L’idée folle d’une Gruyère à une commune fait son chemin

| jeu, 02. jui. 2015

Le 29 avril à Charmey, Patrice Borcard prenait tout le monde de court en lançant l’idée d’une seule et unique commune pour la Gruyère. Rien de moins farfelu, à l’entendre. D’ailleurs les choses avancent et les explorations préliminaires sont lancées. Le préfet parie sur le «penser Gruyère».

Que pensez-vous de l'idée d'une seule commune en Gruyère?

PAR JEAN GODEL

Patrice Borcard, quel était votre objectif, le 29 avril, en tenant de tels propos devant le Parti libéral-radical de la Gruyère?
Je souhaitais lancer cette idée d’une Gruyère à une commune. On a besoin d’un vrai débat sur la gouvernance communale et l’avenir de la région. Car on est arrivé aux limites d’une pratique qui pose des problèmes grandissants. Dans la mesure où le plan de fusions que j’ai présenté au Conseil d’Etat ne suscite pas un enthousiasme débordant, j’ai saisi cette occasion de lancer la réflexion.

Vous parlez de problèmes de gouvernance: lesquels?
Les territoires communaux ne correspondent plus aux pratiques: l’essentiel des problèmes sont résolus à l’échelon régional. Et ils seront toujours plus nombreux à l’être: aujourd’hui, cycle d’orientation, réseau santé, infrastructures culturelles et sportives; demain pompiers, EMS, eaux usées, aménagement du territoire, etc. Sans parler de l’essoufflement des élus communaux face à des conditions de travail qui deviennent difficiles – ils sont déjà 25% à avoir démissionné durant la législature en cours, contre 12% durant toute la précédente. Au lieu de subir, menons cette discussion, que cette hypothèse d’une Gruyère à une commune soit portée plus loin ou non.

La nouvelle donne en matière d’aménagement du territoire est un argument de plus?
Oui. Avec la nouvelle Loi sur l’aménagement du territoire (LAT), on va ôter cette compétence aux communes, les décisions allant se prendre à l’échelon régional. Une révolution est en marche: la LAT va non seulement vers une densification du bâti, mais aussi vers une concentration des zones d’activité. Nous allons donc vers un centre toujours plus riche et des périphéries qui risquent de progressivement s’appauvrir. La Gruyère courra alors le risque d’une cassure.

Qu’avez-vous entrepris depuis le 29 avril?
J’ai refait la même présentation devant la conférence des syndics de la Gruyère, en rappelant les deux autres options, à savoir le plan de fusions à six communes – qui suscite des réserves de la part de certains syndics – et la microrégion (répartition des tâches sur deux niveaux: les problèmes de proximité gérés à l’échelon communal, les affaires intercommunales à l’échelon régional). Les syndics ont alors décidé de constituer un groupe de travail avec l’Association régionale la Gruyère (ARG) en laissant ouvertes toutes les hypothèses.
Ce groupe a tenu sa première séance, laquelle a débouché sur une volonté unanime de poursuivre la réflexion. La volonté de privilégier la voie de la commune unique s’est imposée naturellement. Car elle apporte davantage de solutions qu’elle ne crée de problèmes. L’étape suivante consistera à voir si la conférence des syndics souhaite pousser plus loin cette hypothèse.

Est-ce le bon moment alors que des fusions ont échoué et que l’élan semble retomber?
Notre projet est ambitieux. Mais la Gruyère a déjà noué un intense réseau de collaborations au niveau de la région: l’ARG fonctionne depuis quarante ans, des réflexes sont acquis. Mais pour les raisons déjà exposées, on est arrivés au milieu du gué et on doit réfléchir à d’autres voies afin d’affronter les défis à venir.

La dimension identitaire est souvent un motif de refus. Qu’en est-il avec une seule commune?
Ce qui me frappe, c’est que de nombreuses petites communes qui se sentent mal à l’aise face à la perspective d’un district à six communes sont plutôt favorables à une seule grande commune. Car elles peuvent s’identifier à la Gruyère, au lieu de craindre une absorption dans le cadre d’une fusion plus réduite. Dans un grand ensemble, elles savent qu’un équilibre se réalisera entre le centre et la périphérie. Ces aspects identitaires apparaissent beaucoup moins exacerbés. C’est notre force, la Gruyère représente une entité à laquelle chacun peut s’identifier, avec des collaborations pratiquées depuis longtemps.

Une seule commune renforcerait l’identité des petites communes?
Bien entendu. Ce projet permettrait de résoudre quantité de problèmes, comme la perte croissante de l’autonomie des communes ou la hausse des charges liées: plus besoin d’associations intercommunales – on perd un temps fou pour trouver des solutions à des problèmes qui sont les mêmes partout – plus de souci de clés de répartition, mais surtout plus de risque de voir une agglomération centrale prendre l’ascendant aux niveaux démographique et économique. Ce qui nous ferait prendre le risque d’une division de la Gruyère. Ce serait alors la fin de la région.

Comment assurer la représentativité des communes périphériques?
Le défi sera de faire en sorte que tout ce qui fonctionne bien aujourd’hui et apporte de la qualité de vie dans les régions ne soit pas prétérité. Il faut veiller à maintenir cette gouvernance à l’échelle des villages, ces services de proximité qui fonctionnent. La grandeur de cette éventuelle future commune nous obligerait à innover afin que, à l’intérieur de cercles administratifs, la population reçoive toujours des services efficaces.
Il faudrait aussi assurer la représentativité politique des sous-régions, à l’exécutif comme au législatif. La Loi sur les communes devrait donc être revue de manière à permettre la création de cercles électoraux. La conseillère d’Etat Marie Garnier est favorable à cette idée. Cela garantirait une certaine stabilité politique.

