Une start-up créée par des sportifs pour les sportifs

| jeu, 30. oct. 2014
L’escrimeur Fabian Kauter et le kayakiste Mike Kurt ont lancé la plate-forme I believe in you. Le site permet à un sportif de sponsoriser un projet grâce au financement participatif. Les Gruériens Rémi Bonnet et David Brodard tentent l’expérience.

PAR QUENTIN DOUSSE

Londres, 1er août 2012. Ce qui devait être une fête nationale vire au cauchemar pour deux athlètes suisses aux jeux Olympiques. Le kayakiste Mike Kurt prend littéralement l’eau en demi-finale, tandis que l’escrimeur Fabian Kauter, alors numéro 2 mondial à l’épée, sombre sur la piste en huitièmes de finale déjà. Ces déconvenues provoquent des discussions entre les deux hommes concernant la situation des sportifs en Suisse. En juin 2013, le site I believe in you est mis en ligne: 17 athlètes proposent aux internautes de financer leur projet.
Seul escrimeur suisse de l’histoire à avoir remporté deux médailles dans un championnat du monde, le Saint-Gallois d’origine Fabian Kauter vit de l’épée en grande partie grâce à des sponsors. Désormais domicilié à Berne, où il s’entraîne près de vingt heures par semaine sur la piste, il est bien placé pour juger la situation du sport dans notre pays. «Certains parents n’ont pas les moyens de financer leur enfant qui souhaite faire du sport. Faute de soutien de la part de certaines fédérations, ils l’orientent souvent vers les études. Nous perdons ainsi beaucoup de talents.» D’où l’idée de lancer une plate-forme visant à combler le manque d’aide, fondée sur le crowdfunding.


Raconter des émotions
Faut-il avoir un palmarès long comme l’épée de Fabian Kauter pour créer un projet sur le site I believe in you? «Pas du tout, tranche cet ancien musicien. Près de 70% des athlètes sont amateurs.» Boxe, motocross ou encore kitesurf sont autant de disciplines pour lesquelles les sponsors ne se pressent pas au portillon. La plate-forme appelle donc à la solidarité de la population pour appuyer financièrement ces sportifs. Afin de remercier l’internaute de son don, les athlètes proposent souvent photo dédicacée ou initiations à leur sport en contrepartie. Une manière bien éloignée du business régnant dans les sports médiatisés. «L’athlète a bien plus à offrir qu’un autocollant sur son maillot de compétition. I believe in you, c’est raconter des émotions et les gens y sont sensibles.»
Hormis le fait de servir d’intermédiaire, les fondateurs du site guident et conseillent le sportif dans la démarche. «Nous l’aidons dans la rédaction des textes, le choix de la somme ou encore des idées de contrepartie», détaille Ludovic Hayoz, responsable de projets pour la Suisse romande. Après une dizaine de jours, I believe in you prend contact avec l’athlète si le projet ne démarre pas comme espéré. Le soin de mener sa campagne est cependant laissé à l’intéressé. «Le concept force le sportif à sortir de lui-même. C’est un excellent apprentissage sur soi», lance Fabian Kauter. Le site emploie cinq collaborateurs à temps partiel. Parmi eux les deux fondateurs, qui s’en occupent à côté de leurs activités de sportifs d’élite.


