Le tavillon, de la transmission orale aux bancs d’école

| mar, 03. fév. 2015
Des cours sur le tavillon ont été dispensés pour la première fois. A l’Ecole professionnelle de Bulle, les tavillonneurs ont partagé un savoir-faire qui se transmettait jusqu’alors sur le terrain et par oral.

PAR YANN GUERCHANIK

L’échange est vif, les idées fusent. Dans la salle 013 de l’Ecole professionnelle de Bulle, chacun nourrit la discussion qui semble de la plus haute importance. Sur les tables, une alignée d’avant-bras aux veines saillantes. Dessous, une rangée de grosses chaussures de montagne.
«Si tu laisses l’écorce, ils ne vont pas se faire piquer», assure l’un. «Mais il ne faut pas les laisser trop longtemps», ajoute un autre. «A la fin juillet, tu pourras plus l’éplucher, ou alors à la machine…» poursuit un troisième. On parle bois, billes, meules. Avec tout le sérieux qui convient à la passion. On ne plaisante pas avec le métier. Le leur: tavillonneur.
Depuis deux semaines, un petit groupe participe aux premiers cours sur le tavillon jamais dispensés dans le cadre d’une formation professionnelle. Les journées précédentes étaient consacrées à la fabrication. Mais ce vendredi matin, les tavillonneurs ont délaissé leur banc, leur fer et leur mailloche. Cette première période se conclut par un cours sur la Lune, puis une balade en forêt.
Gardiens d’un savoir-faire vernaculaire, Colin Karlen, Olivier Veuve, Vincent Gachet et Lucien Carrel sont intervenants durant la formation. Mais cette fois, les maîtres tavillonneurs ont pris place aux côtés des participants pour écouter Christophe Remy leur parler de l’influence de l’astre des mystères.
«Je me rappelle toujours cet alpage dans la vallée de la Verde, pas loin du Gros-Mont, raconte le garde forestier indépendant. Le propriétaire se souvenait que le toit datait de 1944 parce que c’était l’année où les Américains avaient débarqué en Normandie. Le toit avait 57 ans et il était loin d’être foutu. L’artisan qui l’a fait a probablement abattu le bois en bonne Lune. Pour qu’il dure aussi longtemps, il a dû y avoir quelque chose…»
Le tavillon est un art qui répond à l’appel de la nature. Dans la salle, chacun prête une oreille attentive. Ce qui n’empêche pas d’autres opinions de s’exprimer. «Peut-être que l’avantage de ce toit, c’est qu’il n’y a pas eu de stockage, avance un participant. Ils ont coupé et posé sans attendre. Il faut dire que cette région est saine pour le tavillon. Il existe là-bas plusieurs chalets avec des toits très, très vieux.»
Ainsi, Christophe Remy explique les liquides qui se concentrent dans les racines lorsque la Lune descend, comment la période est propice pour abattre le bois de construction. Pour le tavillon, il recommande une Lune rouge, quand elle a les cornes en bas et qu’elle passe devant le signe et la constellation du lion.
Choisir le bois, puis le fendre et le disposer de façon à ce qu’il ondule sur les toits, voilà un métier qu’on accomplit en puisant à la source de différents savoirs. La technique alliée à l’esprit de la forêt. Christophe Remy poursuit son cours dans la neige, au milieu d’un bois au revers de Rossinière.
Il explique le mélange d’essences qui existent là, entre l’épicéa et le sapin blanc. «Le premier a besoin de lumière et file en direction du ciel. Le second, lui, se contente de l’ombre. Il restera en dessous pour envelopper le tronc de l’épicéa. Les branches basses de ce dernier vont alors sécher et tomber, ce qui nous donne des beaux fûts, bien lisses et bien droits.»
Les tavillonneurs s’exercent à repérer les arbres qui leur sont favorables. Ils apprennent qu’en altitude ils poussent moins rapidement, que leurs cernes sont plus fins, que leur qualité est donc meilleure, plus durable. Il s’agit de choisir un bois qui fend bien, d’éviter celui qui vrille.
Le cours se poursuit sur la relation qu’il convient d’entretenir avec le garde forestier, avec les bûcherons, sur la façon de prélever ce que la nature nous donne. «Il y a des cueilleurs d’arbres qui ont une sensibilité extraordinaire, confie Vincent Gachet. De notre côté, on essaie de développer certaines qualités. Mais chaque automne ou chaque hiver, quand on commence à choisir… on se rend compte qu’on est peu de chose.» Devant un arbre élancé ou les vagues de bois d’un édifice de montagne, l’œil du tavillonneur brille du même éclat.
La classe s’engage sur le chemin du retour. Lucien Carrel, s’il n’a que trente-cinq ans, prend la mesure du changement qui s’opère. «Avant, il fallait trouver et se faire accepter par un maître. Cette formation est un grand pas en avant pour notre métier. En même temps, c’est un genre de relation privilégiée qui risque de se perdre.» En observant la qualité des échanges entre participants et tavillonneurs confirmés, on se dit que la nostalgie attendra et que l’ancien métier a l’avenir devant lui.

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En attendant une reconnaissance officielle
Issue d’un savoir-faire ancestral, la profession de tavillonneur n’est pas certifiée par un diplôme officiel. L’Association romande des tavillonneurs (ART) œuvre depuis des années pour que l’art du tavillon soit reconnu légalement en tant que métier. En collaboration avec le Centre de perfectionnement interprofessionnel (CPI), la corporation nourrit le projet de créer un brevet fédéral. Les cours pratiques et théoriques qui ont été dispensés pour la première fois en ce début d’année constituent un pas dans ce sens.
La formation se présente sous la forme d’un cursus composé de quatre modules. Elle s’est concrétisée à travers un projet de coopération franco-suisse dans le cadre d’un programme européen (Interreg). «Financé par la Confédération, les cantons concernés, la Loterie romande, la Fondation de famille Sandoz, le Centre patronal vaudois et la Fédération vaudoise des entrepreneurs, ce projet a pour chefs de file le Parc naturel     régional du Haut-Jura côté français et, côté suisse, l’Association romande des métiers du patrimoine bâti (ARoMPB)», explique le secrétaire de cette dernière Daniel Glauser.
«Les démarches sont en cours en ce qui concerne le brevet fédéral de tavillonneur, mais aucune décision n’a encore été prise par le service compétent de la Confédération, relève-t-il. A la fin de chaque module, les artisans recevront une attestation de formation délivrée par le CPI de Fribourg, l’Association romande des tavillonneurs et l’ARoMPB.» YG

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