«Je deviens l’acteur de ma santé»

| mar, 13. Jan. 2015
Depuis une vingtaine d’années, le marché des thérapies alternatives a explosé. L’anthropologue de la santé Illario Rossi dit pourquoi l’être humain veut retrouver une communion entre son corps et la nature.

PAR KARINE ALLEMANN

«Au début de mes études, en 1996, personne ne connaissait l’ostéopathie, s’amuse l’ostéopathe bullois Florian Walzinger. Quand j’ai commencé à travailler, en 2003, les gens pensaient que ça avait vaguement un lien avec les os. Ce qui est faux. Aujourd’hui, qu’on consulte ou non, tout le monde sait de quoi il s’agit.» L’offre et la demande en matière de thérapies dites alternatives se sont multipliées ces dernières années.
Les plus sceptiques se laissent convaincre, souvent par le bouche-à-oreille. Que ce soit pour des traitements – homéopathie, spagyrie, fleurs de Bach – ou des pratiques de manipulation manuelle – relaxation, massage, danses méditatives, sophrologie, yoga, taï-chi, ateliers créatifs, travail sur les sens ou sur l’énergie. Un petit tour sur internet dévoile l’immensité des pratiques proposées, y compris dans la région.
 De plus en plus de ces thérapies sont remboursées par les assurances complémentaires. Reste que de par la multiplicité de l’offre, qui s’adresse parfois à des gens en souffrance, les risques d’abus existent. En France, où 22% des dérives constatées concernent la santé, le gouvernement a lancé cet automne une campagne de prévention contre les éventuels charlatans.
Professeur d’anthropologie de la santé à l’Université de Lausanne, Illario Rossi s’intéresse de près au phénomène et à son évolution. Il dit pourquoi l’être humain cherche à communier toujours plus avec la nature, pourquoi il se préoccupe de son corps et à quels bouleversements on peut encore s’attendre.

Peut-on effectivement parler d’essor des médecines alternatives telles qu’acupuncture, ayurvéda, reiki… Et, si oui, depuis quand?
La cohabitation entre médecine scientifique, institutionnelle, et d’autres compétences thérapeutiques existe en Occident depuis la deuxième partie du XIXe siècle. Ce qui a changé, ces vingt dernières années, c’est que nous assistons à une accélération du processus de mondialisation, qui se manifeste par une augmentation spectaculaire d’une culture de la mobilité. Plus les personnes circulent, plus elles amènent avec elles leur background, leurs connaissances et leurs pratiques. C’est une tendance générale, mais notamment en Suisse, où la population est une des plus voyageuses du monde.

Qu’est-ce qui a changé?
Cette explosion de l’offre thérapeutique a suscité un nouveau type de demande. En Suisse, nous avons valorisé nos propres savoirs ancestraux. Je pense particulièrement à nos guérisseurs, magnétiseurs et autres rebouteux. Ils ont toujours existé, mais désormais ils sont très médiatisés. La médecine chinoise, bouddhiste, ayurvédique, le chamanisme ou le néochamanisme, présents dans d’autres cultures depuis très longtemps, circulent chez nous aussi.
Le succès de cette médecine populaire s’explique aussi par le fait qu’il y a convergence entre les aspects religieux et thérapeutiques, les médecines manuelles et un retour à la nature, très porteur dans notre contexte social soumis au stress et à la technologie. Enfin, il faut reconnaître que le regard que porte l’Occident sur les autres compétences médicales a changé.

Des exemples?
La réflexologie plantaire, qui permet notamment de détecter des problèmes au niveau des organes, est désormais très connue. Elle n’a aucun fondement scientifique et provient de l’ancienne médecine syro-égyptienne d’il y a 4000 ans. Pareil pour la sophrologie, une technique d’introspection et de gestion de son acuité sensorielle. Elle découle directement des techniques de purification amérindiennes, voire de la méditation ayurvédique. Elle a été récupérée par un langage psy et proposée sur le marché. Tout comme les nombreuses psychothérapies sensorielles de travail sur le corps et de recentrage autour de son potentiel énergétique.
N’oublions pas que les valeurs telles que la discipline et la soumission à l’autorité, qui ont longtemps été un ciment social, ont évolué vers des valeurs comme l’autonomie, la libre responsabilité de soi et la libre initiative, qui poussent de plus en plus de gens à se prendre en charge dans tous les domaines de la vie. Y compris dans celui de la santé.

