Entre bienveillance et carcan

| mar, 25. nov. 2014
L’établissement des Léchaires, à Palézieux, accueille des jeunes détenus depuis le mois de mai. Visite au centre de détention.

PAR SOPHIE MURITH

Un artisan attend déjà son tour. Ses bidons, vides, sont passés au scanner. La carte d’identité en caution, les poches vidées, le portique de sécurité passé, les portes s’ouvrent et se referment dans le cliquetis des serrures. Pas de doute, l’établissement des Léchaires est bel et bien une prison.
Inauguré en décembre 2013 à Palézieux, l’établissement de détention pour mineurs (EDM) accueille des détenus depuis le mois de mai. Le plus jeune avait quatorze ans, le plus vieux, jugé comme mineur, la vingtaine. Certains sont des multirécidivistes, d’autres règlent une ardoise longue comme un jour sans pain à la justice, qui tente d’éviter le sentiment d’impunité.
Des jeunes en bout de course, en rupture, qui n’en sont pas, malgré leur jeune âge, à leur premier échec. «La détention permet de stopper cette fuite en avant, explique Guy Stettler, responsable socioéducatif. Parfois, un seul acte mérite la détention. La durée médiane actuelle de séjour se fixe à dix-sept jours, la plus longue incarcération à cent vingt, la plus courte à un.
Dix-huit places sont actuellement en fonction. La moitié de la capacité. «Nous ouvrons progressivement les divisions. Les autorités doivent appréhender petit à petit ce nouvel outil», analyse Philip Curty, directeur de cet établissement unique en Suisse. Les personnes détenues sont réparties dans trois unités.


Mettre fin à la récidive
Sortir le jeune de la société permet une double protection: celle de la collectivité bien sûr, mais aussi celle de l’adolescent, avec l’objectif d’«infléchir le parcours d’un mineur vers l’absence de délit, pour l’insertion et l’évitement de la récidive», selon les mots de Guy Stettler. «Nous marchons sur la ligne de crête, entre le versant du cadre exigeant, contenant sans être brimant, et celui de la bienveillance, en travaillant sur le sens de la peine.» Pour une meilleure adhésion.
«Il n’y a pas de tension entre le volet socioéducatif et sécuritaire, assure Pierre Guidoux, chef de maison, sans matraque à la ceinture, comme tous les autres agents de détention. «Ils sont déjà enfermés, il n’y a aucune raison de se montrer offensif.» Soixante équivalents plein-temps sont prévus au plan des postes pour veiller sur les détenus, dont près de la moitié d’éducateurs.
En prison, cet univers confiné, les risques sont multiples: mutinerie, évasion, suicide, agression, bagarre, incendie volontaire – les détenus ne peuvent prendre que cinq ouvrages à la fois dans leur cellule pour limiter la charge thermique. La veille au soir, au terme d’une journée calme, un détenu a entièrement détruit sa cellule. Sans crier gare.


Un uniforme appréciable
Dans la cour principale, un détenu en tenue de travail rouge vaque à ses occupations. A chacune sa toilette: un jeans et un pull gris chiné pour le quotidien, un training pour le sport. «Cela permet de différencier les occupations, d’apprendre qu’on ne peut pas aller en training à une audition», explique Philip Curty.
«Le port de l’uniforme n’est pas anodin, ajoute Guy Stettler. L’adolescent a une vision très identitaire de l’habillement. Nous travaillons sur les notions d’être et de paraître. Cela évite aussi le racket entre les détenus.»
Dès leur arrivée – certains se présentent sur convocation, d’autres y sont conduits par la police – les détenus se défont de leurs effets personnels qui, lavés, seront conservés au dépôt. «Le choc de l’incarcération guette tous les détenus, relate Guy Stettler. Il s’agit d’être vigilant.» Mis provisoirement dans une cellule de la zone d’accueil, le jeune est fouillé, à nu en deux temps, soumis à un contrôle médical.
L’objectif du placement, le temps de peine et son profil fixent la manière d’intervenir auprès de lui, durant son incarcération. Le régime de détention est progressif. «Ils sont très contenus, ils sont seuls ou avec un adulte durant les quarante-huit premières heures», note Philip Curty. Puis c’est l’ouverture sur le groupe de pairs et l’intégration dans les ateliers, pour ne pas rester inoccupé. Des plus traditionnels, menuiserie ou entretien, au plus original, avec l’impression textile qui permet de se frotter à l’informatique. A long terme, un shop en ligne de t-shirts pourrait voir le jour.
La pratique d’un sport est également importante pour éviter les conséquences sur la santé de la sédentarité carcérale. «Il faut être vigilant par rapport à la prise de poids», relève Guy Stettler. L’enfermement d’un individu en construction varie de celui d’un adulte: une cellule individuelle, pas de télévision autorisée dans la chambre, zéro cigarette avant 16 ans. «La société est davantage prête à investir pour la réinsertion ou l’insertion de jeunes détenus», admet Guy Stettler. L’EDM bénéficie ainsi de moyens que d’autres institutions n’ont pas.


