«Je me réjouis de retrouver un peu de liberté et de temps»

| jeu, 30. jui. 2015

Patrick Aebischer a annoncé ce printemps son souhait de ne pas reconduire son contrat au sein de l’EPFL. Le Fribourgeois d’origine quittera sa fonction de président en décembre 2016. Il évoque pour La Gruyère les années écoulées et à venir, pour lui et pour l’école, dont il a modifié l’image durant les dix-sept ans passés à sa tête.

PAR SOPHIE MURITH

Entre la création de la Faculté des sciences de la vie, le partenariat culturel avec le Montreux Jazz, la remodélisation du campus avec notamment des projets comme le Rolex Learning center, symbole d’un rapport décomplexé aux entreprises, Patrick Aebischer a marqué de son empreinte l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
 
Au moment où vous quitterez l’EPFL, en décembre 2016, vous aurez passé dix-sept ans à sa tête. Qu’en retiendrez-vous?
S’il ne fallait en garder qu’une seule réalisation, je conserverais le Rolex Learning center. On peut l’aimer ou pas esthétiquement. Mais il est à mon goût et les étudiants l’ont adopté. Il est aussi le symbole d’une ouverture que nous avons voulue. Il existait une dizaine de bibliothèques. Elles ont été regroupées en une seule. Je le considère comme une anticipation de la formation au XXIe siècle, tenant compte de la révolution numérique et du besoin des étudiants de travailler en groupe. Mais c’est très réducteur de ne garder qu’une seule chose.
 
Dans ce cas, que vous revient-il encore à l’esprit?
Plus technique, mais probablement le plus important, a été notre choix de faire venir de jeunes scientifiques et de leur donner une indépendance très tôt. Ce qui existait aux Etats-Unis, mais pas chez nous. Beaucoup de professeurs brillants, beaucoup de femmes, sont venus à l’EPFL. Faire confiance aux jeunes, leur donner de l’autonomie a permis à l’EPFL d’augmenter sa production scientifique, sa visibilité.
 
Sous votre ère, l’EPFL est passée de 4800 à 10000 étudiants. Cette volonté de croissance était-elle une nécessité?
Oui. Les grandes universités comptent entre 10000 et 20000 étudiants, donc nous étions en dessous de la taille critique. La différence essentielle concerne les doctorants. A l’époque, ils étaient 600, maintenant 2000. Il y avait 100 postdoctorants, maintenant il y en a 1000. La stratégie a été modifiée pour passer d’une bonne école d’ingénieurs à une université technique de classe mondiale.
 
L’EPFL est considérée comme l’université la plus internationale avec 125 nationalités représentées sur le campus. Cinquante pour cent de vos étudiants sont étrangers. Une ten­dance qui va encore s’accentuer?
Non. J’aimerais bien que ce niveau soit maintenu. L’EPFL a une taille idéale. Et j’aimerais que la moitié des étudiants restent des Suisses.
 
Lorsque vous parlez de maintenir une moitié d’étudiants suisses, vous parlez surtout des années bachelor...
Au bachelor, il y a plus de Suisses, entre 55 et 60%, et au niveau doctoral ils ne représentent plus que 30% des effectifs. Il faut que cette école reste ancrée dans le terreau suisse, et a fortiori suisse romand. S’il n’y avait que des étrangers, on aurait un problème. Il faut conserver ce bon équilibre. Et je pense qu’aujourd’hui l’école l’a atteint, que ce soit en taille ou en proportion.


Le taux d’échec croissant des élèves vous inquiète-t-il?
Dieu sait l’importance que je porte aux sciences humaines, mais je pense que le niveau mathématique de la maturité est insuffisant. Les gymnases ont la responsabilité de permettre aux élèves d’avoir le niveau requis.
 
Existe-t-il des disparités selon l’origine cantonale des élèves?
Il existe des différences entre cantons. Avec une année de plus d’une formation encore classique, en comparaison à d’autres cantons romands, Fribourg s’en sort bien.
 
Quelle importance tient la place de l’EPFL dans les différents classements des universités mondiales?
Nous avons été nommés numéro un des universités créées dans les cinquante dernières années, devant les Asiatiques. Aujourd’hui, nous sommes placés dans les cent meilleures dans tous les classements, en moyenne, dans les vingt ou trente premières. En rapport aux dizaines de milliers d’universités dans le monde, c’est remarquable. La Suisse place cinq universités dans les meilleures, dont deux écoles polytechniques dans le peloton de tête. Ces classements nous aident à nous faire connaître au niveau mondial et à faire venir les meilleurs étudiants ainsi que les meilleurs professeurs.
 
Dans ce sens-là, la votation du 9 février doit être inquiétante…
C’est une catastrophe. C’est comme si on disait à Federer qu’il ne peut jouer qu’à Gstaad et pas à Wimbledon. Avec nos 70% de doctorants étrangers, nous n’arriverons pas à compenser avec des Suisses. Il n’y en aura pas assez. Sans parler des moyens offerts par les fonds européens. Nous restons une école européenne dans sa culture. Nous avons été exclus, puis réintégrés jusqu’à la fin 2016.
J’allais vous poser la question de savoir comment vous voyez l’EPFL dans dix ans. Il y a donc deux hypothèses...
Elle pourra être l’une des meilleures écoles du monde. Mais, si les quotas s’appliquent aux étudiants, les deux écoles polytechniques redeviendront des écoles régionales. Cela n’arrivera pas en un jour, mais cette lente érosion est dangereuse. Nous n’avons pas les ressources humaines pour pouvoir entrer en compétition au niveau mondial.
 
