L’art de détecter aujourd’hui le champion de demain

sam, 24. Jan. 2015
Pour aider les fédérations nationales à détecter, puis suivre l’évolution de leurs jeunes talents, Swiss Olympic dispose d’un concept d’évaluation. Le système PISTE intègre des paramètres physiques et psychologiques, sans oublier l’entourage.

PAR KARINE ALLEMANN

Le basketteur américain Kevin Durant a cette devise: «Le travail bat le talent quand le talent ne se met pas au travail.» Leitmotiv sans doute placardé dans les vestiaires par la plupart des entraîneurs de la planète. Reste que la meilleure chance de réussir dans le sport est de pouvoir s’appuyer sur un savant mélange entre ce qui est inné et ce qui s’acquiert grâce à un long processus d’apprentissage. Pour les fédérations nationales, la détection des talents, et leur suivi jusqu’à l’élite, est fondamentale. Pour les aider dans cette démarche, Swiss Olympic a mis au point un système d’évaluation qui doit permettre aux recruteurs non pas d’évaluer le talent au moment de la détection, mais le niveau auquel l’espoir peut arriver à l’âge adulte. C’est le système PISTE, dont la traduction (plus ou moins française) signifie Pronostic intégratif et systématique par l’estimation de l’entraîneur.
Responsable du soutien aux fédérations avec lesquelles il est en lien direct, Simone Righenzi, de Swiss Olympic, explique un concept appliqué dès 2008.

PISTE, comment ça marche?
Le système PISTE propose toute une série de tests élaborés pour détecter chez un jeune espoir son potentiel physique, ses capacités psychologiques, sa motivation, sa marge de progression et l’encadrement sportif et familial dont il bénéficie. «L’ensemble de ces critères, ainsi que l’évaluation générale de l’entraîneur, doit être considéré, précise Simone Righenzi. PISTE signifie qu’on parle de pronostic. On ne veut pas le meilleur aujourd’hui, mais celui qui le deviendra.»
Le responsable précise: «Au début des années 2000, dans le choix des talents effectué par les fédérations, nous avons remarqué qu’il manquait de transparence, d’objectivité et de standardisation. En exagérant un peu, quand plusieurs talents avaient à peu près le même niveau, on retenait souvent celui que l’on connaissait le mieux, par exemple le fils du patron du magasin de snowboard. Le but est de proposer cette méthode de tests aux fédérations qui, ensuite, devront l’adapter avec leurs propres critères.»

A chacun ses critères
C’est bien là l’enjeu pour les fédérations: peaufiner la batterie de tests proposés et y incorporer leurs propres spécificités. Simone Righenzi donne un exemple: «Swiss Volley considère que comme elle prend en charge les jeunes assez tôt et qu’elle dispose d’une structure sport-études où l’entraînement se fait sur place, l’implication des parents n’est pas relevante. Par contre, il est évident que les critères physiques tels que la taille du jeune compte beaucoup. A l’inverse, pour la Fédération suisse des sports équestres, la coordination et les capacités physiques du jeune sont moindres. Mais le rôle des parents sera fondamental pour l’achat du cheval et le déplacement en compétition. Elle effectue donc une évaluation complète de la situation familiale.»

Dans un sport collectif le comportement en équipe compte forcément. La Fédération suisse de unihockey, par exemple, évalue ses talents sur leur capacité à faire les bons choix, l’impact qu’ils ont dans l’équipe, le nombre d’erreurs commises et la gravité des conséquences que ces erreurs ont eue en match.

Talent statique et talent dynamique
Le système différencie la notion de talent statique et de talent dynamique. Le talent statique représente des critères que l’on peut évaluer à un moment donné par des tests de condition physique, de coordination, ou des facteurs environnementaux, psychiques et cognitifs. Le talent dynamique, lui, s’intéresse à la réaction du jeune face aux mesures mises en place pour sa progression.
Cette distinction permet de dessiner le parcours de l’athlète. «Un débutant avance beaucoup plus vite qu’un expert. La courbe de progression s’aplatit toujours. C’est pour cela qu’un critère important est de savoir depuis quand le jeune pratique le sport. On appelle cela l’âge de l’entraînement. Prenons l’exemple de deux tennismen de 12 ans qui obtiennent les mêmes résultats. Le premier s’entraîne dix heures par semaine depuis six ans avec des parents qui le poussent à fond. L’autre joue régulièrement depuis une année seulement. Lequel a le plus de talent?»

Protéger les entraîneurs
Simone Righenzi le souligne volontiers, ce système standardisé et complet permet aussi de protéger les entraîneurs, dont les choix sont soumis aux critiques. «L’entraîneur doit pouvoir commenter son évaluation et comparer les talents selon plusieurs paramètres.»
C’est aussi dans un souci de transparence vis-à-vis des fonds engagés que Swiss Olympic exige des listes, des tableaux et des rapports. «Les talents reconnus par les fédérations bénéficient d’une Talent Card, qui leur permet de rejoindre un centre de sport-études. Ce qui implique souvent de changer de canton. Pour les sportifs, un accord entre cantons prévoit que si un talent fribourgeois du ski de fond entre au Centre national de Brigue, le canton paiera les 17000 francs d’écolage par année au Valais. Cela représente une grande masse de fonds publics.»

