Les communes à la barre, mais plus pour longtemps

| sam, 22. nov. 2014
Autorité de délivrance des permis de construire, le préfet de la Gruyère prend la parole. Pour Patrice Borcard, les communes sont en premier lieu responsables de leur développement.

PAR JEAN GODEL ET YANN GUERCHANIK

Dans le canton de Fribourg, ce ne sont pas les communes qui délivrent les permis de construire, mais bien les préfets. Celui de la Gruyère avait fait de l’aménagement du territoire l’un des thèmes de sa campagne et l’a placé au cœur de son action. Patrice Borcard fait le point sur les enjeux actuels, considérables, de l’aménagement du territoire.

Quelle est la marge de manœuvre des communes en matière d’aménagement du territoire?
Elles ont un pouvoir considérable, qu’elles n’utilisent pas toujours. Ce sont les communes qui déterminent leur Plan d’aménagement local (PAL), où figurent notamment le plan d’affectation des zones et, surtout, le règlement communal d’urbanisme (RCU): ce dernier est la bible sur laquelle se fondent les requérants. S’il est trop général, c’est la porte ouverte aux excès.

Les communes se disent pourtant corsetées par les normes…
En réalité, elles peuvent édicter des règles plus contraignantes que les dispositions cantonales afin d’harmoniser les constructions. La difficulté réside dans l’application de ces règles: trop strictes, elles peuvent en effet conduire à des dérogations systématiques, ce qui n’est pas le but. Autre problème: il faut sept à dix ans pour réviser un PAL dont la durée de vie est de quinze ans. C’est comme un pétrolier: il faut longtemps pour modifier sa trajectoire.

La messe n’est pourtant pas dite une fois pour toutes?
Non, et les communes ont plus de compétences et de responsabilités qu’elles ne le disent. Mais comme réviser un PAL prend du temps, elles sont parfois découragées. On peut se demander si le système actuel est adéquat: il conviendrait d’avoir une approche plus réactive de l’aménagement du territoire.

A Fribourg s’ajoute une culture de l’aménagement assez lâche en regard de ce qui se fait dans d’autres cantons, plus stricts.
Certes, l’application de la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT) est cantonale. A Fribourg, les années 1980-1990 ont imposé un état d’esprit encore perceptible. Le canton était en convalescence d’un exode rural massif. On avait besoin de développement. Les responsabilités sont donc collectives. Or, à la faveur de la nouvelle LAT, la stratégie change de manière radicale. Le Plan directeur cantonal lui-même, dont la révision vient de débuter, s’orientera de toute façon vers de plus grandes restrictions, voire vers la modification des niveaux de compétence, à l’avenir cantonal ou régionaux. Il s’agira aussi de se déterminer sur le degré de libéralisme envisagé.


En tant qu’autorité délivrant les permis de construire, avez-vous aussi une marge de manœuvre?
Le permis de construire est un droit privé. Sa délivrance arrive à la fin d’un long parcours administratif. La marge de manœuvre de la préfecture est donc extrêmement étroite. Mais le droit de la construction est aussi une question d’interprétation. Cette année, nous avons ainsi refusé une trentaine de permis. Et parfois, mon crayon brûle au moment de signer des projets à l’évidence inappropriés, mais qui correspondent à un PAL et un RCU particulièrement larges…

Et la clause générale d’esthétique?
Nous faisons assez souvent appel à la Commission cantonale d’urbanisme et d’architecture, qui analyse les aspects esthétiques et d’intégration au site, naturel ou construit. Mais pour le requérant, il s’agit simplement de faire entrer son projet dans le cadre défini par la commune. Si ce cadre est très souple, les requérants utilisent au maximum son potentiel. On ne peut pas leur en vouloir: c’est auparavant qu’il fallait fixer des critères plus exigeants.

Le mécontentement qu’on perçoit à Bulle est-il le signe que la population n’est pas assez prise en compte?
Je nuancerais. Ces événements sont d’abord l’expression d’une inquiétude de la population face à une évolution trop rapide. Mais là encore, les moyens pour la commune de freiner le mouvement sont quasiment nuls à partir du moment où un PAL est entré en vigueur et où, de plus, les terrains sont en mains privées. Quant aux citoyens, s’ils ont leur mot à dire, c’est souvent pour défendre des intérêts privés. Le débat politique et démocratique doit se dérouler durant la phase de révision d’un PAL. Mais une fois celui-ci adopté, c’est à l’Exécutif de le mettre en œuvre.

La population est-elle suffisamment informée durant la révision du PAL?
Le canton exige une procédure ouverte et démocratique. Mais le niveau de technicité est tel que cela exclut de nombreux citoyens. Les communes pourraient certes en faire davantage en termes de vulgarisation. Mais je peux aussi comprendre qu’elles n’aient pas une volonté excessive de publicité. Tout cela freine une procédure déjà longue.

Que faire alors?
Si l’on veut retrouver un peu de sérénité, un équilibre devra être trouvé entre les sensibilités de la population et les conditions d’application du cadre légal. En l’occurrence, les commissions d’aménagement ont justement été pensées pour être la voix de la population au sein de cette machinerie. Dans les révisions à venir, il est possible qu’elles endossent un rôle différent. On aurait même intérêt à ce qu’elles soient plus
productives en termes de réflexions et de propositions. Mais en tout état de cause, on ne peut pas avoir plusieurs
autorités qui décident. Il revient à l’Exécutif de mettre en œuvre des règles collectivement discutées.

 

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Redéfinir les zones selon les besoins


La LAT révisée donne à penser que les communes vont perdre leur mainmise sur l’aménagement du territoire?
Il est presque assuré que les communes n’auront plus le pouvoir dont elles disposent actuellement. C’est la raison pour laquelle nous menons une réflexion au sein de l’Association régionale la Gruyère (ARG). L’échelon régional pourrait être un niveau intéressant pour l’aménagement du territoire. Cela éviterait des crispations par rapport à un pouvoir de décision concentré dans les seules mains du canton.

Un problème se pose aujourd’hui avec des surenchères sur les surdimensionnements de zones à bâtir…
Actuellement, il faut en effet gérer les échanges dans le cadre du moratoire – cinq ans – sur les zones à bâtir imposé par la LAT. Cela pose problème. Certaines communes examinent déjà la possibilité de vendre, non pas leurs terrains, mais leur potentiel constructible. On parle de 50 à 70 francs par mètre carré. Or, si ces communes disposent de trop de surfaces, c’est qu’elles n’ont pas fait leur travail au niveau du PAL. Il y a donc un problème éthique à récompenser les «moins bons élèves». Dans le cadre du moratoire, pour éviter de telles surenchères, la Gruyère doit penser régional. L’idéal serait de trouver un accord à l’intérieur du district en coordonnant les échanges, au moyen – si nécessaire – d’un mécanisme de compensation.

Que propose l’ARG?
Nous allons proposer aux délégués un inventaire des zones existantes et de les redéfinir en fonction des besoins. Alors nous serons en mesure de procéder à des échanges durant les cinq ans du moratoire. En cas de feu vert des délégués lors de l’assemblée du 4 décembre prochain, une demande sera adressée à la Nouvelle politique régionale (NPR). Et le modèle ainsi élaboré pourrait servir à d’autres régions.

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