Et si le salut des stations de ski passait par une holding?

| mar, 12. Jan. 2016

 Le Bullois Philippe Menoud est président des Remontées mécaniques fribourgeoises, propriétaires des grandes installations du canton. Alors que les stations tirent la langue en ce début d’hiver sans neige, il analyse froidement la situation. Et propose des solutions.

PAR JEAN GODEL

Parmi ses nombreuses casquet­tes, Philippe Menoud porte celle de président des Remontées mécaniques fribourgeoises (RMF SA), la société d’économie mixte fondée en 2009 après l’entrée en vigueur du décret d’engagement de l’aide extraordinaire de 25 mil­lions de francs approuvé par le Grand Conseil pour aider au renouvellement des principales remontées mécaniques du canton. Soit près de 60 millions en tout si l’on ajoute les parts des régions (Gruyère et Singine) et des sociétés (Lac-Noir, La Berra, Charmey, Bellegarde et Moléson). Propriétaire des installations, RMF SA les loue aux sociétés. Interview.

Qu’est-ce qui cloche à Charmey? Chaque année, la commune rallonge des centaines de milliers de francs…
Je ne connais pas les délibérations du conseil d’administration. Ce que je sais, c’est que la situation bilantielle de Charmey n’est pas mauvaise. Contrairement à ce que l’on entend, ils ne sont certainement pas près de déposer le bilan: la structure de leur société est bonne, elle est même enviée par d’autres. Il y a tout pour bien faire à Charmey. Le problème se situe au niveau de l’activité: si vous multipliez les déficits anormaux, soit les recettes sont insuffisantes, soit les coûts directs sont trop importants. C’est probablement sur ces derniers qu’il faut agir.

La solution viendra-t-elle d’une Gruyère à une seule commune, pour répartir les coûts sur l’ensemble de la région?
L’idée avance, oui. Mais d’ici là, peut-être faudrait-il envisager, à l’Association régionale la Gruyère (ARG), un système de mandat de prestations. On a été parmi les premiers en Suisse à se mettre ensemble à l’échelle d’une région pour investir. Pourquoi ne serions-nous pas parmi les premiers à nous réunir pour définir les infrastructures à vocation régionale – touristiques, culturelles, sportives ou autres – puis assumer une partie de leurs coûts d’exploitation? Je ne parle pas d’une couverture automatique du déficit, mais de mutualiser le risque pris actuellement par les seules sociétés et collectivités locales. L’embryon d’un tel modèle existe déjà: c’est l’Association sports en Gruyère.

Quelles seraient les exigences de ce mandat de prestations?
Economicité, examens réguliers du budget, comptes et rapports d’exploitation, etc. Comme le fait l’Etat de Fribourg avec l’Office de la circulation et de la navigation.

L’OCN gère des bénéfices. Là, on parle de déficits…
Il n’est pas question de couvrir les déficits, mais tout ou partie des charges financières ou des locations. On pourrait toutefois aller plus loin et prévoir la constitution d’un fonds de
 rénovation.

Mais ce sont bien des déficits que Charmey aligne…
Je vous assure qu’une combinaison entre mesures d’économie des coûts et intervention externe (d’une région ou d’une commune unique) mettrait tous les atouts de notre côté. Pour moi, il est important qu’une partie du risque soit mutualisée. Il y a un certain malaise sur le terrain. Tout le monde se rend compte que l’on ne peut pas laisser les acteurs assumer seuls les risques d’infrastructures dont l’intérêt dépasse largement le territoire de leur commune. Cette solution est possible, la Gruyère est suffisamment homogène.

Une autre solution ne serait-elle pas la fusion des sociétés de remontées mécaniques?
Il ne faut pas sous-estimer les efforts consentis par leurs actionnaires, qui sont passés plusieurs fois à la caisse. Sous l’angle de l’exploitation, vous avez sans doute raison, il faut aller dans cette direction. Mais du point de vue structurel, il n’est pas si simple de mettre tous ces acteurs ensemble. Cela dit, une autre solution serait de constituer une holding qui deviendrait propriétaire majoritaire des sociétés tandis que les actionnaires garderaient tout ou partie de leurs actions.

L’avantage d’une holding?
Vous n’avez plus qu’une unité de conduite: la holding gérerait toutes les entités selon les mêmes critères, en cherchant le maximum d’efficience partout, sans faire disparaître les sociétés actuelles.

On atteindrait donc les mêmes résultats qu’avec une fusion?
Absolument. Mais sans heurter les actionnaires. Une holding serait le moyen de reconnaître ce qui a été fait par le passé et d’aller vers une mise en commun de l’exploitation des sociétés. RMF SA resterait propriétaire des installations, les contrats demeureraient, la holding fédérerait les sociétés existantes tout en prenant le lead sur l’exploitation. Ça me paraît possible.

