50 tonnes d’ordures ménagères partent dans les toilettes

| mar, 01. déc. 2015

Conséquence de la taxe au sac, certaines personnes utilisent leurs WC en guise de poubelle. Les stations d’épuration en font les frais. Exemple à Ecublens, avec son responsable Jean-Marc Conus.

PAR FRANCOIS PHARISA ET JEREMY RICO

«Une STEP qui pue est une STEP qui ne fonctionne pas.» Responsable d’exploitation à la station d’épuration (STEP) de la Verna, à Ecublens, Jean-Marc Conus s’est habitué à l’odeur. Pourtant, les relents d’ordures prennent à la gorge. Ils émanent du container qui recueille les déchets de plus d’un millimètre de diamètre, une fois filtrés.
Muni d’une fourche à quatre dents, Jean-Marc Conus touille cette matière résiduelle verdâtre. Spaghettis, os de poulet, bouteilles en pet, lingettes intimes, torchons… «On y trouve de tout!» Et même le plus improbable. «Un dimanche, ce printemps, nous avons trouvé un chien, s’étonne encore le Glânois de 46 ans. Je dirais que c’était un bouvier âgé de quelques mois.» Le comportement irrespectueux de certains n’entame pas son engagement. Avec deux collègues, il assure une permanence à la STEP 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, y compris les jours fériés.
La STEP de la Verna, qui doit être agrandie pour quelque 25 millions de francs, traite 3500 m3 d’eaux usées tous les jours. Soit approximativement deux millions de bouteilles de 1,5 litre. Ces eaux proviennent de quatorze communes de la Basse-Glâne, de la Veveyse (hors Châtel-Saint-Denis), d’Oron et de Maracon, représentant un bassin de population d’environ 21000 habitants. Cinquante tonnes d’ordures ménagères y sont annuellement filtrées et stockées pour ensuite être transportées vers l’usine d’incinération. Un chiffre qui a pris l’ascenseur ces dernières années. «Une hausse de 10% par an.» Première cause de cette augmentation, la démographie galopante que connaît le sud du canton bien sûr. Mais la taxe au sac poubelle est aussi responsable, assure celui qui est également conseiller communal à Ecublens.


Fruits et préservatifs
Les systèmes de taxation – taxe au sac ou taxe au poids – présentent des avantages évidents: incitation au tri et responsabilisation de l’usager quant à la quantité de déchets produite. Le revers de la médaille est par contre moins connu. Jean-Marc Conus peut en témoigner. «Pour ne pas remplir trop rapidement leurs sacs poubelles, certaines personnes déversent tout et n’importe quoi dans les toilettes.» Les restes alimentaires surtout. «En ce moment, nous retrouvons beaucoup de pelures d’oranges et de mandarines.» Ainsi, les saisons se lisent dans les ordures. Les jours de la semaine aussi. «Le dimanche matin, les nombreuses capotes nous rappellent quel jour nous sommes», rigole le responsable.
Derrière la boutade se cache toutefois un réel problème. Couches-culottes, serviettes intimes, tampons, lingettes de nettoyage ou préservatifs représentent en effet une grande partie des déchets récoltés à la STEP. «Le phénomène s’est amplifié à partir de 2013», précise le Glânois, après avoir accroché sa fourche au mur. En cause: l’urbanisation de la région et un changement des habitudes de consommation, provoqué par les marques qui font la publicité de ces produits. «Sur certains paquets de lingettes, il est inscrit qu’on ne peut pas en jeter plus de deux par chasse d’eau, ou qu’il ne faut pas en utiliser si le réseau est équipé de stations de pompage. Mais une fois la cuvette refermée, les gens ne s’occupent plus de leurs déchets.»


Facture salée
Pourtant, l’avertissement n’est pas anodin: c’est précisément dans les huit stations de pompage du réseau que ces déchets font le plus de dégâts. «Avec les tourbillons, les lingettes s’agglomèrent et forment des cordelettes qui peuvent bloquer les pompes», explique Jean-Marc Conus. Assis devant l’un des ordinateurs de son centre de contrôle, il cherche quelques instants le bon cliché, avant de le trouver.
Le flash de l’appareil photo laisse découvrir un t-shirt rose bloqué dans une pompe. «On doit intervenir entre cinq et dix fois par mois pour ce genre de problèmes. Parfois le week-end ou en pleine nuit.»
Et cela peut coûter cher. Récemment, le Glânois a dû faire réviser les deux pompes de la station d’Oron, endommagées par un amas de lingettes. Montant de la facture: 30000 francs. «Pour l’année prochaine, nous avons dû augmenter notre budget d’entretien de 20%. Il est passé de 80000 à 100000 francs.» Une rallonge financée par les quatorze communes reliées à la STEP, et donc par ses citoyens.

