Une «ceinture de solidarité» autour des peintures murales

| sam, 19. jui. 2014
Les œuvres qui ornent l’un des escaliers du Moderne sont elles aussi protégées. Les auteurs de l’œuvre sont prêts à les reconstituer, malgré les déprédations qu’elles ont subies. Le préfet de la Gruyère a constaté plusieurs irrégularités.

PAR JEAN GODEL

Encore dans un état rattrapable en début de semaine dernière (La Gruyère du 10 juillet), les peintures murales de Jacques Cesa et Massimo Baroncelli sont aujourd’hui sévèrement endommagées, ce qui a poussé le préfet de la Gruyère Patrice Borcard à faire apposer les scellés sur le chantier de la rénovation du Moderne à Bulle (notre édition de mardi). Réalisées en 1985 sur les murs de l’escalier menant à la salle de spectacle du premier étage, les œuvres des deux peintres gruériens ont subi deux déprédations intentionnelles.
Selon des témoignages d’ouvriers sur place, une main inconnue aurait poncé les points névralgiques de l’œuvre (visages, mains) à la pause de midi, le 9 juillet. Puis, le 14 au matin, une nouvelle intervention d’un inconnu a commencé de recouvrir de plâtre et de peinture blanche l’œuvre de Massimo Baroncelli. Problème: mercredi 16 juillet, un avis de droit de la Direction de l’instruction publique, de la culture et du sport a confirmé leur statut d’œuvres protégées.


«Immense souffrance»
«Jacques en a pleuré, cette histoire l’a déprimé», témoigne Hélène Cesa, épouse du peintre. «J’ai d’abord ressenti une immense souffrance de voir cette œuvre saccagée», reconnaît l’artiste. En 1985, il avait peint une œuvre sombre, très personnelle, avec des références à sa famille et à son travail de création associées à l’évocation de la chute d’Icare, à la théâtralité italienne ou encore à l’art lyrique.
Sur les murs de l’escalier en colimaçon, entre le rez et le 1er étage, Massimo Baroncelli avait, lui, privilégié les clairs limpides d’une montée à la salle de spectacle tout en figures théâtrales. «Un tel mépris fait mal», se contente-t-il. Surtout que ces œuvres avaient été commandées par Bernard Vichet – l’architecte qui avait racheté le Moderne pour le sauver – en signe de reconnaissance: les deux lanceurs d’alerte avaient, dès 1979, mobilisé les Bullois pour empêcher, avec d’autres, la démolition du bâtiment, alors non protégé, et son remplacement par un centre commercial.
En décembre 2013, Jacques Cesa et Massimo Baroncelli avaient envoyé une lettre au propriétaire, l’architecte genevois Michel Acquaroli, saluant sa décision de rénover le Moderne et l’invitant à une rencontre pour évoquer la préservation des peintures murales. En vain. Le 1er juillet, ils avaient réitéré leur demande dans l’urgence, vu la tournure des événements, là encore dans le vide. «Aujourd’hui, c’est comme un couteau qu’on nous plante dans le dos, et en douce», résume Hélène Cesa.


Apaisement souhaité
Malgré tout, les deux artistes sont prêts à reconstituer leurs œuvres. «Même si ça m’ennuie de refaire deux fois la même chose», avoue Massimo Baroncelli. Une reconstitution plus qu’une restauration, vu les sévices subis. Des clichés avant les déprédations ayant été pris par le Service technique de la ville de Bulle, l’opération est jouable. «Ça ira vers une recréation, mais cela ne m’ennuie pas du tout car j’ai envie que l’image demeure», estime Jacques Cesa.
Pour évoquer les démarches entreprises actuellement, lui parle d’une «ceinture de solidarité pour empêcher la destruction d’une œuvre». Malgré les tensions qui règnent dans ce dossier épineux, Jacques Cesa se dit toujours prêt à rencontrer le propriétaire «dans le calme et la sérénité» pour faire revivre l’œuvre: «Je n’abdique pas.»

 

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«Procédés détestables»


Rendu mercredi, l’avis de droit demandé à la Direction de l’instruction publique, de la culture et du sport pour éclaircir le statut des peintures murales du Moderne est clair: il conclut à leur protection au même titre que le bâtiment de 1905 qui les héberge (sous protection maximale A1) et dont elles constituent l’un des décors. Et ce quand bien même elles ont été ajoutées en 1985. «Tout ce qui fait partie de l’histoire du bâtiment est classé», résume Stanislas Rück, chef du Service des Biens culturels (SBC). Dès lors, fait remarquer Patrice Borcard, préfet de la Gruyère, on ne peut pas parler de classement dans l’urgence vu que les peintures étaient déjà protégées: «Il suffisait de s’informer…»
Autre volet de l’affaire, les irrégularités constatées. D’abord, la destruction de l’escalier d’origine, entre le rez et le sous-sol: selon Patrice Borcard et le SBC, le permis de construire ne la stipulait pas. Ensuite, lors de la mise sous scellés du chantier, le préfet a constaté que certains appartements étaient déjà occupés alors qu’aucun certificat de conformité des travaux ni permis d’habiter n’avaient encore été délivrés. «Les locataires ont dû quitter les lieux», confirme Patrice Borcard.
Demande a donc été faite au propriétaire Michel Acquaroli, au SBC et à la commune de se déterminer sur ces points. Il s’agit notamment de savoir si les travaux sur l’escalier avaient pour but l’installation d’un ascenseur. «Mais pour moi comme pour le SBC, la seule perspective possible est la remise en état de l’escalier et des peintures», insiste le préfet. Une procédure pénale est ouverte, avec recours possibles. En l’état, les scellés sont maintenus.


Permis «rigoureusement respecté»
Au final, Patrice Borcard dénonce des procédés «détestables»: «Lors d’une réunion tenue le 9 juillet, Michel Acquaroli a accepté le principe du maintien des peintures. On ne sait pas qui les a endommagées, mais peu importe: le mal est fait.» Pour sa part, au terme d’un long appel téléphonique, Michel Acquaroli se refuse à tout commentaire et renvoie à son avocat: «La plaisanterie a assez duré.» Il réaffirme toutefois que le permis de construire a été «rigoureusement respecté» et ajoute que la démolition de l’objet en question était «parfaitement conforme au permis et ne visait que la remise en état de l’escalier défectueux». jng

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