L’école et la place du village sous vidéosurveillance

| mar, 28. oct. 2014
Marginales dans nos communes, elles se généralisent en Suisse. Après Attalens, Marsens envisage de poser des caméras. Contre les cas de déprédations, les effets escomptés ne durent pas longtemps.

PAR YANN GUERCHANIK

Dans un message aux citoyens de Marsens, le syndic David Macheret pousse un coup de gueule. «Depuis quelques années, les bâtiments communaux sont victimes de déprédations. Et, vous vous en doutez bien, sans que les auteurs se soient dénoncés ou même retrouvés malgré les plaintes déposées auprès de la police.»
Selon le conseiller communal, les mêmes problèmes surviennent loin à la ronde: «D’autres villages aux alentours le constatent aussi!» Ce qui le pousse à la réflexion suivante: «Doit-on équiper les places de village de caméras de surveillance, ou engager des vigiles pour chaque bâtiment?»
Les faits en question sont principalement commis dans le périmètre des écoles. «Cela fait maintenant trois ans que nous constatons ce genre de déprédations, relève la vice-syndique Myriam Fragnière Dufour, en l’absence de son collègue. En septembre dernier, c’est reparti de plus belle avec des jets de pierres sur les vitres et les murs des écoles, des lampes arrachées, des stores abîmés. Sans compter les bouteilles cassées et autres déchets qu’on retrouve régulièrement sous le préau.»


Solution à portée de main
Dans son message, David Macheret ne cache pas son hésitation: «Personnellement, je trouve dommage d’en arriver là, mais que peut-on faire?» La vice-syndique précise qu’il s’agit pour l’heure d’une simple idée lancée dans la réflexion générale. Il n’empêche que les caméras de surveillance tenteront de plus en plus les communes à mesure qu’elles se banalisent.
«Pour l’heure, il existe très peu de demandes, indique le préfet de la Gruyère Patrice Borcard. Dans la région, le sentiment d’insécurité n’est heureusement pas très fort.» Il ajoute qu’un certain nombre de caméras qui filment l’espace public doivent encore se soumettre à une autorisation. En la matière, le préfet est d’avis que rien ne remplace une police de proximité.


L’expérience d’Attalens
En 2012, Attalens avait franchi le pas. La commune s’était décidée pour sept caméras de vidéosurveillance sur le périmètre scolaire pour un montant de 23200 francs. Quels sont les résultats depuis leur installation au printemps 2013? «C’est simple, il n’y a plus de vandalisme, affirme le syndic Michel Savoy. Nous n’avons jamais eu besoin de visionner les images. Auparavant, il y avait des déprédations tous les week-ends, les rondes de surveillance n’y faisaient rien.»
A l’entendre, les caméras se présentent comme la solution miracle. «Au moment de la décision, il y a eu pas mal de remous», se souvient le syndic. L’affaire avait divisé le Conseil général et les médias l’avaient largement relayée. «Si on pouvait se contenter d’en parler et ne pas avoir à les poser, on serait bien contents», ironise Michel Savoy. Il ne croit pas si bien dire.
Selon des études européennes, l’effet préventif des caméras de surveillance est de courte durée. Spécialiste de la question, Francisco Klauser est formel: pour être efficaces, les caméras ont surtout besoin qu’on parle d’elles. A long terme, elles nécessitent encore des mesures d’accompagnement (lire ci-dessous). Car au final, la vidéosurveillance se présente comme une solution plus complexe qu’il n’y paraît.

 

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Une pratique qui entre dans les mœurs
Professeur assistant en géographie politique à l’Université de Neuchâtel, Francisco Klauser est un spécialiste des caméras de surveillance. Auteur de nombreuses publications et enquêtes sur le sujet, il a notamment été mandaté pour analyser les résultats de vidéosurveillance du côté de Genève. Depuis bientôt deux semaines, 23 caméras scrutent le quartier des Pâquis. Francisco Klauser est chargé d’étudier leur impact sur la criminalité, mais également sur la qualité de vie.