Paiement innovant
Malgré un système encore peu connu dans nos contrées, Mike Kurt et Fabian Kauter ne prétendent pas pour autant avoir inventé la poudre qui permet au sportif de rouler sur l’or. L’innovation de I believe in you réside dans son mode de paiement: vérification de la solvabilité de la carte bancaire, sans débit avant que l’objectif financier ne soit atteint. La modeste commission ponctionnée par la plate-forme – 9% – est également un atout indéniable. Lorsqu’un internaute verse 100 francs en faveur d’un athlète, 5 francs vont dans la poche des fondateurs, tandis que les coûts de transaction se montent, eux à 4 francs. «A l’étranger, les commissions sont bien plus élevées, parfois jusqu’à 25% sur certains sites de crowdfunding», compare le meilleur escrimeur suisse du moment.
Depuis son lancement, I believe in you – traduction «Je crois en toi» – a permis la concrétisation de 135 projets, avec un taux de réussite avoisinant les 66%. Preuve que le modèle a de beaux jours devant lui. I believe in you a par exemple permis le sauvetage de l’EHC Arosa, un club grison de hockey sur glace proche de la faillite à la suite du retrait de son sponsor principal. Toute une région s’est mobilisée pour offrir un chèque de 38000 francs à son équipe favorite. Un modèle de solidarité.
Le site web, désormais disponible dans les trois langues nationales, propose une large palette de projets issus d’outre-Sarine. Ludovic Hayoz remarque des différences notables dans la mentalité des créateurs. «Les Romands sont d’emblée enthousiastes et le lancement du projet se fait rapidement. Par la suite, ils attendent un peu que l’argent leur tombe dessus», déclare Ludovic Hayoz, également hockeyeur aux Bulls de Guin. Fabian Kauter, lui, estime les Romands «plus ambitieux financièrement». Comment dit-on Röstigraben en langage internet?

 

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«Rémi Bonnet doit se mettre en mode athlète»


«Grâce à vous, je souhaite atteindre mon objectif qui est de remporter la Coupe du monde et les Mondiaux à Verbier en janvier 2015.» Ces ambitions élevées sont celles de Rémi Bonnet, skieur-alpiniste de Charmey. En septembre dernier, l’espoir de 19 ans a créé, sur conseil de Swiss olympic, son projet sur la plate-forme I believe in you. Son but: récolter 6000 francs afin de financer des camps d’entraînement sur glacier et ses déplacements. «Ce serait un plus et il n’y a pas beaucoup à faire pour que ça fonctionne», confie Rémi Bonnet qui, à ses futurs donateurs, propose notamment des packs de produits régionaux de la Gruyère, ou carrément un repas chez lui.
Vidéo de présentation, objectif spécifique lié à une compétition, descriptif précis de son budget annuel, le projet du Charmeysan semble bien ficelé. Pourtant, pas le moindre don n’a été enregistré à vingt-quatre jours de la fermeture. «Un projet à zéro franc? Je ne peux pas le comprendre, affirme sans détour Fabian Kauter. Il doit se mettre en mode athlète, être actif et en parler autour de lui!» Lancer son projet sur I believe in you demande en effet un investissement personnel important.


Départ primordial
Pour faire sa publicité, la plate-forme conseille plusieurs alternatives, comme partager la page via les réseaux sociaux ou encore apposer des affiches dans des endroits clés du village. Pour l’heure, Rémi Bonnet n’en a pas encore fait une priorité. «Je n’ai pas activé mon entourage, mes week-ends d’entraînement me laissent peu de temps», regrette celui qui est également sur le devant de la scène en course à pied durant l’été. Ce départ de campagne discret pose forcément la question de l’ampleur de la somme espérée. Les spécialistes, qui la jugent «plus élevée que la moyenne, mais pas exorbitante», avancent un paramètre pouvant être décisif: «Les premiers jours de campagne sont primordiaux. L’entourage proche peut lancer le projet en le soutenant abondamment dès le début. Cela incite les gens qui ne connaissent pas Rémi à investir», avance Ludovic Hayoz.
L’aspect financier prête évidemment à discussion dans un sport dit minoritaire comme le ski-alpinisme. Matériel compris, la saison hivernale de Rémi Bonnet coûte près de 15000 francs. Le Charmeysan, soutenu par deux entreprises du village, reçoit également un salaire mensuel grâce au prix de «meilleur espoir romand» remporté en mai dernier. Si le Club alpin suisse soutient les déplacements pour les compétitions internationales, le solde est à la charge de l’athlète. Et souvent, malheureusement, à celle des parents.
Autre régional présent sur I believe in you, David Brodard. Lui aussi à la recherche de financement pour les Mondiaux de Verbier, le Rochois n’a récolté que 30 des 2500 francs attendus, à plus d’un mois du terme du projet. Pour l’heure, il semble bien que le ski-alpinisme peine à décoller sur la Toile. QD

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