La mort d’un animal, souvent le compagnon fidèle et tolérant d’une vie, peut créer un vide douloureux et plonger son propriétaire dans un deuil particulier, à l’image d’un vrai deuil, avec la notion de honte en plus. La psychiatre Sibylle Bolli a creusé le sujet et offre son obligeance. Interview.
PAR PRISKA RAUBER
Lorsqu’un animal décède, son absence peut créer un vide très douloureux. Mais le travail de deuil est souvent difficile, car incompris et sous-estimé, donc auréolé de honte. Pourtant, estime la Dr Sibylle Bolli, la souffrance est bien réelle. La psychiatre lausannoise a creusé le sujet et propose des consultations spécifiques ainsi que des conférences sur le deuil animalier. Prochain rendez-vous samedi, à 13 h 15, dans le cadre du Salon du mieux-vivre, à Fribourg.
Deuil animalier: le mot «deuil» n’est-il pas trop fort?
Non, les gens qui ont perdu un animal vivent vraiment un deuil. Ils entrent dans un processus qui ressemble beaucoup à ce que l’on peut vivre à la mort d’une personne avec qui l’on avait une relation forte. En fait, c’est l’attachement et tout ce que l’on a pu vivre avec l’autre, que ce soit une personne ou un animal, qui nous fait entrer dans un processus de deuil.
Tout de même, quand on entend «la mort de Minette m’a plus bouleversée que la mort de mon grand-père», vous admettez que cela peut choquer!
Oui. Celui qui s’entend très bien avec son grand-père va être choqué, bien sûr. Mais celui qui ne s’entend pas du tout avec son grand-père pourra comprendre. Ce n’est pas forcément avec son grand-père que l’on a la relation la plus forte parmi les êtres qui nous entourent. Les gens sont pris entre la nécessité de se comporter de façon acceptable socialement – les valeurs de la famille sont importantes, socialement – et le besoin d’exprimer leur chagrin. Il faut déjà un certain penchant pour le défi pour dire «je préférais Minette que grand-papa»! Mais je peux comprendre que cela puisse choquer.
Vous estimez que ce qui importe, c’est l’intensité d’une relation et pas l’objet de cette relation?
Oui. J’aime bien cette définition du deuil. Il y en a beaucoup, mais celle-ci me plaît: elle dit que le deuil est une réaction émotionnelle et comportementale, tout à fait normale, déclenchée lorsqu’un lien d’amour est rompu. Je crois vraiment que l’on peut avoir une relation d’amour avec un animal.
Encore un mot fort!
Bien que les animaux ne parlent pas, ils sont tout à fait capables de ressentir des émotions complexes, cela a été démontré au niveau biologique. Et les émotions sont un élément important dans une relation. Un moyen de communication très fort entre les espèces. Sans compter qu’un animal peut remplir beaucoup de rôles auprès de nous. Il est là quotidiennement, il nous montre énormément d’affection, il est en général très constant dans ce qu’il donne. Il traverse avec nous des périodes de notre vie qui ne sont pas forcément évidentes. Et puis, on partage avec lui des joies très simples du quotidien. Tout ceci mis ensemble engendre un lien fort.
Se voir souffrir davantage à sa mort qu’à la mort d’un humain demeure quand même difficile à avouer…
C’est en effet un sujet tabou. Les gens vivent ces deuils avec beaucoup de pudeur et ont souvent de la peine à en parler, même à leurs proches.
Au-delà de craindre d’entendre «ce n’était qu’un animal», eux-mêmes pensent donc qu’ils ont une réaction disproportionnée...
D’eux-mêmes, ils peuvent le croire, en effet. Il peut arriver que les gens soient débordés par la force des émotions qu’ils ressentent à la mort de leur animal. Ils cachent alors parfois volontairement leur chagrin de peur qu’on se moque d’eux, ou parce qu’ils pensent qu’ils doivent en avoir honte.
Parfois le regard des autres est jugeant…
Les personnes endeuillées peuvent entendre des réflexions très dures. Comme «prends le même, ça fera l’affaire» ou «tu n’as qu’à arrêter le cheval si c’est trop dur», s’entendrait dire une adolescente qui a perdu sa monture. Devant une personne endeuillée, les autres sont aussi mis devant leur propre sentiment d’impuissance. Ils ne sont pas forcément confortables eux-mêmes avec l’idée de perdre un être cher.
Mais on peut débattre: un animal vaut-il moins, ou plus, qu’un homme? On pourrait hiérarchiser, d’après le poids de leurs cerveaux ou d’après la complexité de leurs relations sociales! Sauf que dans les relations, les classements ne marchent pas. Il ne s’agit pas des mêmes logiques. Peu importe que je ne puisse comprendre. Finalement, ce qui compte, c’est la réalité subjective vécue par la personne qui est en deuil.
Raison pour laquelle vous dites qu’il ne faut pas avoir honte de cette souffrance?