Ce dernier mois, plusieurs affai­res ont secoué l’EPFL, comme le détournement de fonds pour le Blue Brain project...
Vous savez, l’EPFL est une ville. Quelqu’un qui aurait pris dans la caisse d’un projet, malheureusement, ça arrive. Nous essayons de tout faire pour prévenir ce genre de situations.
 
Et les dépassements de 20 millions de francs pour la construction du nouveau bâtiment de mécanique?
L’augmentation des coûts s’explique essentiellement par l’évolution de l’affectation de ce bâtiment pendant le chantier. Elle résulte notamment de la décision prise en 2013 d’installer le Centre de neuroprothèses au Campus Biotech, à Genève. Avec cette réaffectation, nous avons pu inclure dans le bâtiment de mécanique de nouvelles surfaces pour les travaux pratiques des étudiants. Ces modifications ont ainsi permis de renoncer à la poursuite du projet de cons­truction d’un nouveau bâtiment pour les travaux pratiques (projet Teaching Bridge). Au final, nous aurons donc fait des économies. Mais au niveau fédéral, les règles sont très strictes et parfois difficiles à concilier avec la nécessité d’entreprendre.

Quel serait votre rêve pour l’EPFL?
Plus d’indépendance. On nous demande un exercice d’équilibriste. Nous apprenons que les budgets pour 2017-2018-2019 ne vont pas être augmentés. Une université qui n’a pas de croissance ne peut pas investir dans les nouveaux domaines. J’entends que l’Etat ne peut pas le faire, mais il faut alors nous laisser créer des partenariats publics-privés et chercher des donateurs. Le désir de connaître est fondamental chez l’homme. Aucun système ne peut l’arrêter et il faut s’assurer que le monde politique ne s’immisce pas dans les sujets scientifiques.
 
Est-ce une problématique récente?
De tout temps, cela a existé. Nous devons être autorisés à chercher sur tous les sujets. C’est aussi ça l’indépendance académique. L’application en revanche, c’est différent. Mais il est très dangereux de vouloir mettre des barrières à l’investigation scientifique.
 
Pourquoi avez-vous pris la décision de quitter l’institution maintenant?
Je me réjouis de retourner à la vie académique, d’enseigner jusqu’à 65 ans. Initialement, je ne voulais pas ce job de président. J’ai beaucoup aimé servir l’institution, mais je me réjouis de retrouver un peu de liberté et de temps. Pour la musique notamment. Je suis récemment entré à la fondation du Festival de Verbier. Je suis un fou de musique. Mon père Yoki, malgré sa maladie d’Alzheimer, a continué de peindre jusqu’à la fin. Quand on est passionné, il n’y a pas de retraite.

 

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Laisser le temps au temps


L’EPFL s’est aussi développée dans le reste de la Suisse romande avec des antennes à Neuchâtel, à Genève, en Valais et à Fribourg. Il fallait partager le fruit de vos succès?
Par définition, une école polytechnique a un impact économique très important. Les jobs à haute valeur ajoutée viennent des domaines de la technologie de pointe. Il faut en faire profiter l’ensemble de la Suisse romande. Mais il faut aussi s’adap­ter aux tissus économiques régionaux. A Neuchâtel, avec l’héritage de l’horlogerie, il était logique d’implanter la microtechnique. En Valais, ils ont l’eau, le soleil et le vent, à eux donc l’énergie. A Genève, nous avons pu avoir cette occasion incroyable avec les anciens bâtiments de Merck Serono et la création du Campus Biotech. Fribourg était différent, car son économie est moins typée. D’une part, il y a la tradition de l’alimen­tation et, d’autre part, la construction. Il était important que ces implantations soient faites en synergie avec les universités et les hautes écoles. La HES de Fribourg propose des cursus de génie civil et d’architecture et le droit de la construction est un domaine de compétence de l’Université de Fribourg. D’où notre choix d’implanter le Smart Living Lab à Blue Factory.
 
Certains estiment que Blue Factory est une coquille vide ou que ces pôles d’innovation sont inadaptés aux besoins futurs...
La construction et l’architecture durable, qui sont au cœur du projet Smart Living Lab, sont assurément des thémati­ques porteuses. La création du site fri­bour­­geois, hub de Suisse occidentale du Parc suisse d’innovation, permettra d’accélérer encore les transferts de connaissances entre le monde académique et l’industrie.
 
Les différents licenciements au sein de Blue Factory, celui du directeur et de la responsable de la communication, causent-ils des soucis à l’EPFL?
C’est la responsabilité du développement économique du canton. Blue Fac­tory, c’est beaucoup plus que le Smart Living Lab, qui n’est qu’une des nombreuses composantes du projet. Pour la partie EPFL, nous ne faisons que commencer. Nous sommes en train de recruter les professeurs. Cela prend du temps. Nous inscrivons ce développement sur la durée. L’unité du temps académique est la décennie. SM

 

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