Les ravageurs exotiques prennent le frêne pour cible

| mar, 28. jui. 2015

Induit par le champignon Chalara, le flétrissement va probablement causer la mort de la majorité des frênes du canton. Lueur d’espoir: l’orme de montagne, après avoir presque disparu de la région, semble maintenant résister à son propre ravageur.

PAR MATHIEU MUSY

Les symptômes ne trompent pas. Branches sèches, couronne dégarnie, fissures sur un tronc devenu irrégulier: ce frêne est atteint du flétrissement. Derrière la maladie se cache un champignon, logé à l’intérieur de l’arbre: Chalara fraxinea. Probablement originaire d’Asie, il était inconnu du frêne suisse jusqu’à peu.
Comme le corps humain crée des anticorps face à un virus, l’arbre devrait muter pour se défendre, être immunisé. Or, une mutation de ce type se compte en dizaines d’années et Chalara est rapide. Si l’arbre déclare les symptômes, il mourra certainement dans les cinq ans. Le constat est d’autant plus alarmant que le champignon a probablement déjà infesté 70% des frênes du canton de Fribourg et qu’aucun traitement contre le flétrissement n’est connu à ce jour.
Benoît Weber, professeur à la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève, déplore des conséquences imprévisibles à la disparition de cet arbre: «Le frêne est un pionnier extraordinaire. On le trouve à la naissance d’une forêt, son rôle est de préparer le sol pour que d’autres arbres puissent s’y implanter, mais il pousse aussi dans les forêts mixtes. On ne peut pas prédire ce qui se passera dans un milieu complexe si une espèce s’éteint, mais c’est mauvais signe.»


«Le chant du cygne»
Le flétrissement s’avère particulièrement problématique lorsque le frêne est utilisé en alignement. «Nous devrons abattre les individus malades qui bordent les routes et menacent de faire des dégâts, note Jean-Maurice Chappalley, forestier du triage Jogne-Javroz. Leurs branches sont fragiles, elles sèchent et deviennent cassantes.»
A Châtel-sur-Montsalvens, plusieurs frênes sévèrement atteints sont dans ce cas. Au premier abord, on pourrait croire que les arbres malades se régénèrent, mais c’est un leurre. «Ils essaient de produire quelques gourmandes – ces jeunes pousses qui partent sur les anciennes branches – mais leur cause est perdue, déplore le forestier. C’est le chant du cygne, rien de plus.»
Face à ce type de périls, l’adaptation est de rigueur pour les sylviculteurs. En exemple, une section de forêt qui avait été rasée par Lothar en 1999 a été renaturalisée en amont du village de Châtel-sur-Montsalvens. Jean-Maurice Chappalley a alors favorisé trois essences: l’épicéa, l’érable et le frêne. Une minorité de cerisiers, sorbiers et autres sapins blancs était attendue. «Mais quand on a vu que tous les frênes étaient en train de mourir, il a fallu changer le mélange, explique le forestier. Le sapin blanc n’y sera pas présent non plus.
Il est atteint du chermès des rameaux, une autre maladie exotique – plus éparse qu’épi­démique – qui fait mourir les jeunes individus. On a donc privilégié l’épicéa et l’érable, puis on a laissé la forêt s’exprimer comme elle le voulait.»
A ce moment, une surprise de taille est apparue. Parmi les arbres qui ont investi la zone, l’orme de montagne, une essence locale qui avait presque disparu, également à cause d’un ravageur exotique.


Les vases communicants
La graphiose, maladie causée par un champignon probablement venu d’Asie, a provoqué une grave épidémie sur les ormes de montagne. «Entre les années 1975 et 1995, la quasi-totalité de cette essence s’est éteinte», explique Benoît Weber. Mais, à Châtel-sur-Montsalvens, des ormes de montagne ont été observés, qui poussent désormais spontanément et ne présentent aucun signe de la maladie.
«On le croyait disparu et voilà qu’il revient quand le frêne meurt, note Jean-Maurice Chappalley. Soit la graphiose a disparu, soit elle a muté et résiste maintenant au ravageur, ce qui est plus probable.» Dans l’état actuel, un scénario aussi réjouissant n’est pas pronostiqué pour le frêne. Mais peut-être qu’il suivra les traces de l’orme et que, dans une vingtaine d’années, le frêne recolonisera naturellement les forêts fribourgeoises.

 

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L’homme et le temps mis en cause

D’entre les différents ravageurs qui se sont attaqués à la forêt suisse au cours des dernières années, il en est deux sortes qu’il faut différencier.
«Les ravageurs intégrés, comme le bostryche typographe, font partie de nos écosystèmes, explique Benoît Weber, professeur à la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève. En temps normal, le bostryche ne s’attaque qu’à des épicéas faibles ou malades.
Si les années 2003 à 2005 ont été catastrophiques, la situation était exceptionnelle. Le 26 décembre 1999, Lothar avait abattu une bonne partie des épicéas suisses. Le bostryche se trouvait donc dans un milieu parfait pour proliférer et, comme cet insecte aime le chaud, la canicule de 2003 l’a aussi aidé. Au final, il a causé deux fois plus de dégâts que l’ouragan lui-même.»
Mais ce double facteur météorologique n’est pas seul responsable de l’épisode du bostryche: «Dans les années d’après-guerre, deux générations successives d’agriculteurs ont rasé les forêts au profit des pâturages, explique Jean-Maurice Chappalley, forestier du triage Jogne-Javroz. On ne replantait ensuite que de l’épicéa. Mais une monoculture affaiblit la forêt, on l’a vu avec Lothar. Si la seule essence favorisée est en péril, les pertes peuvent être énormes.»


Ceux que la forêt ne connaît pas
Le capricorne asiatique, la graphiose de l’orme, le chermès des rameaux du sapin blanc ou le flétrissement du frêne ne sont quant à eux pas intégrés à nos écosystèmes. «Les arbres d’ici ne savent pas se défendre contre eux, note Benoît Weber. Le seul moyen de résister est la mutation de l’arbre, qui prend beaucoup de temps. Mais l’homme va plus vite dans ses déplacements et amène des ravageurs dans des milieux complexes, qui n’ont pas le temps de s’adapter.»


Canicule et catastrophe
Comme l’a montré l’exemple de la canicule de 2003, le chaud convient bien aux insectes, moins aux arbres. Concernant la vague de chaleur de cette année, les conséquences directes sur la forêt ne sont pas encore problématiques. Mais si des tempêtes devaient survenir cet hiver ou si le printemps 2016 devait être aussi sec que cet été, les ravageurs pourraient se trouver dans une situation opportune. Et la forêt en difficulté. MM

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