L’importance de la religion dans notre vie de tous les jours a diminué. Comme les gens ont toujours besoin de spiritualité, est-ce que se tourner, par exemple, vers la méditation ou le bouddhisme est une manière de combler un vide?
En partie, sûrement. On ne s’occupe non plus de son salut, mais de sa santé. Non plus de son âme, mais de son corps. Le terme spiritualité est le bon. Au fond, la spiritualité est la tentative de redonner un sens à sa propre vie, à un moment donné, dans un contexte donné. On peut le retrouver dans la religion, catholique, protestante ou bouddhiste, mais aussi au travers de nouvelles spiritualités. En fonction de ses intérêts personnels ou du moment de sa vie, chacun peut faire son propre «bricolage».

Aujourd’hui, les gens travaillent beaucoup, tout va plus vite. Il faut être performant et atteignable tout le temps. Est-ce un effet de contre-balancier?
Je pense que oui. On nous met de plus en plus de pression, on nous pousse à nous responsabiliser, à réussir dans sa profession, sa vie, sa vie sexuelle, l’éducation de ses enfants… Ces possibilités de recentrage sur soi, de décompression face à toutes ces injonctions sociales extérieures, sont très importantes pour éviter que tout craque.
Nous sommes dans une période de grandes transformations. Cela se confirme par le panorama épidémiologique. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de maladies dites de civilisation. Elles expriment vraiment le mal-être collectif et individuel qui existe dans notre société. Ces maladies se traduisent par des troubles psychosomatiques, des troubles d’adaptation, des souffrances psychiques, l’augmentation spectaculaire des dépressions, les maladies dégénératives, l’émergence des maladies chroniques… En général, ces problèmes ne trouvent pas de solution de guérison dans le milieu médical, qui cherche surtout à savoir comment gérer ces pathologies, qui vont miner l’existence de nombreuses personnes. Pour ceux qui en souffrent, la réponse de la médecine n’est donc pas complète. Dans ce contexte de chronicité et de mal-être général, assurer son bien-être corporel et développer une belle énergie vitale ne viennent pas forcément des traitements médicaux. Cela vient en grande partie de ces autres thérapies, qui permettent de développer un rapport particulier au corps, de travailler son potentiel et de repenser sa spiritualité.

De récentes recherches en neurosciences démontrent en quoi soigner l’esprit permet de soigner le corps. Une révolution dans le monde médical.
La médecine s’est construite sur le dualisme et la séparation entre soma (corps) et psyché (esprit). Aujourd’hui, les scientifiques sont en train de nous dire qu’il y a un lien direct. C’est-à-dire qu’un bon équilibre, non seulement somatique, mais aussi émotionnel, relationnel, mental et psychique, prédispose d’une santé optimale. Et que si le côté psy est miné, le corps en souffre.
Un des grands privilèges des médecines complémentaires est que le travail qu’elles proposent sur le mental a une influence somatique. Et que le travail fait sur le corps a une influence sur son mental. Cette relation psyché et corps pour ressentir un bien-être existentiel est une donnée inéluctable de notre époque. La méditation, le taï-chi, le chi-gong, l’hypnose et la sophrologie s’inscrivent totalement dans cette démarche.

Pourtant, tous les scientifiques n’adhèrent pas à ces théories…
Non, loin de là. Surtout dans le milieu médical et de ses spécialités. Même si, aujourd’hui, on a démontré de manière scientifique les effets positifs de la méditation, tout comme l’efficacité de l’acupuncture sur les douleurs chroniques. Ce qui est le vrai moteur de cette révolution, c’est la neuropsychologie et les sciences neuro-cognitives, qui nous apprennent énormément sur le fonctionnement de notre cerveau.
A ce propos, de nombreuses études ont démontré qu’un des critères qui détermine le choix d’un thérapeute, c’est moins ses diplômes que ses qualités relationnelles. Une personne a besoin de se sentir dans une véritable relation constructive d’accompagnement pour que ça fonctionne. Ça veut quand même dire quelque chose.

Reste qu’il demeure beaucoup de suspicion envers de nombreuses thérapies. Parce que tout le monde peut se prétendre thérapeute et certains disent avoir des solutions pour tout. Comment être sûr de ne pas tomber dans quelque chose de farfelu, voire de dangereux?
Le «tout résoudre en quelques cours» est le signe manifeste d’une dérive. Tout comme les promesses de l’impossible. Là, je pense que c’est un excès de langage et de marketing. J’espère que chacun de nous peut faire des choix éclairés à chaque fois qu’il est confronté à ce genre de choses. Personnellement, j’ai côtoyé énormément de thérapeutes, dans de nombreuses disciplines. Je n’ai pu reconnaître que des personnes terriblement sérieuses, professionnelles, qui prenaient à cœur leur travail et qui connaissaient parfaitement les limites de ce qu’ils pouvaient faire et ne pas faire.

