Jouer avec le trouillomètre à zéro, ça change tout!

| sam, 07. mar. 2015
Fribourg-Gottéron s’est embarqué sur la galère des play-out cette saison. Le climat est délétère, la tension à son comble: «Personne n’a envie d’être là», rappelle l’arbitre québécois Stéphane Rochette. Trois spécialistes racontent.

PAR KARINE ALLEMANN

Jouer des play-out, c’est passer ses qualités morales au révélateur. Qui aura les nerfs, qui saura motiver les troupes, qui sortira du bois pour faire basculer les matches du bon côté ou, au contraire, qui va totalement s’écrouler sous la pression? Quand chaque problème devient immense, quand le moindre bobo fait bien plus mal qu’en finale du championnat, il faut du caractère et du courage. Pour le préparateur physique de Fribourg-Gottéron Bruno Knutti, la sentence est sans appel: «Les play-out, c’est un jugement. Un joueur qui n’est pas performant alors que le club a le plus besoin de lui, c’est qu’il est au mauvais endroit.» Traduction: il n’a plus rien à faire dans l’équipe la saison suivante.
Les Dragons ont fait un grand pas vers le maintien mardi en s’imposant 3-2 à Kloten. A confirmer dès ce soir avec la venue de Rapperswil (19 h 45). Pour décoder ce climat bien particulier, Bruno Knutti, l’ancien défenseur Antoine Descloux et l’arbitre fraîchement retraité Stéphane Rochette racontent à quel point jouer avec le trouillomètre à zéro change la donne.

 

«Tu avances coûte que coûte et tu règles tes comptes plus tard»
Antoine Descloux rigole au bout du fil: «Et voilà! Situation de crise, alors on m’appelle pour en parler.» Il faut dire que les play-out, il connaît. Même si en dix-huit ans de carrière en LNA, l’ancien défenseur fribourgeois n’en a disputé que quatre. «Comme les années bissextiles. Tous les quatre ans, c’est la galère…»
Parce que c’est bien de galère qu’il s’agit: «Quand tu joues les play-off, tu vas vers quelque chose de positif. C’est complètement différent en play-out. Tu n’as pas le droit de perdre. Tu joues forcément différemment.» En quoi est-ce différent? «Déjà, tu oublies la notion de plaisir. Tu es en mode survie. Normalement, le but de l’attaquant est d’essayer de passer son défenseur, le défenseur doit essayer de stopper l’attaquant. Tu tentes des trucs, c’est pour ça que tu t’entraînes. Pour le jeu, pour viser la victoire. Dans les matches contre la relégation, il ne s’agit plus d’essayer quoi que ce soit. Tu as l’obligation de remporter ton duel. Jouer pour ne pas perdre, ce n’est pas naturel du tout. En play-out, il faut du caractère. Il en faut même beaucoup.»
Concernant Fribourg-Gottéron, Antoine Descloux en appelle à la mobilisation générale: «Dans une saison compliquée, chaque petit problème est devenu immense. Il y a de toute façon dans le vestiaire des gars que tu détestes. Mais tu oublies tout et tu te concentres sur ta mission: sauver le club. On parle beaucoup de la question des salaires de joueurs. Mais c’est un faux débat. OK, ils gagnent davantage qu’à l’époque où je jouais. Tout comme moi je gagnais plus que mes prédécesseurs. Ce n’est pas ce qui chan­ge le caractère des joueurs.»
Le Fribourgeois se dit plutôt confiant. «Contre Ambri, Dubé a été celui qui a montré le plus à quel point il était impliqué. D’habitude, c’est plutôt un joueur introverti. Là, il a donné un nombre incroyable de mises en échec. Il avait beaucoup de hargne. Je pense qu’il y a à Fribourg les leaders nécessaires pour tirer l’équipe dans ce sens-là. Pouliot, Shilt et Andreï (Bykov) ont montré toute leur implication aussi. Quant à Julien (Sprunger), il a tenu l’équipe à bout de bras jusqu’à Noël. La question est: est-ce que tous les autres joueurs vont suivre ces exemples? Si je devais avoir un souci, ce serait de ce côté-là. Parce qu’on en revient à la question du vestiaire.»
Question qui devra être résolue. Mais, pour Antoine Descloux, cela attendra que Fribourg-Gottéron ait sauvé ce qu’il reste à sauver. «En play-out, tu te retrouves avec des gens que tu n’aimes pas forcément sur un bateau et tu ne peux pas en descendre. Alors tu avances, coûte que coûte. Et tu règles tes comptes une fois le bateau amarré à bon port.» Soit, si tout va bien pour les Dragons, après le 14 mars.