Les caméras de surveillance sont-elles efficaces?
Tout dépend du type de criminalité visé. Dans le cas d’une criminalité affective ou émotionnelle, sous l’effet d’alcool notamment, les résultats sont relatifs. Les délinquants ne se rendent tout simplement pas compte qu’il y a des caméras. L’effet préventif n’est donc pas très important. En revanche, dans le cas de vols de voitures ou d’autres actes de criminalité rationnelle, qui comprend une réflexion «coût-bénéfice», les caméras peuvent s’avérer utiles. Mais alors, on assiste au déplacement de la criminalité. Autrement dit, les délinquants se mettront à opérer ailleurs, là où il n’y a pas de caméra.

Dans une commune de 1500 habitants qui envisage ce type de surveillance pour lutter contre les déprédations sur ses bâtiments publics, peut-on espérer des résultats?
Il est fort probable que des résultats soient visibles dans un premier temps. Ensuite, si on ne communique plus au sujet de ces caméras, si personne n’est arrêté ou puni grâce aux images, l’effet va se réduire très rapidement. Ce qui est décisif, ce sont les mesures d’accompagnement. Si vous vous contentez de mettre une caméra quelque part, elle ne va pas servir à grand-chose sur le long terme. Par contre, si vous intégrez un dispositif de sécurité – avec intervention sur le terrain, visionnage des images, dépôt de plaintes, communication auprès de la population – les caméras joueront leur rôle.
Le cas des déchetteries est flagrant: des résultats sont d’abord constatés. Avec toutefois quelques problèmes de «déplacement», en l’occurrence l’apparition de décharges sauvages. Mais par la suite, les effets baissent en ce qui concerne les déchets surveillés. Si elles ne portent pas à conséquence, les caméras se font vite oublier.

Aux yeux des politiques, cela semble souvent une solution clé en main à moindre coût: un mauvais calcul?
On cherche à bien faire la plupart du temps. Ce n’est pas simplement de la politique symbolique. Mais on finit souvent par se rendre compte que cette solution n’est pas si simple. Elle demande une maintenance technique, encore une fois des mesures humaines, on parle alors de coûts beaucoup plus importants qu’une simple caméra. Et puis, un appareil bon marché ne vous permettra pas d’identifier des délinquants. De même, il faut une technologie de qualité pour opérer la nuit.

De façon générale comment réagit la population face aux caméras?
Je travaille sur cette question depuis quinze ans et j’ai clairement assisté à une redéfinition de la sphère privée et des problèmes liés à la surveillance. On est beaucoup moins sensible aujourd'hui. La vie de tous les jours devient de plus en plus transparente. Nous avons tous un smartphone qui peut nous localiser à tout moment, qui enregistre nos recherches sur internet et qui nous fait ensuite des propositions spécifiques en fonction de notre profil… On génère soi-même beaucoup plus d’informations personnelles qu’une caméra de surveillance ne pourrait en obtenir. Et puis, les gens ont tendance à se dire qu’une caméra ne les gêne pas tellement dans un lieu anonyme comme un passage souterrain.

De là à les plébisciter…
Lors de mes différentes enquêtes, j’ai constaté que la très grande majorité des gens n’ont rien contre. Mais la question devient plus complexe lorsqu’on leur demande de choisir eux-mêmes des mesures. Lors d’une enquête dans la ville d’Olten, les gens réclamaient des mesures humaines avant tout. Ensuite, il y en avait autant en faveur d’un meilleur éclairage public qu’en faveur des caméras. Il est pertinent de constater que les deux mesures se situent au même niveau. Les gens ne s’opposent pas aux caméras, mais s’ils ont le choix, ils préfèrent autre chose.

Les caméras de surveillance sont-elles amenées à se banaliser?
Oui. Sans préjuger du bien ou du mal, il s’agit clairement d’un trend, d’une dynamique actuelle. On le voit notamment dans les trains régionaux. Le concept de proportionnalité a été redéfini. J’ai mené une étude sur les Transports publics genevois il y a dix ans. On se demandait encore sur quel bus, sur quelle ligne, à quel moment du jour ou de la nuit brancher une caméra. On identifiait des risques. Aujourd’hui, un nouveau bus rime forcément avec caméra. Ce phénomène va de pair avec la numérisation croissante de notre vie quotidienne. Par ailleurs, on est déjà passé à l’étape suivante: on parle de drones aujourd’hui. YG


 

 

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