Disparaître par magie
Impossible aussi de faire abstraction de deux phénomènes: le détenu est à la fois victime et coupable. Victime du contexte dans lequel il a grandi, de son parcours de vie forcément chaotique pour le mener en prison aussi tôt. Coupable, parce qu’il a, lui aussi, choisi de victimiser. «Il faut tendre à l’équilibre entre compréhension et exigence», assène Guy Stettler. Certains sont attachants et même polis, comme ce détenu, croisé en cuisine, qui se passionne désormais pour la magie. «Je ne peux pas vous faire de tour, je n’ai pas de cartes. Mais je pourrais me faire disparaître moi-même...»
Un premier bilan de l’expérience sera tiré en 2015. «Alors, cette première fois en prison? s’enquiert Pierre Guidoux à notre retour au sas de contrôle. Bien plus simple à digérer lorsque la sortie est permise à chaque instant. Par la grande porte. Comme les jeunes, à leur libération.

 

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En attendant que les prisons soient inutiles
Trois bâtiments – l’administratif, l’éducatif, l’habitation – et un terrain de sport forment une cour intérieure de 1500 m2, avec un verger et un potager, une cour séparée pour les sorties du quartier disciplinaire. L’établissement de détention pour mineurs des Léchaires est entouré d’un grillage, qui permet la vue et le passage de la lumière contrairement à un mur. Ce centre unique en Suisse se trouve en pleine campagne, mais pas loin de tout. La gare CFF de Palézieux se trouve à peine à dix minutes à pied. «Je préfère cette situation à celle d’une implantation en centre-ville, reconnaît Philip Curty, son directeur. Il y a davantage de sérénité. Pour autant, ce n’est pas un goulag perdu au milieu de nulle part.» Et le contrôle périphérique est plus simple: les éventuels fauteurs de troubles sont visibles loin à la ronde.
«Nous serions tous très heureux si les prisons devenaient inutiles. Malheureusement, on ne peut s’en passer», assure Philip Curty. Ce n’est pas nouveau. Et de montrer la courbe du nombre de détenus en fonction de leur âge au XVIIIe siècle. «Elle est similaire à celle de nos jours.»
Pour accueillir les 36 détenus, les unités, «chaleureuses, mais dépouillées», ont été meublées avec un mobilier lourd et trop grand pour être dressé en barricade ou utilisé comme bélier. Tout entre dans la balance de la sécurité et de l’humanisme. «On essaie de trouver du personnel qui parle des langues étrangères, qui connaît d’autres cultures, pour mieux communiquer avec les détenus non francophones, explique Philip Curty. Une diversité qui pose quelques problèmes, tant pour l’alimentation que pour la mixité.
Une mixité qui, si elle est permise par le fait que les cellules de 12 m2 sont individuelles et que les détenus regroupés ne le sont jamais sans un adulte présent, n’en demeure pas moins une conséquence du principe de réalité. «Depuis le printemps, dix filles et 75 garçons sont passés entre nos murs, décompte Philip Curty. En principe, les filles et les garçons doivent être séparés dans des divisions différentes. Mais, pour ne pas contrevenir aux injonctions de la Commission nationale de prévention de la torture en matière d’isolement, lorsqu’une seule fille est incarcérée, je ne peux pas la laisser seule.» En veillant à ne pas mettre en contact des détenus incompatibles.

 

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