 

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«Potentiel estival incontestable, mais limité»

Trois Noëls de suite sans neige, un hiver qui pourrait se résumer à deux mois: qu’est-ce que cela vous inspire?
Philippe Menoud. Je suis d’un naturel optimiste, la neige reviendra. L’essentiel, c’est de ne pas agir de façon normale en situation anormale: quand la neige manque, il faut réagir, réduire les coûts et mettre un maximum de ressources en commun. La météo est un risque que l’entrepreneur doit assumer. Mais tout remettre en question est une erreur.

Un entrepreneur veut faire du bénéfice. Or, Charmey aligne les déficits. Et des bruits inquiétants nous viennent de Bellegarde et de La Berra…
Ne peignons pas le diable sur la muraille! Ces nouvelles installations sont en place depuis peu. L’objectif est aussi de développer l’activité estivale, ce qui faisait d’ailleurs partie des conditions posées par le décret de 2008. Cela dit, si le potentiel estival est incontestable, il reste limité. L’hiver demeure la clé de voûte de l’activité des stations: en cas de bon hiver, le cash-flow dégagé peut atteindre 20% des recettes, de quoi assumer une voire deux mauvaises années.

Un téléphérique, une télécabine ou un funiculaire peuvent-ils être rentables sans le soutien des collectivités publiques?
Oui, à condition que les charges financières (intérêts et amortissements) soient réduites au minimum. Au sein de RMF SA, celles que les sociétés locataires nous paient correspondent à 0,75% du coût de construction, sur la seule part de l’Etat (49% du total). A ces conditions et en année normale, c’est rentable.

C’est donc RMF SA qui assume l’essentiel des charges financières?
Oui. Mais nous avons bénéficié – cas pour ainsi dire unique en Suisse – d’une structure où les investissements n’ont été faits qu’avec des fonds propres apportés par les sociétés exploitantes, les régions et l’Etat. RMF SA n’a pas de dettes et n’a donc pas de charges financières à reporter dans les loyers demandés.


On n’est pas là dans un modèle d’économie libérale…
A la nuance près que vous n’avez jamais vu une collectivité publique fribourgeoise assumer un déficit d’exploitation de remontées mécaniques. Pour l’heure, la limite est là, clairement posée. Même si, à mon avis, elle doit légèrement évoluer. Cela dit, et pour information, RMF s’est battue pour récupérer la TVA sur la construction de ces remontées, ce qui représente 1,7 million de francs. A Noël, nous avons restitué leur part aux stations, soit 400000 francs. L’Etat a placé 300000 francs  dans le fonds d’équipement touristique pour des mesures de promotion. Quant aux régions (Gruyère et Singine), elles ont renoncé à leur part. Il reste donc 1 million dont les sociétés pourront disposer sur la base de projets d’investissement.

Que se passerait-il si une société faisait faillite? Charmey, par exemple?
RMF devrait trouver un nouveau locataire, probablement une autre société exploitante, si possible fribourgeoise, mais, à défaut, de l’extérieur. Cela dit, je le répète, nos conditions de location sont très attractives.

Dans les colonnes de La Liberté, Christophe Valley, directeur de l’Office du tourisme de Charmey, proposait la semaine dernière de limiter les activités de ski aux seuls domaines viables, en l’occurrence Bellegarde, au détriment de Charmey. Sensé?
Qu’est-ce qu’un domaine viable? Avant d’investir 25 millions, les pouvoirs publics et le Grand Conseil se sont quand même demandé si le ski avait un avenir dans le canton. Il faut garder son calme. Je ne comprends pas ces propos et ne peux les soutenir. Il faut même aller plus loin: on est au milieu du gué, il faut passer de l’autre côté en s’équipant de canons à neige partout. Je déplore à ce propos le fait que l’ARG ait abandonné l’idée de les subventionner. Aujourd’hui, les canons à neige sont très peu polluants.

Mais ils n’ont pas pu assurer le ski à Noël: il faisait trop chaud…
On ne peut rien garantir. Ce risque entrepreneurial existera toujours. Mais on pourrait explorer la piste du contracting: une entreprise financerait les canons dont seuls les coûts seraient facturés à l’exploitant afin de préserver son capital.

Fribourg échappera-t-il au reposi­tionnement de ses stations?
Les études menées par le canton de Vaud parlent d’un relèvement de la limite pluie-neige à la hauteur du sommet ­de Vounetz d’ici deux ou trois décennies…
La prise de conscience est très avancée, les études vaudoises sont connues et c’est notamment en les prenant en compte que nous avons, à RMF, renoncé à constituer un fonds de rénovation des installations d’ici vingt-cinq ans. Cela dit, il ne faudrait pas oublier l’expérience des cinquante dernières années qui invitent à la prudence. Faisons évoluer le modèle d’affaires des stations fribourgeoises, sans pour autant l’abandonner. Il faut aussi assumer nos décisions politiques. JnG

 

Commentaires

si les stations fribourgeoises sont dans le même état que le fond visuel de la photo, je ne parierai pas un kopek sur leur futur !

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