Avec le sourire pour cicatrice

| mar, 15. sep. 2015

Au foyer Les Passereaux, à Broc, se côtoient soixante personnes et une bonne dizaine de nationalités. Reportage dans cette ancienne colonie devenue un lieu de vie provisoire pour les demandeurs d’asile qui ont fui la guerre et les tragédies.

PAR ERIC BULLIARD

C'est Spiderman qui nous accueille. Son super-pouvoir? Il vous met à l’aise, en un sourire, avec son costume de carnaval et l’aplomb de ses 6 ou 7 ans. D’emblée, il vient rappeler que le foyer des Passereaux, à Broc, est d’abord un lieu de vie. Plein de vie. Un lieu où les enfants courent dans des chaussures trop grandes, moulinent sur leur tricycle, s’agitent sur la balançoire.
Dans cette ancienne colonie de la route qui mène au Motélon, les 60 pla­ces sont occupées en permanence, en majorité par des familles, souvent très jeunes. Les demandeurs d’asile sont accueillis ici provisoirement, mais ce provisoire dure quand même deux ou trois mois. Un lieu de vie, pas un camp de vacances et un lieu qu’ils n’ont pas choisi.
En ce mardi matin, la salle de classe reste déserte. L’enseignante est en congé, les cours de français, pour les adultes comme pour les enfants, reprennent la semaine suivante, explique le responsable du foyer, Jean-Paolo Spoto. De l’extérieur, le pavillon qui abrite l’école a des airs décatis, mais, à l’intérieur, on le découvre pimpant: la classe a été refaite à neuf, ses fringants tons pastel contrastant avec les pupitres de bois défraîchis. Une carte de la Suisse est épinglée au mur.
Derrière une porte, une nouvelle salle accueillera les plus jeunes, en âge d’école enfantine. Quelques poupées les attendent, ainsi qu’un circuit de voitures sur un tapis. Une nouveauté, ces cours pour les plus petits. «Ce sera surtout de l’éveil, de la sociabilisation», explique Jean-Paolo Spoto.


Une dizaine de nationalités
A l’entrée du bâtiment principal, le bureau du personnel du foyer ressemble à n’importe quel bureau, avec ses ordinateurs et ses papiers, plutôt à l’étroit. Un drapeau suisse est épinglé sur la paroi de bois, en face d’un panneau métallique, bien compliqué aux yeux du profane. Chaque résident a sa fiche, fixée par des aimants.
«Actuellement, nous avons une dizaine de nationalités différentes, relève Jean-Paolo Spoto. Mais si vous revenez la semaine prochaine, ça aura changé.» Une de ses collègues confirme: «Je rentre de 15 jours de vacances et je ne connais presque plus personne.»
Dans le couloir, des affiches de la Croix-Rouge lancent des avis de recherche: «I am looking for my…». «Le rétablissement des liens familiaux me tient à cœur, ça faisait partie de mon travail quand j’étais au CICR», souligne Jean-Paolo Spoto. D’autres affiches rappellent les règles, écrites en plusieurs langues, pour les visites ou le courrier et donnent diverses directives, comme «alcool et drogue interdits».


Caché dans un camion
Au bout du couloir sombre, la cuisine commune, avec son sol de catelles noir et blanc d’un autre temps. Trois fours électriques, des frigos, des casiers peints en rose, trois tables et des bancs. Deux Erythréens épluchent des légumes en papotant. Une jeune femme très distinguée parle à sa fille en italien, tout en rangeant ses courses.
Il y a là, attablés, Tamim Abdullah, l’ancien interprète afghan pour l’armée française, et son épouse Atya. Leur fille Nazmin gambade autour des tables, alors que sa sœur Nargis dort à l’étage. Ils insistent pour qu’on partage leur omelette. Atya se lève, revient avec deux paquets de mouchoirs en guise de serviettes. On veut l’aider à débarrasser: «No, no, in my country, men no working», lâche-t-elle dans un sourire immense.
Nihad Mohamed aussi a le sourire. Même quand il raconte les trente heures passées dans un camion, même quand il mime la position qu’il a tenue tout ce temps, caché au-dessus du chauffeur. Nihad vient de Syrie, il est kurde, n’a jamais eu droit à un passeport et a fui la guerre. Il va chercher du thé froid et des verres. Comment se sent-il aux Passereaux? «Bien, le chef est très gentil!»


