"Les réorganisations créent aussi des peurs du changement”

| sam, 28. fév. 2015
De nombreux collaborateurs ont émis des critiques sévères sur le Réseau fribourgeois de santé mentale à Marsens. Interview d’Anne-Claude Demierre, conseillère d’Etat et présidente du Conseil d’administration, et de Serge Renevey directeur général.

Par Priska Rauber et Jérôme Gachet
Les nombreux témoignages recueillis (La Gruyère du 5 et du 12 février) dépeignent toujours les mêmes problématiques au sein du RFSM: surcharge de travail, ambiance délétère, tournus des cadres et inquiétudes pour les patients. Que contestez-vous?
Anne-Claude Demierre: Nous sommes conscients que les taux d’occupation ont été élevés sur le site de Marsens en 2014. Plusieurs facteurs l’expliquent. D’abord, la forte augmentation de la population. Ensuite, notre hôpital est en mouvement, il doit s’adapter aux besoins de la population. De plus en plus de personnes viennent se faire soigner, également dans le secteur enfants et adolescents.

Nous sommes aussi confrontés à des cas de plus en plus complexes, demandant parfois un équivalent plein temps (EPT) par patient. De telles situations provoquent des surcharges de travail, donc un engagement important de notre personnel, qui a malgré tout garanti la qualité des soins durant cette période il est vrai difficile.

Face à ce constat, quelles mesures avez-vous prises?
A.-C. D.: Nous avons mis en place depuis plus d’un an une stratégie en trois étapes: sur le court terme, augmenter les postes de travail partout où on nous a signalé des tensions. Entre 2009 et 2014, on est passé de 340 à 385 EPT. Nous avons renforcé l’ambulatoire en développant des cliniques de jour, qui permettent aux patients d’éviter l’hospitalisation et de retourner plus rapidement chez eux.

Sur le moyen terme, nous discutons de la restructuration d’unités. Certaines étaient trop spécialisées, nous allons les transformer en chaînes de soins plus généralistes. Les réflexions sont en route, avec les collaborateurs. Evidemment, les réorganisations créent aussi des peurs du changement.
Le troisième élément de notre stratégie est sur le long terme. Nous travaillons à l’ouverture de cinquante nouveaux lits sur Fribourg à l’horizon 2018.

De nombreux employés s’inquiètent pour la qualité des soins. Même les infirmiers chefs, dans leur lettre de lecteurs (La Gruyère du 17 février) disent que cette situation ne peut pas durer sur le long terme. C’est quoi, le long terme?
A.-C. D.: Effectivement, le métier de soignant a évolué, avec un travail administratif plus important. Mais je n’ai pas eu connaissance d’éléments qui indiquent qu’il y aurait des problèmes. La commission du personnel ne nous a d’ailleurs pas informés de telles difficultés. Nous avons un représentant du personnel au conseil d’administration, à qui j’ai clairement demandé qu’il joue ce rôle de courroie de transmission. Il nous a toujours dit que les problématiques touchaient le rang supérieur, et que le personnel au service du patient n’était pas concerné par ce qui se passait un peu plus haut.

Un sondage de satisfaction récent confirme un climat lourd, des problèmes de collaboration ou de clarté concernant les stratégies (lire encadré). Quelles leçons en avez-vous tirées?
A.-C. D.: Nous l’avons justement réalisé pour améliorer les choses. Nous entendons les critiques et les mesures prises répondent à ce souci. Cela dit, nous remarquons que ceux qui répondent à ces sondages sont toujours les plus insatisfaits.

Ils espéraient pouvoir utiliser les données pour améliorer la situation dans chaque service, mais, comme l’a écrit un des responsables à ses collaborateurs, «la stratégie institutionnelle ne nous légitime pas à continuer un travail d’élaboration des données à l’interne du service»…
Serge Renevey: Ce sondage a été discuté au niveau global, puis au niveau de chaque équi-pe. Nous avons ensuite récolté l’ensemble des propositions pour essayer d’améliorer ce degré de satisfaction. Donc, il y a eu cette enquête, il y a eu des résultats, une participation générale et un plan d’action qui est en train – pas depuis vos articles mais depuis plusieurs mois – d’être réalisé.

Chez les personnes qui se sont confiées à nous, nous ressentons de la lassitude: par le passé, il y a déjà eu des sondages, des problèmes identifiés, mais les soucis demeurent…
A.-C. D.: Au niveau de la stratégie, nous sommes toujours en mouvement. Depuis la création du RFSM en 2008, nous avons mis en place des structures intermédiaires, un centre d’addictologie, de médecine forensi-que. Mais il a fallu mettre ensemble l’ambulatoire et l’hospitalier, et cela n’a pas été simple.
Des gens de l’ambulatoire ont notamment mal vécu de devoir aussi s’occuper d’hospitaliers. On mettait le patient au centre de nos préoccupations. Certains médecins n’ont pas souhaité continuer dans cette nouvelle organisation de la psychiatrie.

Restez-vous convaincus que c’est la bonne formule?
A.-C. D.: Absolument, et j’en veux pour preuve l’analyse qui a été faite en 2011 par deux experts tout à fait neutres qui confirment que la voie choisie est la bonne.

