Appétit grandissant pour les repas sur le pouce

| mar, 09. sep. 2014
Les plats à l’emporter séduisent un nombre croissant de pendulaires. Le point avec Isabelle Raboud, directrice du Musée gruérien et ex-conservatrice de l’Alimentarium de Vevey.

PAR JONATHAN DONZALLAZ

Un groupe de jeunes engloutit son repas de midi sur un banc de la place du Marché, sous le soleil d’automne. Une scène quotidienne en ville de Bulle. Kebabs, pizzas, sandwichs, plats asiatiques ou même tartare de bœuf: pour qui veut manger sur le pouce, l’offre est pour le moins variée. Et elle continue de s’étoffer: tandis que le groupe Subway a ouvert une sandwicherie dans la gare ferroviaire à la fin du mois d’août, les premiers food trucks commencent à écumer le canton.
Si la chaîne Max Poulet sillonne depuis plusieurs années déjà la région, plusieurs particuliers se sont lancés il y a peu. Sous l’enseigne Une frite, une fois, David Robas propose ainsi ses spécialités belges entre Corbières et Bulle. Dans le chef-lieu gruérien, il doit faire face à la concurrence de la Brésilienne Dilcineia Menoud, dont le stand de hot-dogs est situé sur la Grand-Rue, juste en face de l’église. En Veveyse, Iljaz Berisha tient lui aussi un petit snack ambulant, basé à Châtel-Saint-Denis.
Autant de commerces qui proposent des plats à l’emporter, le plus souvent dégustés dans la rue, ou du moins à proximité du lieu de travail. La fin du traditionnel repas mitonné et dégusté en famille? «En vérité, le fait que des gens doivent manger à l’extérieur n’est pas nouveau», rappelle Isabelle Raboud, directrice du Musée gruérien. Ancienne conservatrice de l’Alimentarium de Vevey, l’habitante de Corseaux est bien placée pour commenter les habitudes alimentaires de la région. «On n’a pas attendu l’arrivée de McDonald’s pour avoir des plats prêts à être consommés»,
reprend-elle. Et d’évoquer les enfants qui apportaient leur pitance aux travailleurs des champs, et les bûcherons qui emportaient des repas tout faits avant de s’enfoncer dans les forêts.
C’est après la Seconde Guerre mondiale que notre mode de consommation actuel a commencé à se dessiner. «A ce moment-là la nourriture labellisée se développe, avec des marques, des emballages et des logos.» Dans le même temps, les vagues d’immigration successives font découvrir aux Gruériens de nouvelles saveurs, dans le sillage des pizzas amenées par les travailleurs italiens.
Pourtant, le repas familial reste de longues années encore une institution. «Dans les années 1980, 70% des Suisses prenaient encore le repas de midi à la maison», rappelle Muriel Hauser, présidente de GastroFribourg. «En 2010, la tendance s’est inversée: il ne s’agissait plus que du tiers de la population.»
Un renversement de situation rapide, qui s’explique par une société en évolution: travail des deux conjoints, temps de déplacement vers le lieu de travail plus long, pause de midi plus courte. «A horaire plus compliqué, nourriture plus bricolée!» lance Isabelle Raboud. Laquelle constate que c’est désormais plutôt le repas du soir qui fait office de réunion commune.


Bonne fréquentation
Ainsi, c’est avant tout une série de contraintes qui poussent étudiants comme salariés à dîner loin du domicile. Et c’est bien cette situation qui profite aux commerces proposant des plats à l’emporter. Cependant, ces derniers n’ont pas le monopole: si les sandwicheries fleurissent à Bulle, l’offre en restaurant reste elle aussi bien fournie. Et après un rapide tour d’horizon des principaux établissements, le constat s’impose: cafés, brasseries et autres restaurants ne désemplissent pas.
Pour le Belge David Robas, propriétaire d’un food truck, c’est le signe que restauration traditionnelle et vente à l’emporter cohabitent sans se faire de concurrence directe. Un constat que tous les restaurateurs ne partagent pas. Pour Juliette Esseiva, tenancière du Café de la Promenade sur la Grand-rue, c’est une évidence: «Bien sûr qu’il y a une concurrence, je peux vous dire qu’au kebab d’à côté, ça défile! Et je suis sûre que certaines de ces personnes viendraient chez moi.» Muriel Hauser en est également intimement convaincue: vues les proportions qu’a prises le phénomène, «les take away représentent désormais une concurrence directe à la restauration».


A chacun sa stratégie
Chacun tente donc de se faire une place sur ce marché alimentaire. A ce petit jeu, une bonne stratégie marketing est déterminante pour bousculer les institutions en place. Les grands groupes labellisés misent souvent sur une image «cool» pour séduire leur jeune clientèle. «Ils jouent aussi sur la constance, en proposant des produits faits de la même manière tous les jours», ajoute Isabelle Raboud. «Le client sait à quoi s’attendre et, qu’il l’avoue ou non, il aime cet aspect rassurant.»
Les points de vente indépendants, eux, ont aussi leurs tactiques: cartes de fidélité, offres pour les étudiants, ou encore page Facebook pour annoncer les dernières actions. Une lutte qui, au final, profite au consommateur. Tant à son porte-monnaie qu’à son palais.

 

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Restauration à roulettes
Arrivé à Corbières comme vitrier, le Belge David Robas a quitté son emploi pour acheter un food truck, ou «camion-restaurant». Un mode de restauration encore peu répandu: dans le canton, ils ne sont qu’une poignée à avoir tenté l’expérience, dont Bastien Masset et son Camion Rouge (hot-dogs) à Fribourg. Avantages du concept: des frais d’investissement moindres comparés à un restaurant traditionnel – près de 100 000 euros tout de même pour David Robas – et une mobilité totale. Pour autant, le food truck est-il adapté à une région comme la Gruyère? «Le mauvais temps n’est pas un problème», assure le Belge de 43 ans. «Avec les emplacements par contre, c’est plus difficile». Pas facile de trouver des ententes avec les communes ou les privés, inquiets pour la propreté de leurs rues ou la tranquillité de leurs quartiers. En attendant d’autres arrangements, David Robas navigue entre Corbières, la Coop du Carô, et la rue de Palud à Bulle. Optimiste, il compte bien faire perdurer l’aventure. En se réjouissant de la rentrée scolaire, après un été bullois qu’il qualifie de «calme, très calme!» JD

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