A quelle évolution peut-on s’attendre?
A propos de ces médecines complémentaires, on parle beaucoup d’effet de mode. Or, je ne crois pas que ce soit le cas. Je pense vraiment que des signes multiples, manifestes et terriblement diversifiés témoignent d’un changement de société, voire de culture. Et surtout d’un changement dans la relation que nous entretenons avec notre santé et notre corps. On constate une valorisation de l’autosanté: je deviens l’acteur de ma santé. Je choisis, en connaissance de cause, ce qui me convient, pour gérer ma santé au mieux.
Quant à savoir si on assistera à une légitimation des médecines alternatives en Suisse, je n’en suis pas sûr. On adopte la culture helvétique du petit pas. On étudie, on sonde, on regarde ce qui marche… La question de l’assurance maladie de base, du remboursement des soins, fait qu’aujourd’hui tout doit être prouvé par la science. Donc s’il y a une mouvance culturelle d’ouverture, ce n’est pas dit que, du point de vue politique et économique, on valide tout ça.

En théorie, le bienfait des médecines alternatives ou de techniques méditatives est donc prouvé. Reste que beaucoup de gens ne prennent pas le temps de prendre soin d’eux…
Oui, c’est étrange. Mais je pense que c’est lié aux conditions de vie au quotidien. Notre existence est tellement pressurisée, modelée, qu’avoir le temps de penser à soi, c’est déjà un miracle. Après, il faut avoir la capacité de le prendre. Et ça, sincèrement, ce n’est pas donné à tout le monde. La question de la santé est un privilège qui appartient à certains, et un peu moins à d’autres.

 

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Un regard bienveillant


En septembre dernier, le magazine français L’Express publiait un numéro spécial intitulé «Comment l’esprit soigne le corps», avec force témoignages de scientifiques. Quelques révélations ou pistes de réflexion tirées des articles parus.
– «On sait depuis la fin des années 1950 que les émotions négatives comme le stress et la colère entraînent des effets délétères sur le corps. Depuis quinze ans, on mesure aussi les bienfaits des émotions positives. Parmi les plus bénéfiques pour la santé figurent la gratitude et la bienveillance, et le contact régulier avec la nature améliore notre immunité.» (Christophe André, psychiatre).
– Des études ont démontré que les gens mariés ont moins de risques de développer une pneumonie, de subir une opération chirurgicale, de développer un cancer, de subir un infarctus ou de souffrir de démence. En affinant les recherches, les scientifiques ont établi que, en fait, c’est la qualité de la relation conjugale qui joue un rôle. En résumé, la personne «mal mariée» se révèle en plus mauvaise santé que celle restée célibataire.
– Un stress psychologique ou un événement traumatisant comme un deuil, associé à une situation d’adversité sur une trop longue période, va réduire les défenses immunitaires d’une personne, qui subira des phénomènes chroniques d’inflammation. Face au danger, notre organisme, depuis les origines de l’homme, se prépare instantanément à l’action – le combat ou la fuite – en produisant des hormones qui dilatent les bronches et accélèrent le cœur et le rythme de la respiration. Si le danger s’évanouit, le métabolisme revient à la normale. Mais si la situation de stress perdure, ce bain d’hormones finit par devenir nocif.
– A l’inverse, d’autres hormones se révèlent bénéfiques pour la santé, comme l’ocytocine, un puissant anxiolytique. Elle est sécrétée lors de toute stimulation sensorielle douce: les mots doux, la tétée (pour le bébé), le contact tendre, les caresses, les baisers, l’orgasme, mais aussi le simple contact de l’eau chaude ou le regard bienveillant d’un ami.
– Une solution de bien-être se trouve aussi dans le soutien social. Les études les plus récentes montrent que ce n’est pas tant le nombre de personnes qui compte, que l’intime conviction de pouvoir compter sur elles. On sous-estime d’ailleurs à quel point l’appartenance à une communauté, un club sportif, un syndicat, une association, contribue au bien-être.
– «Le stress chronique favorise le mauvais cholestérol, l’obésité, l’artériosclérose et même le dysfonctionnement du rein. Parmi les sujets à risque, on trouve les râleurs, les introvertis, les obsessionnels, bref, les personnes ne parvenant pas à exprimer leurs émotions.» (Professeure Claire Mounier-Vehier, cheffe de service de cardiologie au CHU de Lille). KA