 

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«C’est l’environnement qui trinque»

Eric Mennel, chef de la section protection des eaux au Service de l’environnement du canton de Fribourg, tire la sonnette d’alar­me.

La taxe au sac a-t-elle entraîné une hausse des déchets à traiter dans les STEP du canton?
Oui. Même si nous ne disposons pas de statistiques sur le sujet, il est clair que la masse de travail des stations d’épuration a augmenté. Les employés doivent nettoyer plus fréquemment les installations, nécessitant l’engagement de personnel supplémentaire. Les communes dépensent jusqu’à 12000 francs par an en frais de curage. Il faut aussi poser plus de grilles pour retenir les déchets, ce qui a un impact de plusieurs dizaines de milliers de francs sur les finances communales.

La taxe au sac est-elle seule en cause?
Il s’agit d’un phénomène global lié au changement des habitudes d’une société toujours plus consumériste. Prenez l’exemple des produits d’hygiène et de nettoyage. Grâce à un matraquage publicitaire agressif, ces articles à usage unique ont la cote. Or, tous ne sont pas biodégradables ni recyclables.

Comment changer les mentalités?
Dans le canton de Fribourg, nous avons réalisé plusieurs campagnes de sensibilisation à ce sujet, dans les écoles notamment. Je pense que la population est bien informée et a conscience de ce problème. Seulement, dans l’intimité de sa salle de bain, la tentation est grande de balancer tout et n’importe quoi. Les toilettes ne doivent pas se transformer en une déchetterie personnelle. Eviers, lavabos, baignoires et cuvet­tes de WC ne sont pas des poubelles. Au final, c’est l’environnement qui trinque.

Ces mauvais usages ont-ils un impact sur la qualité de l’eau?
Non, il n’y a pas d’impact significatif sur la qualité de l’eau potable. Mais, nous constatons tout de même des problèmes de pollution dans les cours d’eau. Avec l’augmentation des ordures ménagères, les conduites se bouchent, provoquant des débordements d’eaux usées qui contaminent les rivières.  PAR MAUDE BONVIN

 

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Agrandissement en vue

La STEP de la Verna doit faire face à l’essor démographique de la région. Conçue pour gérer les eaux usées de 21000 équivalents-habitants (EH), elle doit actuellement traiter la charge de 25000 EH, voire parfois jusqu’à 30000 (cet indice prend en compte les particuliers et les entreprises). La station n’a donc d’autre choix que de s’agrandir. En avril 2014, un projet estimé à 25 millions de francs a ainsi été présenté. Divisé en deux phases, il prévoit la construction de trois bassins de traitement biologique. «La mise en place d’un traitement des micropolluants est également en réflexion», complète Christian Rouiller, président de l’Association intercommunale pour l’épuration des eaux usées de la Basse-Glâne, de la Veveyse (hors Châtel-Saint-Denis), d’Oron et de Maracon. Objectif: pouvoir traiter les eaux de 38400 EH à l’orée 2025, puis 49000 EH en 2035.
Sauf que le projet a pris du retard. La faute aux terrains agricoles censés accueillir l’agrandissement. Considérés par la Confédération comme surfaces d’assolement, ces terrains étaient bloqués en raison du déficit en zones fertiles à vocation agricole dont souffrait le canton. A la fin août, un recalcul de ces surfaces d’assolement a toutefois permis au canton de passer au-delà du quota minimal. Jugé comme d’importance cantonale, le projet d’agrandissement de la STEP peut donc aller de l’avant. «La mise à l’enquête devrait intervenir au début de l’année prochaine», calcule le Fribourgeois.
Restera encore à obtenir du canton et de la Confédération l’autorisation de passer le terrain agricole en zone à bâtir sans compensation, comme le prévoit en principe la Loi sur l’aménagement du territoire.
«Le projet est jugé d’intérêt général, donc nous pourrions passer au-dessus de cette loi», espère Christian Rouiller. «A l’heure actuelle, la STEP sature. La qualité des eaux en bout de chaîne est parfois à la limite. Tous les voyants ne sont pas au vert.» Malgré cette procédure simplifiée, le retard accumulé ne pourra pas être rattrapé. Initialement prévue pour 2017, la mise en service des premiers agrandissements n’interviendra pas avant 2018, voire 2019. JR

 

*Cette page a été réalisée dans le cadre de la forma­tion des journalistes stagiaires de La Liberté, ATS, cath.ch et La Gruyère. Elle est publiée simultanément par La Gruyère et La Liberté.

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