 

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«Un bateau en pleine tempête»
Bruno Knutti est le préparateur physique de Fribourg-Gottéron depuis de nombreuses années. Il vit ses deuxièmes play-out. «Dans les tours contre la relégation, c’est la peur qui dirige les joueurs. Ça change tout. Parce que personne n’a envie d’être celui qui commet l’erreur qui coûte la victoire.»
Pour le Singinois, le rôle des dirigeants est très important: «Ils doivent chercher le dialogue avec les joueurs, leur demander de jou­er pour le maillot et leur faire comprendre qu’ils se­ront attentifs à qui se montrera courageux, qui va être motivé à sauver le club. Les mettre devant leurs responsabilités, c’est renforcer la position du coach en montrant qu’il ne sera pas tenu responsable de tout en cas d’échec.»
Et de se souvenir d’une série de play-out disputée à la grande époque de Bykov (père) et Khomutov. «Slava avait pris la parole pour stimuler les autres, pour garder une certaine sérénité dans l’équipe. Il n’était pas seulement un joueur magnifique. Socialement, c’est un homme très fort, une vraie aide pour le coach. Cette saison, on n’a pas eu ce genre de leader.»
Le préparateur physique confirme le climat étouffant qui règne en play-out. Et pour lui, il manque un homme fort à Fribourg-Gottéron. «J’ai parfois l’impression que nous sommes un bateau pris en pleine tempête, avec personne pour tenir la barre. Il y a eu le changement de coach, et donc de direction sportive, la démission du président et Michel Volet qui reprend l’intérim pour la deuxième fois. Mais on ne sait pas s’il sera toujours là l’année prochaine. Je ne dis pas que le conseil d’administration a fait faux. C’est juste que nous avons tout eu cette saison. Alors que pour avancer dans la sérénité il faut quelqu’un qui tienne la baraque, qui ait une vision d’a­ve­nir. Depuis trente ans que je suis dans le hockey, j’ai pu voir qu’une équi­pe a toujours besoin d’une direction forte.»
Bruno Knutti espère que le club tirera des leçons de cette saison ratée, pour pouvoir «annoncer aux médias, aux fans et aux joueurs que les enseignements ont été tirés». Et quels sont ces enseignements? «Il faut instaurer plus de concurrence au niveau des cadres. Là, il n’y avait pas de concurrence naturelle. Et nous avons trop tiré sur la corde avec certains joueurs blessés, qui ont été surchargés. On a vraiment mal géré ça. Enfin, le plus important, c’est que cette saison il y a énormément de talents, mais ils n’ont jamais joué en équipe. A l’avenir, il ne faudra plus engager quelqu’un seulement sur la base de ses statistiques. Mais aussi sur ses qualités d’homme et son caractère.»

 

