«Je me suis dit que si le tireur entrait, on allait tous mourir»

| sam, 25. oct. 2014
De retour hier, les élèves racontent le drame. Un récit où la solidarité prend le pas sur l’angoisse. Soulagé, le recteur François Genoud ne remet pas en cause les voyages scolaires.

PAR YANN GUERCHANIK


«Salut maman, je ne sais pas si tu as vu les informations. On a eu une attaque terroriste au Parlement. Notre groupe va bien. Je t’aime.» En substance, c’est le message que Milena Leo a envoyé à sa mère une heure et demie après l’attentat au Canada. Il est 17 h 30 en Suisse, Marie Leo – la maman – respire enfin.
«Mercredi, comme tous les jours, j’ai consulté le site internet sur lequel les élèves évoquent leur voyage d’études. En prévision de leur visite, ils avaient posté une photo du Parlement. En reprenant mon iPad un peu plus tard, je vois presque la même image en première page d’un site d’information. Avec ce titre: “Fusillade au Parlement”. C’était le coup d’assommoir!»
Quatorze élèves du Collège du Sud, à Bulle, et leurs deux professeurs se sont retrouvés au cœur du drame qui s’est déroulé mercredi à Ottawa. De retour vendredi, quatre d’entre eux se sont confiés à La Gruyère. Emus, chamboulés, mais courageux, ils livrent le récit d’une journée qu’ils ne sont pas près d’oublier.


Il s’en est fallu de peu
«Vers 9 h 40, on avait fini la visite guidée, évoque Alexandre Chassot, 17 ans. On devait normalement se rendre dans le hall où l’assaillant a surgi. Mais on nous l’a interdit parce que des caméras devaient filmer la sortie de la Chambre des communes. On a opté alors pour la tour de la Paix.» Il s’en est fallu de peu: «On s’est retrouvés sur un balcon qui donnait sur le hall, poursuit Valentine Kamm, 18 ans. On attendait l’ascenseur quand un monstre bruit a retenti.»
Personne ne réalise vraiment à quoi celui-ci correspond. «Le guide nous avait dit que l’ambiance était souvent tendue dans la Chambre des communes, raconte Alexandre. Pendant un instant, j’ai pensé que les députés en venaient aux mains.» Mais les choses vont vite se préciser à mesure que les coups de feu redoublent.
«Un policier posté là nous a tout de suite ordonné de rentrer dans la chapelle», poursuit Milena. La tour de la Paix abrite en effet la chapelle du Souvenir, une pièce de 8 mètres sur 8. Les quatorze élèves et les deux professeurs y pénètrent dans la précipitation avec d’autres. Ils seront une vingtaine à passer des heures d’angoisse dans cet espace confiné.


Comme pris au piège
«On s’est cachés derrière le peu de mobilier qui s’y trouvait», confie Valentine. Personne ne comprend vraiment ce qu’il se passe. Sauf un élève. En retard sur le groupe, il a eu le temps de se pencher au balcon au moment de la première déflagration. Dans le hall en contrebas, il aperçoit un homme masqué et armé d’un fusil.
Recroquevillés, conscients à présent de la situation, les élèves ont peur. «C’était le pire moment», se souvient Charlotte Neuhaus, 18 ans. De fait, avec une seule voie d’accès face à eux, ils se sentent pris au piège. «Je me suis dit que si le tireur entrait, on allait tous mourir», confie Alexandre.
Une heure qui passe en un clin d’œil. «Il y avait tellement d’émotion en même temps!» Et puis, le policier qui les accompagne reçoit des informations dans son oreillette. Il les autorise alors à se relever. «Les sirènes et le bruit des hélicos nous ont aussi beaucoup rassurés», ajoute Charlotte. Tout le monde devra néanmoins demeurer encore près de huit heures dans la chapelle.