Quelle est la bonne motivation?
Le système PISTE évalue plusieurs types de motivation. Il y a celle exprimée par le comportement (l’espoir de réussite, qui entraîne un comportement conquérant) ou la peur de l’échec (comportement de fuite). Et il y a la motivation orientée sur des objectifs, également divisée en deux catégories: l’orientation tâche (la volonté de bien exécuter) et l’orientation compétition (être meilleur que les autres et gagner).
Des analyses démontrent que la motivation «orientée tâche» apporte plus de plaisir dans la pratique du sport et entraîne une plus grande persévérance. Toutefois, ces sportifs risquent de manquer d’impulsion au moment de la compétition et ils auront beaucoup de peine à se surpasser. «Dans leur évaluation, les entraîneurs intègrent les discussions qu’ils ont avec les athlètes pour connaître leurs motivations et leur approche du sport.»

Peut-on tout évaluer et quantifier?
Ce qui différencie les grands champions des autres, c’est souvent un instinct, une capacité à se sublimer dans les grands rendez-vous. La question est donc de savoir si on peut tout détecter et quantifier. «La réponse est probablement non. Mais notre concept veut que le jeune talent ne soit pas considéré seulement en fonction de ce qu’il porte en lui, mais par rapport à son évolution possible dans le système qui l’entoure.»

 

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«La capacité à apprendre vite et à s’adapter»

Swiss-ski a été l’une des premières à appliquer le système PISTE, tout en l’adaptant à sa réalité. Coordinateur de la relève U16 et ancien chef du Centre national de Brigue, l’ex-Châtelois domicilié à Barberêche Serge Allemand explique son travail sur le terrain.

Comment et quand se fait la détection de vos jeunes talents?
Il y a d’abord la sélection régionale pour les 12-14 ans, effectuée par les onze associations qui font partie de Swiss-ski. Nous leur donnons des procédures à respecter, en collaboration avec Swiss Olympic. Ces sélections se font sur quatre piliers: la performance, par exemple les résultats à la Coupe Raiffeisen, le potentiel physique et les capacités motrices générales, la technique, et l’évaluation de l’entraîneur. Ce dernier passe beaucoup de temps avec les athlètes, il sait comment le jeune réagit en groupe, comment il s’entraîne, à quel point il est autonome et quelles sont ses motivations.
Les mêmes principes sont utilisés, de manière peut-être un peu plus pointue, pour la sélection des cadres nationaux, à 16 ans.

Quels critères spécifiques au ski alpin figurent dans les tests proposés par le modèle PISTE?
Pour nous, ce sont surtout les aspects coordinatifs, la qualité du mouvement, la capacité à apprendre vite et à s’adapter aux situations nouvelles. Comme il peut y avoir de grandes différences de force chez les adolescents, nous mettons l’accent sur la partie technique. Le jeune est-il capable de skier juste, de s’équilibrer rapidement, de s’adapter aux conditions de neige, à une pente, à un tracé? La force et l’endurance s’acquièrent dans une deuxième phase.

Chez un talent, il y a ce qui est inné et ce qui peut s’acquérir par l’entraînement…
Quand on voit un jeune de 12 ans pour la première fois, peut-être qu’il n’a jamais fait de slalom de sa vie. Mais il a un ressenti de la glisse et de l’équilibre. On se dit alors qu’en travaillant ces aspects spécifiques, il peut aller très loin. En fait, ces processus de sélection sont faits non pas pour savoir qui est le plus rapide à ce moment-là, mais qui profitera au mieux du système d’apprentissage mis en place, pour devenir le plus rapide dans dix ans.

Peut-on tout évaluer?
Non! Ou plutôt oui. On peut évaluer beaucoup de choses. Mais il faut être conscient de la faible pertinence d’un résultat à un moment donné. Une journée de détection, ce n’est qu’une photo de la forme du jour. Ce n’est qu’en la répétant plusieurs fois au fil des années que l’on peut constater une évolution. C’est exactement le système PISTE.
Reste qu’on ne peut pas tout mesurer. En tant que fédération, nous faisons des pré­visions à long terme. Dès lors, la précision de cette prévision laisse forcément à désirer. On exclut des athlètes, parce qu’on voit que c’est impossible pour eux. Et on donne la chance à d’autres. Certains la saisiront, d’autres pas. Et même chez ceux qui saisissent leur chance, une grande partie n’y arrivera pas. Entre un titre de champion de Suisse OJ à 15 ans et un départ en Coupe du monde à 22 ans, le chemin est très long et composé de nombreuses étapes à franchir. KA

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