Pour sauver un alpage, l’armée déploie les grands moyens

| jeu, 23. jui. 2015

Bientôt complètement à sec, l’alpage du Sori, au Gros-Mont, bénéficie d’une opération choc. Seule solution possible: amener un bassin de rétention de 52000 litres par hélicoptère. Les grandes manœuvres se sont déroulées hier avant d’être interrompues par… la pluie.

PAR JEROME GACHET

Sur le front des alpages, la situation ne s’arrange pas. Les trombes d’eau qui se sont abattues hier après-midi offrent un répit bienvenu, mais la situation est toujours aussi critique. «Pour lever les interdictions liées aux feux, il faudrait trois jours de pluie», cite en exemple le Bullois Christophe Bifrare, chef de la protection civile fribourgeoise.
Depuis la plaine, le constat se fait à l’œil nu: la sécheresse mange la montagne par le sommet, le jaune triomphant du vert.
Un des alpages qui souffrent le plus est celui du Sori, au Gros-Mont. «Il est situé sur des cailloux», explique Ismaël Savoy. Garde-génisses depuis sept ans sur cet alpage, le Veveysan voit venir les problèmes depuis deux ou trois semaines. Et pour ne rien arranger, la fonte des neiges est intervenue plus tôt que d’habitude, tandis que les névés se sont pratiquement tous volatilisés. La canicule a fait le reste.
L’alpage du Sori, partagé entre les cantons de Fribourg et de Vaud, a aussi la particularité de ne pas être doté d’une citerne sur les pâturages, l’eau étant captée directement dans les réserves naturelles. Un système rudimentaire qui a bien fonctionné durant des lustres, mais qui montre ses limites avec la sécheresse actuelle. «D’habitude, 20 litres coulent chaque minute. Là, il n’y a pas plus d’un demi-litre, se désole le garde-génisses. Vous voyez le bassin là-bas: il faut un jour pour le remplir.» Pour privilégier les bêtes, le garde-génisses a même dévié le tuyau qui approvisionne le chalet directement sur les pâturages. Insuffisant.


Descendre? Pas une option
Il avoue qu’avec le syndicat d’élevage qui l’emploie, celui de Chesalles-sur-Oron, il a même été question de faire descendre le troupeau. «Ça résoudrait certes le problème de l’eau, mais les agriculteurs n’ont pas de fourrage pour accueillir le bétail.» Pour Ismaël Savoy, des questions se posent: «Si on veut continuer à estiver ici, il faudra s’équiper. Pour autant que Pro Natura l’accepte…»
Que faire dans l’immédiat? A grand problème, grand remède: il a été décidé d’installer un bac de rétention et de l’approvisionner par la voie des airs. Il sera posé aux Bimis, à 1800 mètres, soit 400 mètres au-dessus du chalet lui-même.
D’une contenance de 52000 litres, la «piscine» circulaire doit permettre d’abreuver les 140 génisses de l’alpage du Sori durant trois ou quatre jours avant d’être réapprovisionnée par hélicoptère. «Par grosse chaleur, les bêtes boivent en moyenne une centaine de litres», estime Ismaël Savoy.


Probablement inédit
Une opération d’envergure, probablement inédite dans ce canton, qui mobilise une quinzaine de militaires du bataillon d’aide en catastrophe I, actuellement en service, et de trois ou quatre membres de la protection civile fribourgeoise. Sans oublier les deux pilotes des forces aériennes.
Un organe de coordination, Helios, a même été mis en place à Granges-Paccot, regroupant les partenaires cantonaux. Car dans ce dossier, c’est l’Etat qui donne l’impulsion, notamment en faisant appel à l’armée.
Les rôles sont clairement définis: les militaires ont pour mission d’amener sur place le bassin et de l’installer, tandis que les hommes de la protection civile mettent du matériel à disposition. Il s’agit par exemple d’un système de pompage permettant de remplir des bassins dans lesquels les génisses pourront étancher leur soif.
En coulisses, on ne cache pas que l’alpage du Sori profite de circonstances favorables. Même si la question des coûts n’est pas encore réglée.
Au Gros-Mont, l’opération s’est déroulée hier en début d’après-midi. Partiellement du moins. Le Super Puma de l’armée suisse a d’abord amené sur les hauteurs des militaires basés à Payerne, avant d’aller chercher le fameux bac métallique à Wangen an der Aare, dans le canton de Berne.
Mais les manœuvres anti-sécheresse ont soudainement été interrompues… à cause de la pluie. La troupe a dû être rapidement évacuée. Les opérations doivent reprendre et se terminer aujourd’hui. Si la météo, décidément bien capricieuse, le permet.

 

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L’alpée de l’eau des lacs


Face aux nombreuses demandes des alpages fribourgeois à être approvisionnés en eau, la compagnie privée Swiss Helicopter ne suffit plus. Baptisé Helios, un plan canicule a été mis en place par l’armée qui pallie ce manque de moyens. Trois hélicoptères Super Puma ont été mis à disposition des cantons de Suisse romande et de Berne.
Nicole Neuhaus travaille à la Chambre fribourgeoise d’agriculture. Cette organisation réceptionne les appels des agriculteurs ayant besoin d’un ravitaillement en eau. Elle explique: «Hier matin, le nombre d’alpages ayant demandé une aide était de quinze. Parmi ceux-ci, huit avaient déjà reçu leur eau. Mais pour l’instant, on reçoit de nouvelles demandes d’aide tous les jours.»
Le ravitaillement en eau se fait en fonction du nombre de bêtes présentes sur l’exploitation ainsi que de leur maturité. Une génisse boit en moyenne 50 à 60 litres d’eau par jour, une vache en consomme généralement 100. Ce chiffre augmente avec la température. Ainsi, les demandes peuvent varier entre 1000 et 10000 litres par alpage pour assurer une autonomie de cinq à sept jours. Il faut savoir qu’un hélicoptère Super Puma peut transporter jusqu’à 2000 litres d’eau par rotation.
Cette eau, les hélicoptères vont la puiser dans les lacs de la Gruyère et de Montsalvens. Dans un communiqué envoyé mardi, le préfet de la Gruyère Patrice Borcard promulguait une interdiction de navigation, de pêche et de baignade sur un certain périmètre de ces lacs afin de laisser le champ libre aux militaires pour capter l’eau sans danger. Cette interdiction restera en vigueur jusqu’à nouvel avis. «L’armée prévoit de répondre à toutes les demandes d’aide d’ici au 4 août, explique Claude Friderici, chef d’état-major Helios. Cette date peut être prolongée d’une semaine au besoin, mais si la pénurie d’eau devait persister, une nouvelle demande devrait cette fois-ci passer devant le Parlement fédéral.»
Quant à la question de la facture, elle n’est pas encore réglée. Le Conseil d’Etat s’est réuni mardi à ce sujet sans pour autant communiquer d’éléments nouveaux: tout serait à la charge des agriculteurs. Avec un tarif de 41 francs par minute de vol, la note serait salée. Claude Friderici, sans affirmer qu’une solution soit trouvée, évoque une mutualisation. Les coûts à la minute pour un hélicoptère de l’armée étant supérieurs aux coûts de la compagnie privée. Une aide de l’Etat n’est pour l’instant pas prévue. MM

 

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