A la rescousse des grenouilles qui se perdent en route

| mar, 07. avr. 2015
Des milliers d'amphibiens meurent chaque année sur les routes pendant leur période de migration printanière. des bénévoles se mobilisent. Notamment dans l'Intyamon.

PAR FRANCOIS PHARISA

Le jour n’est pas encore levé que s’affaire déjà une petite silhouette au bord de la route, entre Enney et Villars-sous-Mont. Un gilet réfléchissant sur les épaules, un bidon et une lampe de poche dans les mains, les cheveux soufflés par les camions qui déboulent à toute allure, Stéphanie Rumo remplit sa mission hebdomadaire: elle sauve crapauds, grenouilles et tritons. «Même des souris, des hérissons parfois», relève avec un grand sourire la jeune Gruérienne de 28 ans.
La tâche est ardue. Les candidats à la mort se chiffrent par milliers. Tous les ans, quand les températures atteignent 4° C, généralement par temps pluvieux, les amphibiens quittent leur cachette hivernale pour entamer une périlleuse marche migratoire. Ils rejoignent la mare ou l’étang qui les a vus naître pour se reproduire. Si certaines espèces sont certes terrestres, un plan d’eau leur est nécessaire pour pondre. Mais beaucoup ne parviennent pas à destination à cause du trafic routier.
Afin d’éviter l’hécatombe, le Service de la nature et du paysage du canton (SNP) et le Karch (Centre de coordination pour la protection des amphibiens et des reptiles de Suisse) mettent en place, vers la fin février, des bâches sécurisant le voyage de ces animaux. Celles-ci, hautes de 40 cm, ne seront démontées qu’à la mi-avril. Quand le gros de la migration sera passé.
Dans le canton, 13 sites sont ainsi équipés. «Ils sont contrôlés par un bénévole tous les matins», indique Stéphanie Rumo, planificatrice financière de profession, qui participe à l’opération pour la troisième année consécutive. Comme elle, ils sont une centaine à voler à la rescousse des grenouilles et de leurs cousins.


Lenteur coupable
Ce matin-là, coincée entre le talus et la route cantonale, Stéphanie Rumo relève méthodiquement chacun des 24 seaux, enterrés au niveau du sol à intervalles réguliers le long des 380 m de barrière.
Dans le quatorzième récipient, un batracien est immobile, comme inanimé. Elle le saisit à mains nues et lui ôte la terre qu’il a sur la tête. «C’est un crapaud commun (Bufo bufo), l’espèce la mieux représentée sur le site.» Comme le révèlent les deux panneaux informatifs plantés à proximité, c’est aussi l’espèce qui souffre le plus du trafic routier. Il ne leur faut pas moins de quinze à vingt minutes pour traverser une route de sept mètres de large.


Course contre la montre
Dans la main de son ange gardien, le rescapé, craintif, n’esquisse pas le moindre mouvement. «Sa peau est asséchée, malgré les averses de la nuit», remarque Stéphanie Rumo, qui s’empresse d’humidifier l’animal et de l’emmener de l’autre côté de la route. Là, elle le dépose dans la pente et le recouvre minutieusement de feuilles. «Il est encore endormi. Les corbeaux le savent.»
Ses esprits retrouvés, le crapaud n’aura plus qu’une dizaine de mètres à crapahuter avant de plonger la tête la première dans l’une des mares proches. Il pourra alors déposer ses œufs en toute quiétude.
«Malheureusement, on n’est pas toujours assez rapides. Ils leur arrivent parfois de pondre avant d’avoir atteint la mare.» C’est que ces messieurs sont pressés! Il n’est pas rare en effet de les retrouver sur le dos des femelles, déjà dans les seaux.


Préférence pour la plaine
L’exercice est répété à cinq reprises, pour quatre crapauds communs et une grenouille rousse (Rana temporaria). Maigre récolte. «C’est qu’on est déjà en montagne ici, rigole-t-elle. A Echarlens, on en ramasse beaucoup plus.» Les premières lueurs perçant enfin l’épaisse couverture nuageuse, Stéphanie Rumo remonte dans sa voiture. L’opération sauvetage a duré une trentaine de minutes. «On rentre le sentiment du devoir accompli.»

 

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Sauver 10000 amphibiens

De multiples dangers guettent les grenouilles et les crapauds: la raréfaction de leurs lieux de ponte, les substances toxiques présentes dans l’environnement, les maladies fongiques et le trafic routier. C’est pourquoi toutes les espèces d’amphibiens sont protégées au niveau fédéral. Parmi les 16 espèces que compte le canton, sept sont concernées par l’opération sauvetage coordonnée par le Service de la nature et du paysage (SNP).
Certaines d’entre elles figurent sur la liste rouge des espèces menacées dressée par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Il s’agit du crapaud commun (Bufo bufo) et du triton palmé (Lissotriton helveticus), étiquetés comme «vulnérables», ainsi que du triton lobé (Lissotriton vulgaris) et crêté (Triturus cristatus), considérés, tous deux, comme «en danger».
«D’où l’importance de la mise en place de dispositifs sécuritaires visant à la protection de leur migration», justifie Guy Rochat, responsable de cette action de sauvetage auprès du SNP. Ces mesures et le dévouement des bénévoles semblent porter leurs fruits.
Ainsi que le révèle le rapport annuel 2014 du Karch, le Centre de coordination pour la protection des amphibiens et des reptiles de Suisse, près de 13400 grenouilles, crapauds et tritons ont été sauvés d’une mort probable sur le territoire fribourgeois.
«Une année à grenouilles, commente Guy Rochat. Dès février, il avait beaucoup plu et les températures étaient relativement douces.» Des conditions météorologiques idéales pour que les amphibiens sortent de leur léthargie hivernale. Si la météo ne le permet pas, il leur arrive de ne simplement pas migrer. «Il est donc difficile d’estimer l’efficacité du système de protection d’une année à l’autre.»
Les rapports 2012 et 2013 font état respectivement de 8500 et de 10100 batraciens sauvés. «Cette année, nous espérons également le sauvetage de plus de 10000 individus.» FP

 

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