 

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«Parce que j’ai besoin de me battre»
«Après avoir planté des fleurs dans mon jardin, l’automne dernier, je me suis demandé si je les verrai fleurir au printemps. Et avant Noël, quand j’ai installé ma crèche, je me suis dit: “Allez, tu la ressortiras l’année prochaine!” Ça en fait des pensées qui trottent dans ma tête…» Cette Gruérienne de 65 ans affronte son quatrième cancer. Opérée du côlon en 2004, puis du foie, puis pour une ablation partielle d’un poumon, avant l’ablation totale. En avril dernier, elle apprenait qu’une «tache» était apparue sur le poumon qui lui reste. Retour par la case chimiothérapie.
Alors, cette Gruérienne multiplie les démarches: piqûres de gui pour augmenter son immunité – «la clinique des anthroposophes qui proposent ça est à Arlesheim, c’est une infirmière du Service social de la Gruyère qui vient me faire la piqûre» – magnétiseuse «pour travailler sur l’énergie», spagyrie «pour la nervosité», et la méditation qu’elle va commencer, «parce qu’il faut se concentrer sur sa respiration».
«Ça fait dix ans que je travaille sur mon mental. A chaque fois que la maladie se déclare, c’est une baffe. En avril dernier, c’était vraiment une baffe immense. Depuis ma dernière opération, cinq ans plus tôt, je pensais être tranquille pour un moment. J’ai des hauts et des bas. Mais, tant que je peux batailler et taper du poing sur la table, ça va.»
Si multiplier les rendez-vous et les actions l’aide à gérer la situation, elle ne compte pas abandonner la médecine traditionnelle pour autant. «Pas du tout! Je sais que ce qui peut me soigner: c’est la chimiothérapie ou la chirurgie. D’ailleurs, ni les gens d’Arlesheim ni d’autres thérapeutes ne me disent d’arrêter ce traitement. Mais si je fais tout ça, c’est aussi parce que j’ai besoin de faire quelque chose pour me battre. Et puis, aller voir ces gens, c’est l’occasion de parler. D’évacuer la colère. Parce que dans ma situation, on a le droit d’être en colère. C’est donc surtout moralement que ça aide. De manière générale, on dit qu’il faut choisir les gens qui t’apportent quelque chose. Et éviter ceux qui te pompent l’air. C’est quelque chose que j’ai appris au fil du temps.»
Il faut aussi trier tout ce qu’on entend. «Depuis ma rechute, beaucoup de gens me disent “essaie ci, essaie ça”. On ne peut pas tout faire. Et on n’est jamais sûr que quelque chose fera effet. Mais j’y crois.» Est-ce une profonde conviction ou l’envie d’y croire? «Je ne sais pas… En tout cas, ça me parle.»
Les pensées, c’est ce qu’il y a de plus difficile à gérer. Alors la Gruérienne se bat moralement pour rester dans la pensée positive. «A l’hôpital, la doctoresse qui me soigne m’a dit que les gens qui restent positifs et qui y croient ont plus de chances. D’ailleurs, je ne dis pas “mon cancer”. Je ne veux pas m’approprier la maladie. Ce sont des mauvaises cellules qui stagnent dans mon corps. Mais ce n’est pas tous les jours facile de penser comme ça. Il y a beaucoup d’émotion et, parfois, c’est l’horreur. Quand les petits nains commencent à déconner dans ta tête, il y a du boulot pour les calmer. C’est aussi pour ça que je vais voir une dame qui travaille sur mes énergies. Ça me fait du bien, parce que je vais passer un bon moment avec elle.»
On ne vainc pas plusieurs cancers sans changer sa façon de voir les choses. Et sa vie. «C’est bête à dire, je le sais. Mais j’apprécie chaque bon moment, chaque balade dans la nature avec des amis. Il faut profiter de l’instant. Bien sûr, quand on est jeune, on n’y pense pas. Je n’y pensais pas non plus, d’ailleurs. J’ai été élevée à une époque où on ne parlait pas de ses sentiments. Aujourd’hui, je dis régulièrement à ma famille et à mes fils que je les aime.» KA

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