Cela dit, l’un des deux experts a été engagé par le RFSM pendant le processus…
A.-C. D.: Non, à la fin du processus, pas pendant. Il nous avait présenté les conclusions à la mi-août et devait nous rendre le rapport écrit début septembre. C’est durant cette pha-se que j’ai eu contact avec lui. Nous avons engagé ce professeur comme directeur médical et coordinateur. Il n’avait ainsi pas à évaluer des médecins qu’il avait eus en entretien.

Autour de cet audit, vous avez quand même étouffé les problèmes graves relevés du côté du management...
A.-C. D.: Nous n’avons rien étouffé. Nous avons confié aux experts cette évaluation – il ne s’agissait pas d’un audit – car nous avions besoin de ce regard neutre pour nous aider à voir comment évoluer après trois ans de mise en œuvre. Nous avons mis en place tout ce qui a été proposé par les experts.

La personne qui va entrer en fonction en juin pour remplacer le professeur Merlo a été engagée comme sous-directrice puis nommée directrice par
promotion. Le poste de directeur n’a donc pas été mis au concours…

A.-C. D.: En effet, mais nous menions les entretiens des sous-directeurs dans l’idée que la personne pourrait devenir directeur, puisque nous étions déjà dans une perspective d’un éventuel remplacement.

Mais en ne mettant pas au concours le poste de directeur, vous vous privez de profils des personnes qui auraient postulé comme directeur…
A.-C. D.: Peut-être. Mais quand nous avons entendu Mme Gothuey, nous étions tous convaincus que ce pouvait être une vraie chance pour le RFSM de pouvoir s’appuyer sur elle, qui est responsable de toute la psychiatrie d’une partie du canton de Vaud et qui a les compétences médicales et managériales nécessaires. Autrement, cela aurait de nouveau été une période de mise au concours. Nous sommes convaincus que son arrivée va amener du calme et de la sérénité.

M. Renevey, ce tournus de cadres ne vous préoccupe-t-il pas en tant que directeur du RFSM?
S. R.: Ce tournus n’est pas si important. Les départs à la retraite, les fins d’apprentissage, des maladies graves, etc. expliquent en grande partie ce phénomène. Et puis il y a d’autres secteurs du réseau, l’administration, l’exploitation, les psychologues, le service social, où il n’y a eu aucun départ. Le conseil de direction est composé des trois médecins directeurs mais aussi de quinze cadres, fidèles depuis de nom-
breuses années. Sur l’ensemble, le taux de renouvellement est de 22%, ce qui est conforme à la moyenne nationale des hôpitaux. Hors médecins, la stabilité est excellente.

Parlons pour terminer des titres des médecins. Il y a deux médecins adjoints présents depuis une dizaine d’années qui ne sont pas inscrits au registre des professions médicales ni au FMH. C’est problématique…
S. R.: L’une, docteure en médecine et titulaire d’un diplôme américain, est médecin consultante à 30%, elle ne travaille plus à la clinique et s’occupe du processus qualité. Dans le cas de l’autre, il a réussi ses examens FMH de spécialiste et la procédure de validation est en cours.

 

«Sans crainte de représailles»
Directrice de la santé, Anne-Claude Demierre «prend acte» du fait que certains collaborateurs se soient confiés à la presse mais le «regrette, pour des questions d’éthique, de loyauté et de préservation du milieu professionnel». Elle a adressé une lettre à l’ensemble des collaborateurs la semaine passée où elle leur rappelle qu’ils «peuvent venir sans crainte de représailles. A ce jour, un seul médecin a demandé à être entendu. En outre, nous avons contacté la FEDE pour savoir s’ils avaient des plaintes. Il n’y en a aucune.»

Elle tient à préciser que «les salaires du personnel verront à nouveau une progression. Effectivement, il y a eu les mesures structurelles de l’Etat, mais les paliers seront donnés en juillet de cette année.» Elle réfute en outre le fait que la situation provoque le stand-by de certains projets. «A l’exception de deux (la clinique de jour pour personnes âgées et un projet de développement d’équipes mobiles), parce que le conseil d’administration n’a pas souhaité y mettre sa priorité.»

 

Bonne ambiance pour 10%
En octobre 2013, un sondage de satisfaction a été effectué au sein du RFSM. 55% des 482 collaborateurs invités à répondre y ont participé. Les résultats ont été communiqués aux intéressés l’an passé.

Ils révèlent par exemple que seuls 10% des sondés estiment qu’une bonne ambiance règne au sein de l’institution. Moins de 30% resteraient si on leur offrait la même place ailleurs. Quant aux intérêts des patients, 24% des soignants, 14% des services transversaux et 64% des médecins approuvent pleinement que «l’importance qui leur est accordée est grande».

Un thème qui ne recueille que peu d’adhésion concerne les décisions. Seuls 15% estiment qu’elles «sont prises là où l’on dispose des informations essentielles à cet effet». Pèchent aussi les valeurs communes, la connaissance des stratégies, la collaboration entre les services ou les responsabilités, pas clairement définies. Ces résultats ont été comparés à ceux des 2164 employés d’autres institutions psychiatriques ayant aussi répondu à ce sondage en 2013. Les meilleurs critères pour le RFSM concernent le salaire ou le soutien entre membres de l’équipe. Les plus mauvais: les informations sur les changements importants et les stratégies de l’entreprise qui ne leur parviennent pas de la part de la direction.

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