Le deuil est un processus, une transformation de la perte vers quelque chose d’autre. Je pense que l’une des clés est en effet d’accepter les émotions qui sont présentes et de les laisser s’exprimer, de ne pas les mettre de côté. Ça peut être profond, ça peut être violent. Mais l’important, c’est que cela reste un processus qui aboutit à un retour à la vie. A un moment donné, le fait qu’un animal ait vécu devient plus important que le fait qu’il soit mort.
Constatez-vous un manque d’accueil général face à la souffrance?
Il est clair que la mort n’est pas un sujet facile à aborder dans la société, dans la nôtre en tout cas. Je suis d’ailleurs toujours très reconnaissante envers les gens qui viennent à mes conférences, parce que je sais qu’il leur a fallu un certain courage pour venir, et parce qu’il n’est pas facile de parler de ce sujet. Si les gens pleurent, souvent aussi, ils me remercient, parce que ça fait du bien d’en parler et de pouvoir exprimer ses interrogations et ses ressentis.
Que conseille le médecin que vous êtes pour traverser ce deuil? Reprendre un animal?
Cela dépend de chaque situation. Les personnes sont différentes, notamment dans le temps dont elles ont besoin pour vivre leur deuil. Je pense cela dit qu’il vaut mieux avoir fini son deuil pour reprendre un animal, au risque d’une relation compliquée, au début, avec son nouvel animal. Ce dernier sentira bien qu’il n’a pas complètement sa place.
D’autre part, je pense que les rites sont des aides au processus de deuil. On peut récupérer les cendres de son animal – il y a beaucoup de demande pour cela – et procéder à un rite personnel.
Et que devrait-on dire à un enfant qui vient de perdre son chat ou sa tortue, et qui en est bouleversé?
Ça dépend de l’âge de l’enfant, car ils n’ont pas tous la même compréhension de la mort. Mais dans tous les cas, il faut être très honnête, employer des mots qu’ils comprennent. S’ils sont petits et ne s’expriment pas encore bien, leur donner un moyen d’expression, comme le dessin, peut être bénéfique. Un autre point est d’être attentif les semaines qui suivent la mort de l’animal. Car certaines manifestations peuvent arriver plus tard. Ce peut être des troubles du sommeil ou un manque d’appétit. En tous les cas, il est bon de ne pas sous-estimer sa souffrance.
Enterre Minette dans son jardin ou l'incinérer
Quand Minette meurt, si aucune mesure particulière n’est prise, elle sera envoyée par le vétérinaire ou conduite par son propriétaire à l’usine de déchets carnés (à Broc, Romont et La Joux pour le Sud du canton). Ses restes seront ensuite transformés en combustible, notamment pour les cimenteries. Leur utilisation à des fins d’alimentation animale est interdite depuis le scandale de la vache folle.
Si l’idée que Minette soit associée à «déchet carné» vous fait frémir, sachez que les animaux jusqu’à 10 kilos peuvent être enterrés dans votre jardin. A condition que l’on respecte certaines précautions: fosse suffisamment profonde et suffisamment éloignée des points d’eau. Dans son propre jardin, pas dans celui de son bailleur sans son autorisation ou dans la forêt.
A moins que ce soit ses cendres, qui peuvent être répandues n’importe où. En Suisse romande, le Crématoire animalier de Lausanne, créé en 2010 par Samuel Debrot, président de la SPA vaudoise (SVPA), procède à ces incinérations. Une fois l’animal réduit en cendre, le propriétaire peut décider qu’elles soient répandues dans le Jardin du souvenir de la SVPA ou de les récupérer pour les répandre ou pour les garder dans une urne. Depuis cette année, les membres de la SPA de Fribourg y bénéficient de tarifs préférentiels. La crémation étant une solution que la société protectrice des animaux préconise, pour qui veut «une fin digne pour son animal». La crémation de Minette, sans récupération des cendres, leur en coûtera 30 francs, contre 60 francs pour les non-membres. Avec récupération des cendres, les prix vont de 100 francs (pour un chat ou un chien de moins de 10 kg) à 330 francs pour un chien de 70 kg (390 francs pour les non-membres).
Quant aux cimetières pour animaux, ils se comptent, pour toute la Suisse, sur les doigts d’une main. Si la société tolère de mieux en mieux ces crématoriums et autres jardins du souvenir (en 1990, Samuel Debrot avait dû démonter une petite installation pionnière d'incinération à Vufflens-la-Ville (VD), alors que vingt ans plus tard, l’ouverture de son centre a été saluée par la ville de Lausanne, le public et les vétérinaires), elle n’en est pas à accepter qu’offrir de vraies sépultures à des animaux devienne convenu.
Commentaires
Annie (non vérifié)
jeu, 16 juin. 2016
Luciole (non vérifié)
jeu, 21 juin. 2018
Luciole (non vérifié)
dim, 15 nov. 2015
Oiseau-de-Pluie (non vérifié)
mer, 11 nov. 2015
Lynne Pion (non vérifié)
mer, 11 nov. 2015
Dominique (non vérifié)
mar, 10 nov. 2015
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