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«Un bateau en pleine tempête»
Bruno Knutti est le préparateur physique de Fribourg-Gottéron depuis de nombreuses années. Il vit ses deuxièmes play-out. «Dans les tours contre la relégation, c’est la peur qui dirige les joueurs. Ça change tout. Parce que personne n’a envie d’être celui qui commet l’erreur qui coûte la victoire.»
Pour le Singinois, le rôle des dirigeants est très important: «Ils doivent chercher le dialogue avec les joueurs, leur demander de jou­er pour le maillot et leur faire comprendre qu’ils se­ront attentifs à qui se montrera courageux, qui va être motivé à sauver le club. Les mettre devant leurs responsabilités, c’est renforcer la position du coach en montrant qu’il ne sera pas tenu responsable de tout en cas d’échec.»
Et de se souvenir d’une série de play-out disputée à la grande époque de Bykov (père) et Khomutov. «Slava avait pris la parole pour stimuler les autres, pour garder une certaine sérénité dans l’équipe. Il n’était pas seulement un joueur magnifique. Socialement, c’est un homme très fort, une vraie aide pour le coach. Cette saison, on n’a pas eu ce genre de leader.»
Le préparateur physique confirme le climat étouffant qui règne en play-out. Et pour lui, il manque un homme fort à Fribourg-Gottéron. «J’ai parfois l’impression que nous sommes un bateau pris en pleine tempête, avec personne pour tenir la barre. Il y a eu le changement de coach, et donc de direction sportive, la démission du président et Michel Volet qui reprend l’intérim pour la deuxième fois. Mais on ne sait pas s’il sera toujours là l’année prochaine. Je ne dis pas que le conseil d’administration a fait faux. C’est juste que nous avons tout eu cette saison. Alors que pour avancer dans la sérénité il faut quelqu’un qui tienne la baraque, qui ait une vision d’a­ve­nir. Depuis trente ans que je suis dans le hockey, j’ai pu voir qu’une équi­pe a toujours besoin d’une direction forte.»
Bruno Knutti espère que le club tirera des leçons de cette saison ratée, pour pouvoir «annoncer aux médias, aux fans et aux joueurs que les enseignements ont été tirés». Et quels sont ces enseignements? «Il faut instaurer plus de concurrence au niveau des cadres. Là, il n’y avait pas de concurrence naturelle. Et nous avons trop tiré sur la corde avec certains joueurs blessés, qui ont été surchargés. On a vraiment mal géré ça. Enfin, le plus important, c’est que cette saison il y a énormément de talents, mais ils n’ont jamais joué en équipe. A l’avenir, il ne faudra plus engager quelqu’un seulement sur la base de ses statistiques. Mais aussi sur ses qualités d’homme et son caractère.»

 

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«Chacun veut sauver sa peau»
Arbitre de LNA pendant douze ans, le Québécois Stéphane Rochette n’aime pas du tout les play-out. «Le climat est délétère, très négatif à tous les niveaux. Les joueurs n’ont pas envie d’être là. Les coaches sont au bout du rouleau parce qu’ils ont peur pour leur job et les dirigeants sont très nerveux. Les gradins sont vides, le peu de public présent est fâché. Prenez le cas de Gottéron: si Sprunger et Bykov ne marquent pas, les fans seront vraiment mécontents. Et s’ils marquent des buts, tout le monde va dire “ben c’est le moment qu’ils se réveillent!” Franchement, les play-out, ce n’est pas très glamour. Personnellement, je suis contre cette idée de relégation. C’est un système complètement dépassé qui n’arrange que les grands clubs. Pour se sauver, les “petits” sont obligés de faire des folies au lieu de se concentrer sur la formation.»
Pour les arbitres aussi, la pression est grande: «Gagner un titre de champion, c’est bien. Mais dans un tour contre la relégation, c’est l’avenir du club qui est en jeu. Ce qui veut dire des millions de francs, des postes de travail… En tant qu’arbitre, des erreurs, j’en faisais trois ou quatre par saison. Il m’est arrivé de me dire, avant ce genre de match: “Steph, ce n’est pas le soir pour en faire une”.»
Stéphane Rochette se dit impressionné par l’état d’anxiété constaté chez les acteurs des play-out. «J’ai vu des coaches dans un état pas possible, avec des cernes jusqu’aux coudes. Je me disais qu’ils ne devaient plus dormir la nuit, ou alors sous somnifère. En discutant un peu avec eux, certains se confiaient à moi pour me dire l’enfer qu’ils vivaient au quotidien. Dans ces situations, tout le monde quitte le navire. Les fans en premier. Tandis que dans l’entourage du club, entraîneurs, joueurs et dirigeants, chacun cherche à sauver sa peau. C’est-à-dire son poste, son salaire et sa réputation. Pour qu’on ne puisse pas dire que c’est à cause de lui que l’équipe est reléguée. C’est la misère. Bon, gagner 600000 francs pour jouer des play-out, c’est une misère relative…»
Le climat étouffant peut aussi faire dépasser la ligne rouge à certains. «Il y a quelques années, un ancien président d’Ambri avait fait des déclarations très virulentes à l’encontre des arbitres dans la presse. Quand il a su que j’allais arbitrer son club le soir même, il m’a appelé et m’a expliqué qu’il n’en pensait pas un mot. Mais qu’il avait été obligé de tenir ces propos, tellement les fans étaient furax contre le club, qu’ils accusaient de ne rien faire. Ce soir-là, même le capitaine d’Ambri est venu s’excuser et m’a promis qu’aucun joueur ne me créerait le moindre problème.» L’arbitre avait quand même dû être évacué en fourgon blindé.

 

 

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