Il a touché à la version du «Ranz des vaches» de l’abbé Bovet

mar, 30. juin. 2015

Le compositeur fribourgeois Gonzague Monney a présenté un nouvel arrangement du Ranz des vaches lors de la Fête suisse du chant à Meiringen. Si la pièce a séduit le public lors de son interprétation, ses accents jazzy suscitent depuis des réactions virulentes sur le net.

PAR JONATHAN DONZALLAZ

«Un vrai massacre», «je trouve ça très moche», «dommage d’essayer de cloner une si belle œuvre»… Depuis quelques jours, le compositeur Gonzague Monney essuie les critiques dans différentes publications sur Facebook. Son crime? Avoir osé toucher au Ranz des vaches, hymne revendiqué par tout un canton. Et qui plus est pour en donner un arrangement jazzy!
A 33 ans, l’habitant de Marly présente une activité musicale prolifique. En plus d’assurer la direction de quatre chœurs, le mélomane s’adonne aussi à la composition, avec une cinquantaine de pièces à son actif. Mais quelle mouche a donc piqué ce père de deux enfants pour commettre un tel «sacrilège»?
«Il s’agissait en fait d’une commande de la Fédération Suisse Europa Cantat (FSEC) pour la Fête suisse de chant à Meiringen», répond l’intéressé. Il y a un an environ, en prévision d’un atelier réunissant trois des meilleurs chœurs de jeunes du pays, la FSEC commande au Fribourgeois l’arrangement revisité d’un chant traditionnel romand.
«Ma première idée était de prendre un chant peu connu, dans l’idée de peut-être le faire connaître par mon arrangement», révèle Gonzague Monney. Après de longues recher-ches et plusieurs essais, il re-
voit son intention première et porte finalement son choix sur Le ranz des vaches. «J’y ai tout de suite trouvé quelques harmoniques intéressants.»
Tandis que certains l’accusent de profaner l’arrangement de l’abbé Bovet, Gonzague Monney clame son immense respect pour le célèbre Gruérien, en mettant en avant la fidélité de son travail. «Je n’ai pas changé une note, pas une parole.» Et d’assurer qu’il y a mis tout son soin et son application. «C’est une œuvre aboutie, j’en suis très satisfait.»


Accueils contrastés
Le premier écho qu’a reçu la pièce a d’ailleurs été sans appel: «A Meiringen (n.d.l.r.: la pièce y a été présentée le 20 juin dernier), Gonzague Monney a reçu une standing ovation!» confirme Thierry Dagon, autre chef de chœur fribourgeois et président de la commission de musique de l’Union suisse des chorales. «On m’a même demandé de signer quelques autographes sur des partitions!» s’exclame Gonzague Monney, peu habitué à l’exercice.
C’est sur internet que les reproches de toutes sortes se sont mis à fleurir. Un contraste saisissant. «Mais je savais qu’avec cette œuvre j’allais m’attirer les critiques, reconnaît le compositeur. Je comprends que cela ne plaise pas à tout le monde.»
Parmi les faits incriminés, le choix d’un arrangement jazzy. «Je ne voulais pas faire du sous-Bovet», s’explique Gonzague Monney. D’où la nécessité de choisir une coloration nouvelle. «J’ai toujours aimé le jazz et ce langage me semblait bien convenir à ce chant qui dégage calme et sérénité.» Au passage, l’artiste s’amuse des commentaires qui lui reprochent la trop grande modernité de l’arrangement, le jazz existant déjà à l’époque de Bovet…


Un chant intouchable?
«En fait, Gonzague Monney a fait la même démarche que l’abbé Bovet à son époque», lance Thierry Dagon, qui rappelle que le chant a une histoi-re bien plus longue que la version du chanoine gruérien. Et l’artiste de s’étonner que l’abbé Bovet semble intouchable, à une époque où les plus grands classiques sont remixés par certains DJ. «L’abbé Bovet est un personnage estimable et respectable. De là à l’élever ainsi, je ne sais pas.»
Intouchable, l’abbé Bovet? «Certaines choses se suffisent à elles-mêmes sans qu’on les transforme», réagit sur internet un ténor de la région.
Un point de vue partagé par Michel Corpataux, directeur du Chœur des armaillis de la Gruyère: «Il y a des choses qu’on ne touche pas! Le ranz des vaches est une institution.» Le Riazois précise qu’il n’a pas encore entendu l’arrangement de Gonzague Monney. Mais que d’autres s’y sont essayés avant lui, sans que cela apporte grand-chose. En somme, la démarche serait un peu vaine. Un point de vue que Thierry Dagon ne partage pas: «Pour moi, c’est faire de l’intégrisme de la musique populaire!»
Au final, ce n’est sans doute pas dans les arguments de la raison, mais dans ceux du cœur qu’il faut chercher une réponse. Rousseau l’évoquait déjà, lorsqu’il parlait du Ranz dans son Dictionnaire de musique en 1767: «On chercherait en vain dans cet air les accens énergiques capables de produire de si étonnans effets. Ces effets, qui n’ont aucun lieu sur les étrangers, ne viennent que de l’habitude, des souvenirs, de mille circonstances.»


