angleterre, il restera l’un des maîtres les plus inventifs de l’art fantastique. Venu exposer une première fois au château de Gruyères en 1991, invité par le conservateur Etienne Chatton, il s’éprit de la région.

En 1997, il y a créé sa première grande sculpture: le Bouclier de Mars, suivi deux ans plus tard par le Bouclier de Vénus. Etienne Chatton, qui voulait faire du château le centre mondial de l’art fantastique, lui a ensuite proposé d’investir la tour du Prisonnier pour une exposition permanente. Celle-ci résume les thèmes majeurs de la création de Patrick Woodroffe. Par la suite, il est revenu souvent dans la région. Il avait l’habitude de loger à l’Institut de la Gruyère. «C’était un personnage très lumineux, témoigne Elisabeth Butty, ancienne directrice de l’établissement. Il aimait passer du temps à discuter avec nos élèves, à leur expliquer sa peinture.» Lors de ses séjours en Gruyère, il se déplaçait à vélo, allant porter lui-même ses cartes de vœux.


«A sa dernière visite, il y a trois ans, il a découvert la Saint-Nicolas et en a été ravi, ajoute Elisabeth Butty. Beaucoup de gentillesse émanait de lui. On a beaucoup reçu de sa part, y compris des œuvres.» Lui-même se définissait comme «moitié-moitié, en même temps cornouaillais et fribourgeois».

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