Des truites tout en couleurs

| sam, 28. fév. 2015
Premier dimanche de mars: c’est l’ouverture de la pêche à la truite. Quelques belles pièces garniront les bourriches à coup sûr. Côté cuisine, les recettes ne manquent pas. Optons pour la cuisson au bleu. Simple et efficace.

Par Pierre-Etienne Joye
Une truite bleu sauvage. Avec ou sans trait d’union. A moins que l’on ne veuille parler d’une truite bleue, sauvage. Et au pluriel? Des truites bleu sauvage… on accorde ou pas? Ça dépend du sens et de l’humeur du pê­cheur gastronome. Et puis­qu’il est question d’accords, piquons notre hameçon dans le vif et voyons plutôt comment et avec quoi servir notre truite. Nos truites. On distingue en effet plusieurs variétés de salmo trutta. Dans nos contrées fribourgeoises, la plus prisée en termes de qualité culinaire est sans conteste la truite fario, qui frétille dans les rivières et les torrents oxygénés. D’une texture ferme et franche, elle a un goût délicat, pour ne pas dire exquis. On la reconnaît à sa couleur brun-jaune aux reflets mordorés et à ses points rouges sur les flancs. Le poète latin Ausone parle de «dos étoilé de gouttes de pourpre».

La truite lacustre montre, elle, une robe plutôt argentée avec des taches noires en plus grande quantité. Pouvant être pêchée dès la mi-janvier, ce poisson de lac peut peser plus de dix kilos et sa chair rose orangé sera alors idéale en filets pochés ou crémés en papillotes.

L’arc-en-ciel artificielle
La truite arc-en-ciel colonise les viviers et les piscicultures. Elle est d’origine américaine et a été introduite dans toute l’Europe au XIXe siècle. D’aspect allant du gris foncé au titane, elle arbore sur le ventre une bande de teinte rose-violet. Son corps est parsemé de nombreux points noirs. L’arc-en-ciel est parfois saumonée? Un artifice… Laissons la parole à Albert Bossy, patron de la pisciculture de Neirivue: «La truite et le saumon naissent toujours blancs. Leurs repas de crustacés leur colorent la chair ensuite. C’est le cas au lac de Montsalvens par exemple. Pour des raisons esthétiques et de mode, on a par la suite coloré artificiellement une partie des truites arc-en-ciel. Au moyen de carotène dans les années 1970, avec des colorants de synthèse aujourd’hui… D’ailleurs, une trui­te sau­mo­née, ça n’existe pas. On devrait plutôt parler de truite à chair rose. Et le goût n’a rien à voir là-dedans.»

Alors justement, quelles sont les qualités gustatives de la truite arc-en-ciel? Très honnêtes. Mais ça ne vaudra pas une bête sauvage. Et attention à l’excès de cuisson! La chair étant déjà plus molle, elle risque alors de devenir carrément flasque.

Large palette de recettes
Apprêter la truite, c’est comme entrer dans des ateliers de peintres, toutes tendances artistiques confondues. Des goûts et des couleurs. Les manières les plus courantes de cuisiner la truite sous nos latitudes, c’est de la préparer meunière, c’est-à-dire légèrement farinée puis poêlée; dorée au beurre et aux amandes; farcie aux champignons; écartelée façons crapaudine et grillée au feu de bois; ou tout simplement au bleu. Nous y revenons tout de suite.

En France, les déclinaisons sont sans fard. A commencer par la célèbre truite à la grenobloise: des câpres, du citron et du persil. A la mode de Chambéry, les truites seront levées en filets agrémentés d’une sauce à base de crème au vermouth, d’échalotes, d’estragon et de cerfeuil. Les Corses et les Auvergnats les aiment au vin rouge. Crue et fumée, la truite pourra être détaillée en tartare enfoui dans des feuilles d’endives. En Norvège, étonnant: elle peut être fermentée – comme la choucroute – et se déguste avec des oignons rouges et de la crème aigre. Délicieux.

De bleu de bleu
Dans son dictionnaire de cuisine, Alexandre Dumas a loué la truite de la Seine, «à la saveur parfaite, contrairement à celle du lac de Genève, sèche et coriace». Pas de quoi piquer la mouche, mais l’occasion d’évoquer une recette parisienne: la truite en bellevue. Le nom provient de sa présentation garnie et de son nappage de gelée luisante.

La truite au bleu maintenant. Avec cette nouvelle citation, celle de Jean Giono: «Jamais au beurre, jamais à l’amande; ce n’est plus de la cuisine, mais du cartonnage! A part la truite au bleu, on ne sait pas cuire la truite». Il n’a pas tout tort, Jean-Jean. Cette méthode traditionnelle est une des meilleures manières d’apprécier la truite à sa juste valeur. Alors place à la recette. On en a déjà les papilles qui giclent.

 

Recette de la truite au bleu

C’est le mucus dont est recouverte la truite qui permet la cuisson au bleu, ainsi que l’ajout de vinaigre chaud avant son séjour dans le court-bouillon.
Ingrédients
Une truite par personne. On choisira des truites fraîchement assommées et vidées, pas trop grosses (150 à 200 g environ) encore gluantes, à l’œil brillant. Des farios (sauvages) sont le nec plus ultra. Alors à nos cannes, si l’on n’a pas la chance d’avoir un frérot pêcheur. Sinon, des truites arc-en-ciel feront très bien l’affaire. Pour le court-bouillon, comptons deux carottes, deux oignons, un bouquet garni composé d’une branche de céleri, de thym, de laurier et de quelques tiges de persil. Un verre de vin blanc et deux verres de vinaigre blanc. Une poignée de gros sel, du poivre concassé ainsi qu’un bon morceau de beurre et des quartiers de citron.

Préparation
Commençons par le court-bouillon. Il nous faut une grande et large casserole avec un peu plus d’un litre d’eau, dans laquelle on ajoute les carottes et l’oignon émincés, le bouquet garni, le sel, le vin et un verre de vinaigre. On porte le tout à ébullition en laissant frémir ensuite une demi-heure. Avec le couvercle. Si on est pressé, avec un court-bouillon en sachet, ça marche aussi.

Cuisson
Pas besoin d’assaisonner les truites ni de les écailler, les petits tavillons sont minuscules… Et, surtout, on ne les essuie pas! Dans une minicasserole, faisons bouillir l’autre verre de vinaigre et versons ce liqui-de fumant et acide sur les truites, avant de les plonger pour 7 à 10 minutes selon la taille dans le court-bouillon. On peut aussi contrôler la cuisson «à l’œil», c’est-à-dire en observant les mirettes de la truite devenir blanches et globuleuses, comme une poletz.

Dressage
Avec spatule, écumoire et délicatesse, sortons nos truites et disposons-les sur l’assiette chaude. Elles sont arquées? C’est normal. On accompagne le tout de pom-mes vapeur persillées, du citron et on nappe de beurre fondu les filets levés et débarrassés de leur peau. Et avec ça qu’est-ce qu’on écoute? La truite de Schubert, ça coule de source. Un cliché? Pas si c’est la version coquine de Francis Blanche.

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