S’attaquer à un symbole
Peu importe finalement de savoir que l’abbé Bovet n’a été «qu’un» arrangeur du chant – de génie, certes. Répétée à l’envi, présente dans tous les souvenirs, c’est bien sa version qui produit désormais «de si étonnans effets». Et prend aux tripes une génération souvent bien étrangère à la vie de l’armailli d’antan.
En choisissant Le ranz des vaches, Gonzague Monney savait qu’il s’attaquait à un symbole fort. Agitateur en quête d’attention pour les uns, compositeur innovant pour les autres, le Fribourgeois n’a pas fini de créer l’émoi avec sa version du Ranz. Quitte à subir quelques remarques… un peu «vaches»!

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A Vevey aussi, il divise

Le ranz des vaches ne résonne pas que dans les Préalpes. Tous les vingt ans environ, ses échos enchantent également le public de la Fête des vignerons, à Vevey. Créée en 1797, la fête intègre dès sa deuxième édition, en 1819, le fameux chant des armaillis.
Depuis, Le ranz des vaches est devenu l’un des moments les plus attendus du spectacle, chaque interprète ayant marqué à sa manière sa génération.
Pour beaucoup, le chant a atteint sa perfection avec la mythique version de Bernard Romanens, lors de l’édition de 1977. En 1999, c’est chargé de ce souvenir encore bien vif que le public attend l’arrivée du soliste, Patrick Menoud.
Si son interprétation est irréprochable, l’arrangement du chant, réalisé par Jost Meier, est loin de faire l’unanimité.

La musique du compositeur est jugée trop contemporaine, en totale rupture avec la simplicité poignante de l’édition précédente. «La version de Jost Meier est pourtant bien plus proche de l’esprit d’origine que la version de Bovet», répond Thierry Dagon, qui, en mélomane, la trouve pour sa part «magnifique». Mais déjà, le cœur du public avait parlé, la valeur musicale de l’arrangement n’étant finalement qu’un argument mineur…

Une chose est sûre: lors de la prochaine Fête des vignerons en 2019, Le ranz des vaches sera à nouveau
au programme. Et, peut-être, au centre des débats. JD

 

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Une histoire faite d’évolutions


L’origine du Ranz des vaches se perd dans la nuit des temps. Selon la Fédération fribourgeoise des costumes et coutumes, le chant est sans doute né avant le XVe siècle, à l’instar des Kühreihen alémaniques.
En 2001, un brocanteur du Pays-d’Enhaut, Albert Visinand, annonce la découverte d’une partition du Ranz des vaches datée du milieu du XVIe siècle. Le document nous apprend que l’auteur du chant serait un certain Frère Angelo, moine de la Part-Dieu. La trouvaille confirmerait ainsi l’intuition de Jules Nidegger, auteur d’une étude sur le Ranz en 1984: «Les paroles sont trop bien agencées pour ne pas sortir d’une plume cultivée.» Hormis cette partition, les premières traces écrites du Ranz datent de la fin du XVIIe siècle. Dans une thèse de 1688, Johannes Hofer note que, à l’écoute de ce chant, les Suisses servant à l’étranger sont frappés d’un delirium melancholicum qui les pousse à la désertion! Une observation reprise par Jean-Jacques Rousseau dans son Dictionnaire de musique (1767).


De multiples versions
Mais, plus qu’un chant unique, l’appellation Ranz des vaches regroupe jusque-là un ensemble de variantes qui s’étalent de l’Emmental au Jorat. Le chant commence à se fixer avec la première publication du Ranz des vaches gruérien – Lè j’armayi di Kolonbètè – en 1813. Elle est l’œuvre du doyen Bridel, un pasteur et historien vaudois.
L’air et les paroles restent cependant sujets à des évolutions. Ainsi, «même l’abbé Bovet, dans Nos chansons (1911), recompose partiellement le texte», observe Jules Nidegger, qui ajoute qu’«aucune version n’est intouchable».
Musicalement, pour Thierry Dagon, «l’abbé Bovet a paré le thème d’une harmonie romantique certes valable, mais qui n’a rien à voir avec l’original». Un constat qui n’enlève rien au talent du Gruérien, mais qui montre bien que notre conception traditionnelle de ce chant a, en fin de compte, un côté artificiel. JD

Commentaires

J'ai écouté la version de M. Monney et je la trouve plutôt froide et désincarnée. Elle ne provoquerait en tout cas pas chez moi une sorte de delirium melancholicum si je vivais sur un autre continent puisqu'elle ne me fait aucun effet au pays des Colombettes. Je n'ai cependant rien contre une actualisation de ce chant mais il faut remettre l'ouvrage sur le métier et j'avoue que j'en serais bien incapable, donc reconnaissons à M. Monney qu'il a eu le mérite d'essayer. Qu'il persiste donc...

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