Tous solidaires
Dans ces moments intenses, tous les quatre relèvent la solidarité qui a prévalu. «La guide m’a pris la main», raconte Milena. Elle-même se souvient avoir passé un bout de chocolat à Valentine, pour l’aider à surmonter l’épreuve.
A 19 h, on leur apporte un assortiment de nourriture prélevée à la cafétéria… juste au moment où ils peuvent évacuer. Tout le monde devra rester dans l’enceinte du Parlement le temps de donner ses coordonnées à la police. Pendant que les autres peuvent enfin se rendre à l’hôtel, l’élève qui a vu le tireur devra encore subir un interrogatoire.
Lancés dans leur récit, les élèves ont l’air presque sereins. «L’effet de groupe y est pour beaucoup, pense Alexandre. Sur place, on a eu des heures pour en parler.» Et Milena d’ajouter: «Certains ont soutenu les autres et n’ont relâché la pression qu’après.» Jeunes hommes et jeunes femmes de leur temps, ils ont pour ainsi dire suivi les événements en direct sur leurs smartphones. Dès qu’ils en ont eu la possibilité, ils ont ainsi rassuré leurs proches.
«Revoir passer les images en boucle, réentendre les coups de feu, c’est quand même fou», s’accordent-ils. «Ce sera peut-être plus dur lorsqu’on va se retrouver seuls», confie Milena avec l’acquiescement des copains.» Pour l’instant, personne n’a fait appel à l’encadrement mis à leur disposition. La boule au ventre est un peu moins présente depuis qu’ils ont atterri en Suisse. Entre eux, les liens se sont resserrés. Ils pensent encore à leurs professeurs «qui ont assuré» et à tous ceux qui les ont aidés. Et si un prochain voyage d’études se présente, malgré tout, ils n’hésiteront pas à y participer.

 

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Avant tout, les mettre en sécurité


C’est peu dire que le recteur du Collège du Sud (CS), François Genoud, est soulagé. Il n’a réellement pu se détendre que lorsqu’il a vu ses 14 élèves et deux professeurs sains et saufs, à Genève. Informé mercredi par la mère de l’un d’entre eux, à peine trente minutes après la fusillade, il a ensuite dû prendre les choses en main rapidement. «J’ai pris contact avec l’un des professeurs, réfugié dans la chapelle. J’ai alors appelé la Direction de l’instruction publique, qui a joint le Département fédéral des affaires étrangères.» Le DFAE a ensuite prévenu l’ambassade de Suisse de la présence des étudiants au cœur de l’attaque. «La cellule de crise est alors entrée en jeu, avec notamment la mise en place d’une helpline.»
Dans le cadre de sa fonction, le recteur a été formé pour faire face aux crises, par définition imprévisibles. «Dans d’autres situations délicates, il s’agit surtout de gérer la réaction des élèves au sein de l’établissement. Mais cette fois-ci, en période de vacances, nous nous sommes concentrés sur les élèves qui étaient au Canada. Il fallait qu’ils soient en sécurité.» C’était chose faite à 21 h, heure locale. «Ils ont encore dû attendre quatre heures dans le Parlement.» Le point d’orgue de la dernière journée de visite. Les élèves avaient quitté la Suisse le 11 octobre.


Un suivi au long cours possible
«Pour l’instant aucun d’entre eux n’a demandé de soutien psychologique.» La psychologue scolaire et un médiateur du CS ont été préférés à tout autre spécialiste. «Le traumatisme peut se révéler plus tard, les étudiants pourront alors se tourner vers quelqu’un qui connaît la situation.»
Ces événements malheureux ne remettent pas en question le maintien de l’échange avec le Canada. «Ce sont des circonstances spéciales, un contexte politique particulier, qui sont en cause, pas le principe même de l’échange. En temps normal, ce pays est on ne peut plus sûr.» Il prend, en revanche, l’exemple d’un partenariat avec le lycée de Tombouctou qui a dû être abandonné en raison de la situation au Nord Mali. «De toute manière, l’établissement a été détruit.» SM

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