Les migrants des Passereaux

| mar, 17. mar. 2015
Depuis vingt-sept ans, l’ancienne colonie des Passereaux héberge des requérants d’asile à Broc. Le 12 octobre 1988, la séance d’information organisée par la Croix-Rouge avait fait salle comble à l’Hôtel de Ville.

PAR JEAN-BERNARD REPOND

L’annonce de l’ouverture d’un centre de requérants d’asile sur le territoire de notre commune a constitué une très grande surprise, se souvient Bernard Comte qui était syndic de Broc à cette époque. Nous avons appris la nouvelle presque en même temps que nos concitoyens, par le pro­priétaire de la colonie des Pas­sereaux. Avec mes collègues conseil­­lers, nous avons assisté à cette séance d’information animée par la Croix-Rouge fribourgeoise qui remplissait sur mandat de l’Etat la mission d’accueil et d’encadrement des requérants d’asile.» Cependant, l’Exécutif brocois a d’emblée pris le parti de la modération. «La Loi était claire, poursuit l’ancien syndic, nous n’avions aucune possibilité de nous opposer.» Contrairement à ce qui s’est passé à Chevrilles, l’attitude des autorités locales a facilité l’extinction de «feux passionnels».


La population se mobilise
Remontée face à ce qui était ressenti comme un «diktat», la population s’est mobilisée. Et comme souvent dans ce genre de situation, les avis tranchés, ceux qui s’expriment à l’arme lourde, ont étouffé le murmure des rares qui auraient souhaité préconiser des sentiments d’ouverture. Bernard Comte a en mémoire la position très minoritaire et courageuse prise en fin de soirée par le curé de la paroisse, l’abbé-prieur Joye, qui s’offusquait que l’on puisse parler d’êtres humains en des termes aussi durs que «déchets toxiques et fainéants»: «Alors qu’il sollicitait la compassion de la population pour des gens venus d’ailleurs, démunis et souvent coupés de leurs familles, un citoyen connu pour ses excès de langage l’a stoppé net dans son intervention et l’a invité à tous les accueillir dans sa cure.»
Deux semaines plus tard, le 1er novembre, lorsque les premiers des soixante requérants d’asile annoncés sont arrivés aux Passereaux, tous les yeux ont lorgné du côté de la route de Motélon. Emu par le compte rendu fait de cette assemblée par la presse régionale, Bernard Tétard qui était représentant dans le milieu de l’hôtellerie après avoir été tenancier du Moderne, à Bulle, s’est annoncé pour travailler bénévolement quelques heures par semaine au centre. «On m’a d’emblée proposé un contrat de durée limitée comme collaborateur social, explique-t-il. Je suis arrivé aux Passereaux au début novembre 1988 alors qu’arrivaient les premiers requérants d’asile. J’y ai découvert un monde dont j’ignorais tout.» Bernard Tétard a quitté le milieu de la restauration et, de fil en aiguille, a gravi les échelons de l’administration spécialisée dans la problématique des requérants d’asile. Depuis 2005, il occupe le poste de délégué cantonal à l’intégration des migrants.


Les Italiens de la «fabrique»
Avec le recul, Bernard Comte constate que les craintes exprimées avant l’ouverture du centre des Passereaux se sont rapidement dissipées: «Les Brocois avaient appris depuis des décennies à vivre avec des étrangers. Dès le début du XIXe siècle, c’est par centaines que la fabrique Nestlé a recouru à de la main-d’œuvre étrangère, italienne en particulier.»
Bernard Comte imagine que des peurs généralement primaires s’étaient déjà en partie dissoutes dans l’expérience d’un vécu.
Reste que l’arrivée des premiers requérants d’asile a été observée avec attention et pas mal de préjugés. Pour le personnel d’encadrement, la vigilance était de mise, comme l’explique Bernard Tétard: «Nous savions bien que le moindre chapardage dans un magasin pouvait immédiatement nuire à l’image du centre. Nous veillions dès lors au grain.» Peu à peu, des liens de confiance ont été tissés avec la population, en particulier avec le voisinage. Le paysan du coin a compris qu’il avait gagné un client supplémentaire pour l’écoulement de son lait. Des contacts se sont progressivement noués. «Dans le fond, les choses se sont passées beaucoup mieux que tout ce qu’on aurait pu imaginer, admet Bernard Comte. Au fil des années, la population s’est habituée à voir défiler dans le village des personnes provenant d’ethnies très diversifiées et qui étaient l’illustration  d’endroits du monde marqués par la guerre ou d’autres difficultés.» Ainsi y a-t-il eu la période des Tamouls du Sri-Lanka, puis des Libanais, des Roumains après la chute du Mur, des réfugiés des Balkans, des Kurdes et aujourd’hui les personnes proviennent surtout de Syrie, d’Irak et d’Erythrée.
Les commerçants et les médecins du village ont favorisé à leur manière l’acceptation de la transformation de l’ancienne colonie des Passereaux en centre de requérants d’asile. L’estimé docteur Joye a dit un jour à Bernard Tétard sa satisfaction d’être reconnu comme un de nos médecins de référence. «C’est extraordinaire de soigner une telle population car je découvre des maladies qu’on ne connaît pas chez nous!»


Commerçants conciliants
Les commerçants ont joué le jeu aussi. «Le gérant de la Coop, par exemple, nous avertissait lorsqu’il était témoin d’un comportement inadéquat. Un jour, il m’a téléphoné pour me faire remarquer qu’un de nos pensionnaires avait volé une bouteille de vin. J’avais été frappé par ce qui me semblait être sa première préoccupation. Il me fit: «Il est en train de boire à la bouteille devant le magasin. A mon avis, il doit avoir un problème psychique, vous devriez voir la chose»…

 

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Autres temps, autres normes
En l’espace de vingt-sept ans, plus de 4500 personnes ont séjourné aux Passereaux. Plus de cent nationalités y ont été répertoriées.
Et qu’en est-il des aides financières dispensées? Bernard Tétard est à la fois précis et catégorique sur ce point: «Contrairement à un sentiment général véhiculant l’idée de requérants d’asile maternés, il faut savoir que les aides financières complétant leur accueil se sont considérablement détériorées au fil des années. En 1988, l’aide sociale était de 20 francs par jour et par personne adulte, à quoi s’ajoutaient 5 francs d’argent de poche et 30 francs par mois pour l’habillement, soit 25 francs au total par jour et par personne. Cette aide est tombée aujourd’hui à 12 francs tout compris par jour et par personne adulte.» JBR

 

 

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