«L’occasion de repenser le temps et l’espace»

| jeu, 26. fév. 2015
Le franc fort inquiète les entreprises dépendant de l’étranger. Professeur en ressources humaines à l’Uni de Genève, Jean-Yves Mercier propose de profiter de la situation pour revoir l’organisation interne des entreprises, voire leur stratégie.

Prendre le coup du sort comme une chance. La proposition est émise par Jean-Yves Mercier, professeur en ressources humaines au sein du MBA de l’Université de Genève et consultant. Le spécialiste, invité ce jeudi par la Fédération patronale et économique de Bulle (dès 17 h 30, à Espace Gruyère), propose quelques pistes aux entreprises pour gagner en compétitivité dans un contexte de franc fort.

Depuis le 15 janvier et l’abandon du taux plancher par la Banque nationale, les patrons suisses sont inquiets. Crient-ils au loup?
Non, leur inquiétude est légitime. Le franc fort impacte les entreprises exportatrices, dont certaines font payer le prix à leurs sous-traitants. Le plus inquiétant est l’imprévisibilité. Il est difficile de savoir à quel taux va se rééquilibrer le franc par rapport à l’euro. La Grèce et l’Europe jouent au chat et à la souris. Un accord définitif ne semble pas se dessiner avant trois, voire six mois. Seulement après, une tendance pourra se dessiner à plus long terme. Et la situation ne sera pas la même si l’euro vaut 1 ou 1 fr. 15.

Lors de la crise financière de 2008-2009, les entreprises avaient massivement recouru au chômage partiel. Cet outil est-il à nouveau utile?
A l’époque, la crise était conjoncturelle. Pour les entreprises suisses, solides et bien structurées, il s’agissait de serrer les dents, en attendant que ça passe. Le chômage partiel est adapté quand un retour à la normale est attendu tôt ou tard. Il permet de ne pas perdre les compétences de l’entreprise, en évitant les licenciements.
Aujourd’hui, on manque de vision. Le chômage partiel est valable dans un premier temps. Il permet à l’entreprise de voir venir durant deux ou trois mois. Si l’incertitude perdure, cet instrument, défensif, sera insuffisant. Il faut aussi être offensif et miser sur une réorganisation interne, pour être plus compétitif.

Quelles mesures prendre à plus long terme?
La Suisse ne sera jamais moins chère que les autres pays. Ses forces, ce sont la qualité et l’innovation. La baisse d’activité peut être une occasion de travailler sur les processus, pour gagner en productivité. Autrement dit, améliorer l’existant: la manière de produire, mais aussi le suivi de ses clients, par exemple. Cela demande de l’énergie et du temps. Et le personnel est disponible pour s’y atteler.
Un processus est généralement revu à fond tous les cinq ans. Ces deux à trois dernières années, la croissance a été bonne. La plupart des entreprises ont travaillé à plein régime et n’ont pas forcément eu l’occasion de se remettre en question. Or, c’est bénéfique, car cela amène une baisse des coûts.

D’autres «travaux d’intérieur», comme vous dites, peuvent-ils être entrepris?
Oui. On peut repenser le temps et l’espace de travail. Grâce aux technologies de communication, une grande partie des tâches peuvent être effectuées à distance. Aujourd’hui, 20% des heures travaillées ne le sont pas sur la place de travail. Il commence à être idiot de prévoir une place de travail par personne. Les bureaux peuvent se partager. De grandes entreprises, comme les CFF ou la Mobilière mettent cela en place. Une place de travail peut servir pour 1,5 ou même 2,5 employés. Et pas seulement dans le secteur des services. Des économies peuvent êtres faites sur les infrastructures.

Qu’en est-il de la réorganisation du temps de travail?
Les collaborateurs demandent de plus en plus de flexibilité. Les couples donnent naissance à leurs enfants vers 31-32 ans. Les jeunes jusqu’à 30 ans ont envie de profiter de la vie. De leur côté, les gens plus âgés, dès 55 ans, ont encore beaucoup à donner à leur entreprise, mais plus forcément avec la même énergie.
En vingt ans, le travail à temps partiel a augmenté de 25% en Suisse. Plus d’un tiers des actifs ne sont pas engagés à temps plein. Et cela concerne de plus en plus d’hommes. Pour les entreprises, c’est le moment de satisfaire à ces demandes de temps partiel, voire d’en lancer l’idée. Le temps de travail peut aussi être annualisé. Quand il y a moins de travail, l’employé peut s’absenter plus longtemps, pour un voyage ou un projet personnel. Cette flexibilisation du temps de travail est inéluctable. Les entreprises vont de toute façon devoir y venir.

Les grandes entreprises ne sont-elles pas les seules à pouvoir s’adapter?
Pas forcément. Le meilleur exemple, ce sont les start-up nées autour de l’EPFL. Ces petites structures sont essentiellement composées de trentenaires et elles se sont d’emblée organisées avec un espace et un temps de travail adapté. Après, c’est évidemment du cas par cas.

Le franc fort peut-il amener encore d’autres réflexions?
Il peut être temps d’élaborer une véritable stratégie commerciale. Cela manque parfois aux entreprises suisses, très fortes dans la production. Cela tient au profil des dirigeants. Dans les pays latins, beaucoup sont des commerciaux. En Suisse, comme en Allemagne, ce sont souvent des spécialistes qui ont créé un produit et leur entreprise à partir de là. Or, le produit seul n’apporte pas la croissance. On le voit dans l’horlogerie. On ne peut plus simplement compter sur le «swiss made» pour croître et dire à ses clients de payer plus cher. Il faut mettre en avant son innovation, son service après-vente.

 

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Trois demandes acceptées

Le recours au chômage partiel n’explose pas dans le canton. Trois entreprises ont vu leur demande acceptée par le Service public de l’emploi (SPE) depuis l’abandon du taux plancher. «Il s’agit de deux sociétés actives dans l’industrie des machines et d’une entreprise travaillant dans le domaine du bois. A chaque fois, quelques dizaines d’employés sont concernés», expose Jean-Marie Monnerat, responsable de la communication au SPE.
Depuis janvier, trois autres demandes ont été acceptées, sur un total de 18 (6 en janvier, 12 en février). «Mais elles ne sont pas liées au franc fort», précise Jean-Marie Monnerat. En revanche, plusieurs patrons se sont renseignés depuis que le Conseil fédéral a accepté, fin janvier, les fluctuations monétaires pour le versement d’indemnités.


Attendre six mois
Un rappel: pour bénéficier du chômage partiel – officiellement, réduction d’horaire de travail (RHT) – il faut prouver une baisse temporaire du volume de travail. Et non une diminution du chiffre d’affaires. «Il faut, par exemple, démontrer que tel marché a été perdu, en raison de la force du franc», illustre Jean-Marie Monnerat. Par contre, un contrat déjà négocié en euros, qui rapportera moins en francs, en raison du taux de change, induit une baisse du chiffre d’affaires. «C’est vraisemblablement dans la deuxième partie de l’année que les demandes de RHT pourraient augmenter, estime Jean-Marie Monnerat. Mais, pour l’heure, le canton compte 15000 entreprises et seules six demandes de RHT ont été acceptées depuis le début de l’année. C’est le signe d’une excellente situation économique.»
Lorsque la demande de RHT est acceptée, l’employeur verse, à la date habituelle de la paie, les 80% de la perte de gain à ses employés. Cette avance lui est ensuite remboursée par la caisse de chômage. La RHT peut être introduite durant une durée maximale de douze mois. TG

 

 

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