Fribourg acquiert le dernier chef-d’œuvre de Hans Fries

| jeu, 16. oct. 2014
Grâce à des mécènes, le Musée d’art et d’histoire de Fribourg vient de finaliser l’achat de La Vierge à l’Enfant avec saint Joseph de Hans Fries, pour la somme de 900000 euros (1,1 mio).

PAR CHRISTOPHE DUTOIT

Toutes proportions gardées, il faut se dire que Fribourg tient enfin sa Joconde. Peinte sans doute entre 1504 et 1506, comme le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci, La Vierge à l’Enfant avec saint Joseph de Hans Fries est elle aussi un petit format (à peine une page A4) et son destin depuis un demi-millénaire est presque aussi romanesque que celui de sa consœur du Louvre. Il convient de se rappeler que, au début du XVIe siècle, le peintre fribourgeois était tenu en haute estime en Europe, l’égal de Léonard ou du Pérugin, comme le chantait un poème du XVIe siècle.
«Ce tableau est d’une qualité exquise, éclaire Verena Villiger Steinauer, directrice du Musée d’art et d’histoire de Fribourg (MAHF). Ses couleurs sont éclatantes, sa composition semble dépasser le cadre du tableau et, contrairement aux habitudes de l’époque, la Vierge ne regarde pas l’Enfant sur ses genoux, mais le livre qu’elle feuillette (les Ecritures). Les longues mains fines, les oreilles surdimensionnées et l’harmonie chromatique particulière corroborent cette attribution à Hans Fries.»


Digne d’un roman
Destiné à être vu de près, dans un cadre intime et lumineux (contrairement aux retables des sombres églises), ce tableau devait sans doute «stimuler la dévotion en même temps qu’enrichir l’intérieur et servir le prestige de son commanditaire», note la spécialiste de cet artiste né à la Planche-Supérieure, auquel elle a consacré une large étude en 2001.
Comme la Joconde, cette huile sur tilleul a vécu cinq siècles d’aventures et de péripéties di-gnes d’un roman. Si l’on ne connaît pas encore l’identité de son commanditaire – se cache-t-il derrière les traits de saint Joseph? – on sait qu’elle a appartenu à la famille bernoise d’Erlach jusqu’en 1817. A son dos figure d’ailleurs cette – fausse – inscription: «Tableau qui fut trouvé dans la tente de Charles-le-Téméraire et qui tomba en partage après la Bataille de Morat à un membre de la famille d’Erlach.» A ce moment-là, l’œuvre est encore attribuée à Jan van Eyck, le célèbre peintre flamand, un siècle plus vieux que Fries.
Au cours du XIXe siècle, La Vierge à l’Enfant avec saint Joseph passe entre diverses mains: un diplomate au service du roi de Bavière, un comte à Turin, un marchand d’art romain établi à Londres, un ancien conservateur du South Kensington Museum, toujours à Londres. Réattribuée à Antonello da Messina, l’œuvre est prêtée à l’Exposition nationale de Genève en 1896, où certains y reconnaissent – enfin – la main de Hans Fries. Elle part ensuite en Afrique du Sud, chez un propriétaire de mines, puis elle est rachetée par le champion de tennis français Pierre Landry, dont la collection est finalement vendue aux enchères chez Christie’s Paris en 2004.


Marchands à Madrid
A cette époque-là, Verena Villiger Steinauer cherchait activement cette peinture pour l’exposition organisée au MAHF en 2001, une œuvre qu’elle ne connaissait qu’au travers d’une photographie noir et blanc prise à Genève en 1898. Par malchance, personne n’entend parler de cette vente en Suisse et l’œuvre – estimée entre 8000 € et 12000 € – est acquise pour la modique somme de 44650 € (env. 68000 fr.). «De toute manière, je ne suis pas certaine que nous aurions pu, à l’époque, réunir un tel montant dans un délai si court, avoue Verena Villiger Steinauer. C’est la grande difficulté pour les institutions de participer aux ventes aux enchères.»
La patience et l’acharnement de la directrice seront finalement récompensés. Grâce à son entregent, elle entre enfin en contact avec les derniers propriétaires de l’œuvre, un couple de marchands d’art établis à Madrid. En septembre 2012, elle les convainc de prêter le tableau au MAHF pour une durée de deux ans. Période durant laquelle elle se met à la recherche du million d’euros qu’ils demandent pour son achat.
Entre-temps, le marché de l’art s’est envolé, le nombre d’œuvres anciennes en circulation s’est tari (il s’agit sans doute du dernier tableau de Hans Fries encore en vente) et les experts ont réajusté l’incroyable sous-évaluation de Christie’s, un manque de discernement qui s’explique par la volonté d’écouler à bon prix la collection Landry.


Deux tiers de mécénat
Ainsi, après un demi-millénaire de voyages en Europe, La Vierge à l’Enfant avec saint Joseph est définitivement acquise par le Musée d’art et d’histoire de Fribourg en septembre 2014. Sur un montant total négocié à 900000 euros (env. 1,1 mio de francs), l’institution fribourgeoise débourse 100000 francs (la moitié de son budget annuel d’acquisition, pris sur deux ans), auxquels il faut ajouter environ 200000 fr. en provenance de fonds étatiques spécialement dédiés à ce genre d’achat. Pour les deux tiers restants, le MAHF a pu compter sur le soutien financier de mécènes, de la Loterie romande, de l’ECAB, de fondations, de la bourgeoisie de la ville de Fribourg, d’entreprises et de personnes qui souhaitent rester anonymes.
Présent mardi à la conférence de presse de présentation, le chef du Service de la culture Philippe Trinchan estime que cette acquisition est «l’une des plus importantes des 200 ans de l’histoire du MAHF. Je me réjouis que ce tableau rejoigne le domaine public et qu’il renforce l’un des points forts de notre exposition permanente. Nous allons lancer un processus pour que les Fribourgeois puissent dorénavant s’approprier cette œuvre.»


Fribourg, Musée d’art et d’histoire, ma-di 11 h-18 h, je jusqu’à 20 h. Infos: www.fr.ch/mahf

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