La course populaire s’impose, les chronos traînent la patte

| sam, 04. oct. 2014
Près de 11500 coureurs prendront part à la 81e édition de Morat-Fribourg demain. Le sport plaisir gagne de l’importance et provoque un ralentissement général du peloton.

Par Quentin Dousse


Cinquante-deux. Soit le nombre d’athlètes qui ont couru Morat-Fribourg en moins d’une heure en 1997. Seize ans plus tard, en 2013, ils ne sont plus que 21, bien que le nombre de classés est supérieur. Dans le même temps, les coureurs africains n’ont jamais été aussi nombreux à s’élancer sur la course commémorative. Quelles sont les raisons qui ont provoqué un tel affaissement? Décryptage.


Franchir la «mythique» barre de l’heure à Morat-Fribourg (17,17 km) passe forcément par une répétition de séances où l’athlète cherche ses limites, tant sur le plan physique que mental. «La course à pied est un sport exigeant, réservé aux personnes persévérantes. La mentalité d’aujourd’hui se veut moins dur au mal», remarque le Fribourgeois Stéphane Gmünder, ancien président de la Fédération suisse d’athlétisme et 7e de la classique dans les années huitante.


Pourtant, les pelotons ne cessent de s’agrandir sur les courses hors stade: 11500 participants sont attendus pour la 81e édition de Morat-Fribourg demain, le Grand Prix de Berne en a enregistré 32000, les 20 km de Lausanne 21000. Les vingt plus grandes courses en Suisse ont connu une hausse de 52% d’inscrits au cours de la dernière décennie. Des coureurs motivés par le simple plaisir de se dépenser. Bien loin des préoccupations du chronomètre, qui «tourne» toujours plus vite que les jambes. «La tendance penche nettement vers le sport plaisir. Pour preuve, il y avait 200 participants au groupe Préparer Morat-Fribourg mercredi à Villars-sur-Glâne. Un engouement énor­me», s’enthousiasme Laurent Meuwly, directeur technique de Morat-Fribourg.

Le sport plaisir rime avec une liberté totale au niveau des séances d’entraînement. «Les gens sont des consommateurs de course à pied», partage Gérald Rumo, entraîneur au SA Bulle et en charge notamment du Riazois Pascal Ungersböck. «Ils veulent à tout prix s’éviter les exigences d’un club, comme les entraînements à intervalle régulier ou les lotos.» Les plans d’entraînement et le suivi d’un entraîneur diplômé sont pourtant de précieuses aides pour réaliser une performance de haut vol. «A mon époque, il était déconseillé de faire du sport sans intégrer un club», ajoute Stéphane Gmünder.

Une distance inédite
Si le caractère historique procure à Morat-Fribourg un attrait indéniable, la plus ancienne course populaire du pays propose toutefois une distance kilométrique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Sans compter la montée abrupte de la Sonnaz, rendant le parcours accidenté. «Les grands coureurs s’alignent généralement sur des distances connues, comme le marathon ou le semi-marathon, déclare Gérald Rumo. De plus, Morat-Fribourg ne permet aucune sélection pour les championnats d’Europe.» Un élément qui peut expliquer l’absence de bon nombre d’athlètes capables de réaliser un chrono sous l’heure.

Concurrence de la Post Cup
L’aspect financier entre également en ligne de compte avec l’arrivée de la lucrative Post Cup, un championnat réservé aux athlètes d’élite regroupant six courses, dont la Corrida bulloise. Les athlètes prévoient leur saison en fonction de ces rendez-vous, des sommes intéressantes étant mises en jeu. Une politique que Morat-Fribourg ne souhaite pas adopter. «Ce sont d’abord les 11000 coureurs populaires qui font vivre notre course, explique Laurent Meuwly. S’aligner sur ces montants n’est pas notre rôle.»

Enfin, le plateau d’Africains présents au départ de la classique moderne peut effrayer plus d’un athlète suisse. Une concurrence à laquelle l’écrivain et journaliste Yves Jeannotat, double vainqueur de Morat-Fribourg en 1959 et 1961, n’était pas confronté. «De mon temps, il n’y avait que 200 compétiteurs au départ mais aucun Africain», témoigne celui qui a fondé une des premières revue sur la course à pied, le Spiridon romand. «Les meilleurs athlètes suisses renoncent parfois car ils savent les Kényans intouchables», affirme Philippe Dutoit, un populaire qui «vaut» tout de même 3 h 15 sur marathon.

Le défi d’Abraham
Il faut remonter à 1998 pour trouver le dernier lauréat suisse, en la personne du Valaisan Stéphane Schweickhardt. Revoir un Suisse brandir la branche de tilleul au sommet de la rue des Alpes pourrait donner les fourmis dans les jambes des élites de notre pays. Tadesse Abraham, l’Erythréen d’origine qui a récemment obtenu le passeport rouge à croix blanche, sait ce qu’il lui reste à faire sur l’asphalte fribourgeois ce diman­che.

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«Une vie de moine»

«Aujourd’hui, entre l’athlète professionnel et le populaire,
il y a un énorme écart», souligne Laurent Meuwly, directeur technique de Morat-Fribourg. Un trou que tentent de combler les chefs de file fribourgeois comme David Girardet (Belfaux) ou Erich Huber (LAT Sense).

Ces derniers se retrouvent toutefois rapidement esseulés dans les courses régionales. Le temps où les «potes» gruériens Jean-François Cuennet, Pierre-André Gobet ou encore Pierre-André Kolly se tiraient la bourre paraît lointain. Soit les années 1980-1990...

A l’heure actuelle, cette moindre densité impacte directement sur la qualité du groupe de tête. L’exemple de Pierre-Yves Cardinaux (CS Vallée du Flon) est pour le moins probant. Avec une meilleure marque de 1 h 02’17 réalisée en 2011 à Morat-Fribourg, l’agriculteur de Bouloz avoue qu’une plus forte concurrence pourrait le faire progresser. «A un moment donné, une personne d’expérience pour me tirer m’a fait défaut.»

Il mesure également les efforts à consentir pour passer sous l’heure. «C’est un investissement considérable en temps et en énergie. Augmenter l’entraînement demande aussi plus de récupération. C’est une vie de moine pour finir», ironise Pierre-Yves Cardinaux.

 

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