Malgré cela, Bulle restera un poids lourd…
Bulle est le moteur naturel de cet ensemble. Pour moi, le maintien de l’unité et de la cohérence régionales est primordial. Si la périphérie a besoin du centre, l’inverse est aussi vrai, au niveau de l’aménagement du territoire – c’est dans la périphérie qu’existent des réserves de terrains – mais aussi du tourisme: que serait l’agglomération bulloise sans les vallées de la Gruyère? Nous sommes complémentaires dans tous les domaines. Nous devons jouer à fond sur le «penser Gruyère» initié par l’ARG à la fin des années 1970.
Cette hypothèse d’une commune unique a aussi des avantages pour les infrastructures sportives, touristiques ou culturelles qui, aujourd’hui, sont souvent à la charge de certaines communes alors qu’elles ont une vocation régionale. Pensons à Charmey, qui doit supporter seule les charges de ses remontées mécaniques, mais aussi à La Berra, à la salle CO2, au futur centre sportif, au Musée gruérien. Dans les années à venir, ces questions remonteront de toute façon à la surface.

 

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Les premiers chiffres sont «plutôt encourageants»

Quel pourrait être le cadre fiscal d’une Gruyère à une commune?
La question est bien sûr essentielle pour l’issue du processus, mais elle ne se pose pas pour l’instant. Toutefois, pour éclairer les différents scénarios en présence, nous avons demandé une étude au Service des communes. Les premières approches sont plutôt encourageantes et nous laissent une marge de manœuvre satisfaisante.

En cas d’échec, ne risque-t-on pas de geler tout processus de fusion pour des années?
Oui. Mais on verra rapidement s’il existe une adhésion des communes. Dans le cas contraire, on en reviendra au plan à six communes. Mais notre réflexion restera valable: à six, les problèmes demeureront. Ce n’est pas du temps perdu.

Quel agenda imaginez-vous?
Quand j’ai proposé cette idée, mon propos était d’en débattre. Actuellement, les syndics sont plutôt d’avis d’accélérer l’allure. Une deuxième réunion du groupe de travail aura lieu, puis une discussion importante suivra début novembre au sein de la conférence des syndics. Si le choix est de se diriger vers un projet de fusion, il faudra en débattre devant tous les élus communaux avant la fin de l’année.

Et si les élus communaux sont partants?
S’ils devaient majoritairement l’être, un projet de fusion serait lancé au début de la prochaine législature. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs!

Si les syndics en place poussent au mouvement, leurs successeurs pourraient le ralentir…
Les élections communales de 2016 ne changeront pas substantiellement la donne: l’essoufflement des élus et les problèmes de gouvernance ne vont pas se tarir. S’y ajoutera la dimension de l’aménagement du territoire qui compliquera beaucoup la tâche durant la prochaine législature.

Ce qui nous mène en 2021 ou 2026… Ce n’est donc pas une utopie à vingt ou trente ans?
Non, car il faudra trouver des solutions avant. Si, en tant que préfet, je me permets de lancer ce débat, c’est qu’il y a urgence à imaginer d’autres perspectives. La situation est problématique. Cela dit, nous réfléchissons à toutes les hypothèses, sans nous précipiter sur une option. Si de nombreux élus désirent creuser l’option de la commune unique, c’est que l’idée est mobilisatrice, porteuse d’une vraie ambition régionale. Elle est à la hauteur des défis à relever. Mais les élus savent aussi qu’il faut convaincre la population. Ils savent également que les mentalités ont beaucoup évolué depuis cinq ou six ans. JnG

Commentaires

Pour ma part, je voyais venir avec fort peu d'enthousiasme une fusion de la commune fusionnée de Sâles avec Vaulruz (si Vuadens préférait s'allier avec Bulle) ou avec Vuadens pour former la commune de La Sionge. Nous y perdions notre âme sans grande contre-partie car c'eût été une professionnalisation insuffisamment aboutie et le sentiment d'être absorbé aurait été dominant. Au contraire, l'idée d'une seule commune intitulée "La Gruyère" ou "Gruyère" évite ce sentiment si désagréable, bien au contraire, elle peut soulever l'enthousiasme car nous nous reconnaissons tous dans cette entité qu'est la Gruyère et plein d'arguments déterminants ont déjà été développés par notre Préfet que je félicite au passage pour sa vision , son courage et son sens du bien public.
Beaucoup d'avantages avec une seule commune. Mais beaucoup de risque de perte de notre agriculture et disparition du magnifique paysage avec forte augmentation de population. Exemple: Bulle où toute la verdure des champs a disparu.
L'idée est excellente car, comme le dit le préfet de la Gruyère Patrice Borcard, il n'y aurait plus qu'une seule identité. Cela aurait également l'avantage que "les Bullois" se rendent un peu mieux compte des difficultés qu'ont ou qu'avaient, avant cette grande fusion, les "anciennes" communes villageoises de la Gruyère. Evidemment, le nom de la nouvelle commune devrait s'appeler "Gruyère" sans "s". Et surtout pas Bulle. Car, à voir le sondage, ceux qui disent "non" ont certainement peur d'être mangés à la sauce bulloise. Et je les comprends dans ce sens. Il faudra beaucoup de diplomatie et de communication, et bien entendu encore un peu de temps, pour que les villages comprennent qu'ils ont tout intérêt à adhérer à cette idée, car ils auront plus de pouvoir sur "Bulle". Et cela serait tant mieux. Je vote à 100% pour une seule commune en Gruyère, qui se nommera "Gruyère". Vive la Gruyère et Gruyère!

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