Ping-pong et babyfoot
A 23 ans, en Suisse depuis 2013, Nihad est marié et père d’une fille de deux ans. Il ne connaît pas le trajet précis qui l’a amené ici. De Syrie, il est parti en Turquie, puis est passé par la Grèce, la Roumanie… jusqu’à Chiasso. «J’ai rien vu, j’étais dans le camion!» Et il rigole, Nihad. Un sourire comme pour aider à cicatriser.
En face de la cuisine, de l’autre côté du couloir, le salon commun, avec un autre drapeau suisse sur la paroi de bois, des affiches de consignes et quelques canapés fatigués. Des poussettes se trouvent alignées contre les fenêtres. Au centre, une table de ping-pong, un babyfoot et un billard, où joue en ce moment Spiderman. Son père, érythréen, parle via son portable. Des bruits de dessin animé proviennent de la petite salle de télévision, qui jouxte le salon.


Du Tibet à Broc
Yangkee s’assied sur un des divans usés. Elle a un sourire aussi doux que son regard, elle murmure un anglais d’une parfaite élégance. Venue du Tibet, elle vit à Broc depuis un mois et demi, après avoir passé quelques semaines au Centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe. Avant de débarquer en Europe, elle ne connaissait rien de la Suisse, mais elle aime ce paysage de montagnes, ces forêts où elle va souvent méditer.
Yangkee ignore comment elle est arrivée ici. Par la France? L’Italie? Son itinéraire a été pris en charge par un passeur: elle ne sait pas où son avion a atterri, s’en excuse d’un sourire gêné. En tout cas, elle se souvient d’avoir fait encore quelques heures de train, avant d’arriver à Vallorbe. Yangkee a dû fuir sa région de Ganzi, en direction du Népal: elle a commencé à militer, à coller des affiches. Free Tibet et Human rights, ce genre de revendications.


Des liens coupés
Après l’arrestation d’un membre de son cercle d’amis, Yangkee est partie, du jour au lendemain. Elle explique qu’elle risque la prison à vie, que sa famille restée sur place pourrait à son tour avoir des problèmes. Elle ne cherche donc pas à les contacter. «Je vais éviter de le faire pendant deux ou trois ans.» Yangkee a 24 ans.
A l’étage, Nihad nous ouvre sa chambre, basique, presque spartiate, étrangement impersonnelle. Il sourit toujours. Deux lits, un lavabo. Les sanitaires se trouvent au bout du couloir de linoléum. Ici, on visualise mieux ce que représente concrètement la vie en communauté, avec des inconnus que l’on n’a pas choisi de côtoyer. Souvenirs de camps de ski, de caserne. Rien à voir, bien sûr, mais cette salle de bain commune… Souvenir de la sensation du carrelage froid, au petit matin.


Des histoires et «Lothar»
Jean-Paolo Spoto montre encore les réserves, à la cave, où sont stockés les duvets, la vaisselle, tout le matériel distribué aux nouveaux arrivants. A la fois une aide concrète, immédiate et une manière de pousser chacun à l’autonomie: la cuisine, les courses demeurent l’affaire des résidents, qui se débrouillent par eux-mêmes.
De retour au bureau, on échange quelques mots avec Michel Colonello, adjoint du responsable du foyer. Il travaille ici depuis 1993, c’est dire s’il en a vu passer des hommes et des femmes, des familles. Il en aurait des histoires à raconter: il était déjà aux Passereaux, par exemple, quand la tempête Lothar a arraché une partie de la toiture. «Par chance, les occupants de la chambre où le toit s’est envolé n’étaient pas présents ce jour-là…»
Sur le parking, on retrouve Tamim et sa famille, sortis pour se rendre en ville. Un au revoir, des embrassades. Que se souhaiter d’autre que le meilleur? Spiderman nous regarde partir.

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